Potemkine Films sort en salles cette semaine le cultissime House de Obayashi Nobuhiko, objet inclassable entre épouvante gothique, expérimentation psychédélique, shojo suranné et bariolé.
Une lycéenne rend visite à sa tante malade en compagnie de six amies. Isolées dans une grande demeure perdue au milieu de nulle part, les jeunes filles assistent à d’inquiétants événements surnaturels une fois la nuit tombée.
Même en regard des standards « autres » particulièrement élevés du cinéma d’exploitation japonais des seventies, House est un pur ovni inclassable. Il s’agit du premier long-métrage de Obayashi Nobuhiko, figure du cinéma d’avant-garde japonais des années 60 qui parvint à en exporter les expérimentations dans une prolifique carrière dans le film publicitaire. L’imagerie décalée de ses spots devient ainsi familière au grand public japonais, au point d’inciter le président de la Toho (dont les studios servaient souvent à tourner ces films publicitaires) à lui proposer de signer un long-métrage pour le studio.
Il s’agit d’une période particulièrement difficile pour les studios japonais concurrencés par la télévision, et qui du coup se trouvent forcés, pour attirer le public, de proposer un spectacle que ne peut se permettre la petite lucarne. Cela entraînera les productions érotiques du Roman Porno/Pinku Eiga au sein de la Toei et la Nikkatsu notamment, et en tout cas créera une brèche unique pour les cinéastes à l’univers visuel singulier. Lorsqu’il doit réfléchir au projet de film pour la Toho, Obayashi se souvient des idées issues de l’imagination fertile de sa petite fille : une maison hantée où son reflet dans un miroir l’aspirerait, ses longs cours de piano où elle avait l’impression que l’instrument mangeait ses doigts… Les bases de House sont jetées et malgré le script incompréhensible, toute latitude est laissée au réalisateur.
Par sa folie ambiante, House pourrait laisser croire au produit foutraque partant dans tous les sens. C’est bien ce qu’il est certes, mais ce chaos n’en est pas moins étudié dans les moindres détails. Il y a chez Obayashi une vraie volonté de faire une œuvre « grand public » et plus précisément de ramener les adolescents dans les salles. Le film a donc une tonalité indéniablement pop, qui s’adapte et se transforme au gré des différents genres abordés par l’histoire : le teen movie romantique, la comédie absurde ou l’épouvante à travers un récit de maison hantée. La première partie introduisant les sept adolescentes par son ton mélange ainsi le romantisme suranné du drama et l’imagerie flamboyante du manga. Le passif publicitaire du réalisateur se ressent avec le sentiment d’avoir pour chaque séquence un spot avec son esthétique et humeur propre tout en se fondant dans un ensemble narratif. Chaque image doit frapper la rétine du spectateur d’une manière ou une autre. Le gros plan de la scène photographique d’ouverture se baigne d’une teinte colorée, la photo diaphane et les ralentis nouent par l’image l’amitié innocente de Angel (Ikegami Kimiko) et Fantasy (Ohba Kumiko). L’arrière-plan de ciel couchant factice amplifie ensuite le mélodrame lorsqu’Angel rencontre dans le théâtral décor d’appartement sa future belle-mère. Enfin les accélérés incongrus et les jump-cuts introduisent le maladroit Mr Togo (Kiyohiko Ozaki) sur lequel il ne faudra pas trop compter dans les épreuves à venir. Le liant se fait par l’omniprésence de ce chat, au cœur de l’action, en arrière-plan ou simple ombre qui influence les personnages et les guident vers cette mystérieuse demeure en campagne.
Chaque élément s’avère minutieusement étudié pour faire osciller le film entre le cliché et l’étrange notamment la bande-son pop et sirupeuse. On pense à la caractérisation des sept adolescentes dont le nom et l’allure vestimentaire définit le tempérament : la mélomane Melody/Merodi (Tanaka Eriko), l’intellectuelle Prof/Gari (Matsubara Ai), la rêveuse Fantasy, la bagarreuse Kung Fu/ Kunfu (Jinbo Miki), l’innocente Angel, la vorace Mac/Makku (Sato Mieko) et la douce Sweetie/Suito (Miyako Masayo). Cette simplification est inhérente aux archétypes revisités du conte (sept protagonistes au caractère tranché comme les sept nains de Blanche-Neige) et servira ainsi une nouvelle fois par la seule image à expliquer comment leurs tempéraments les feront résister ou céder à la menace surnaturelle. Arrivé dans la maison, le réalisateur croise les clichés du film d’horreur (la fâcheuse tendance des personnages à systématiquement se séparer) à des situations délirantes. L’atmosphère de pure épouvante gothique occidentale introduit pourtant des créatures issues du folklore japonais, notamment ce yokai dont la tête surgit d’un puits (ce qui l’associe à Okiku dans le bestiaire mythologique japonais) pour mordre les fesses de sa victime. La peur, la surprise et l’absurde s’entremêlent ainsi constamment dans l’approche d’Obayashi qui multiplie les ruptures de ton – cette transition où la tête d’un vendeur de nouilles surgit dans le plan.
La peur se révèle de manière insidieuse et toute poétique avec le reflet d’un miroir renvoyant l’innommable, ou dans un macabre burlesque comme ces bouts de doigts jouant une mélopée infernale au piano. L’élégie (l’allure immaculée et fantomatique d’Angel) de la peur traditionnelle cède à l’apocalypse expérimentale où Obayashi mélange les techniques entre animation, collage psychédélique et gore décomplexée. La faiblesse de ces jeunes filles réside dans la pureté de leur amitié, le souci de protéger ou de se placer sous l’aile de l’autre, les rapprochant de ce qui a fait de leur tourmenteuse (Fascinante Minamida Yoko pourtant bien plus jeune que le rôle, loin des Mizoguchi ou Imamura chez qui elle a débuté) un être déçu par l’amour et finalement démoniaque. Il y a là en germe toute la thématique pacifiste que développera Obayashi dans nombre de ses films suivants. Profondément marqué dans son enfance par l’expérience de la guerre (il observera de près les ravages des bombardements de Hiroshima car habitant la région), il traduira avec poésie et nostalgie son aversion pour le Japon belliciste dans des œuvres comme Bound for the Fields, the Mountains, and the Seacoast (1986) et le plus tardif Hanagatami (2017). House l’exprime par son spectre dont l’esprit maléfique est celui d’une femme n’ayant jamais vu son amour revenir du front.
On peut d’ailleurs rapprocher les destins des personnages féminins dont l’attente vaine d’un amour/sauveur masculin (grotesque dans son pendant moderne et joliment nostalgique par ce flashback façon film muet) les transformera en succubes vengeresses. Le prince charmant sur son beau destrier blanc est un fantasme ou un souvenir embelli, mais aussi le père absent dans la réalité pour Angel. La belle tirade finale fait ainsi de l’amour le sentiment le plus éternel, mais aussi la malédiction la plus insurmontable. Un vrai film culte qu’on peut soupçonner avoir été vu par un certain Sam Raimi tant il anticipe son Evil Dead (1982).
Justin Kwedi
House de Obayashi Nobuhiko. Japon. 1977. En salle le 28/06/2023.