Critique Qiu Jin : La guerrière de Herman Yau

Posté le 14 novembre 2012 par

Après Ip Man : La légende est née (2010), film historique basé sur la vie  d’un illustre maître de Wing chun, art martial popularisé à l’écran par Bruce Lee, Herman Yau nous offre l’histoire de Qiu Jin, « la poétesse à l’épée », la Jeanne d’Arc chinoise, révolutionnaire, féministe et déterminée à renverser la dynastie féodale des Qing, avec d’époustouflantes chorégraphies d’arts martiaux. Ne boudez pas votre plaisir. Par Aiko.

À propos du réalisateur:

Né en 1961 à Hong Kong, Herman Yau est un homme aux multiples talents. Réalisateur, directeur de la photographie, scénariste, écrivain, il s’est impliqué dans la production de plus de 70 films. S’il est surtout connu pour ses films trashs comme Untold Story et Ebola Syndrome, devenus des films cultes pour les aficionados du genre, il a su démontrer qu’il avait de nombreuses cordes à son arc, que ce soit comme directeur de la photographie avec Tsui Hark (Time and Tide, Seven Swords), comme réalisateur de comédies romantiques, ou de drames historiques comme Ip Man. Mise en scène impeccable, virtuosité et fluidité des cadrages,sont sa marque de fabrique.

Ip Man prenait un prétexte historique, l’histoire de Yip Kai Man, et de l’établissement de son école de Wing chun – art martial toujours pratiqué en Chine à l’heure actuelle – dans sa ville natale de Foshan, pour faire une éblouissante démonstration d’arts martiaux, sur fond de rébellion contre le gouvernement mandchou. Le tout servi par une photographie esthétique et soignée, où l’on découvrait Huang Yi, l’interprète principale de Qiu Jin, dans un rôle secondaire. Mais l’exercice n’avait pas d’autre ambition, et cela se voyait.

Qiu Jin est une toute autre affaire.

Née dans une famille d’érudits, ayant reçu une éducation de lettrée, Qiu Jin dès son plus jeune âge montre un caractère affirmé. On s’attache à cette jeune fille idéaliste et éprise de justice, bien plus volontaire que son mollasson de mari, qui brûle de défendre son pays et souffre de ne pouvoir le faire en raison de sa condition de femme. Elle ne veut pas simplement gagner le respect des hommes, elle veut « les choquer par une action d’éclat », et va jusqu’à s’habiller en homme, monter à cheval et manier l’épée. C’est un agent provocateur, une révolutionnaire de la famille des Jeanne d’Arc et des Eva Perón, qui prône l’égalité des hommes et des femmes, le libre accès des femmes à l’éducation et à l’indépendance financière, et qui avec son compatriote Xu Xiling entreprend de renverser un gouvernement incompétent et corrompu.

Pour comprendre à quel point le destin de cette femme est exceptionnel, il faut préciser le contexte.

Nous sommes à la fin du 19e siècle. La dynastie des Qing, d’origine mandchoue, règne sur la Chine des Han depuis plus de deux siècles.

À cette époque, les femmes ont les pieds bandés et ne sont pas éduquées. Pour les plus pauvres, il n’est pas rare qu’on les vende à un futur mari, qui a droit de vie et de mort sur elles.

À cette époque, l’Empire est corrompu, affaibli, et a subi plusieurs défaites contre les puissances européennes, aboutissant à la signature des « traités inégaux » qui cèdent Hong Kong aux Britanniques et ouvrent plusieurs ports au commerce international – dont le trafic d’opium. En parallèle, l’évangélisation chrétienne se développe.

Un fort sentiment nationaliste surgit en réponse, qui se concrétise par la révolte des Boxers de 1898 à 1901. Les délégations étrangères sont assiégées,  avec le soutien tacite des forces de l’Impératrice douairière Cixi. L’Alliance des Huit Nations écrase la révolte en 1901 et impose le Protocole des Boxers, condamnant la Chine à payer une somme exorbitante. Cette nouvelle humiliation renforce le discrédit de la Cour.

Qiu Jin a alors 26 ans. Elle se rend compte de l’impuissance de son pays, et ne parvenant pas à pousser à l’action son mari, fonctionnaire impérial, part étudier au Japon en laissant derrière elle ses deux jeunes enfants. Elle fait connaissance là-bas de Xu Xilin, et s’engage dans des mouvements d’étudiants anti-Qing, qui prônent le soulèvement contre le régime en place. Le gouvernement japonais voit d’un mauvais œil toute cette agitation, et en 1905 Qiu Jin regagne la Chine, ostensiblement pour y retrouver sa famille. En fait, elle est rentrée préparer la révolution.

Elle défend publiquement les droits des femmes, crée un journal féministe avec une autre poétesse, et en 1907 prend en charge l’école Datong d’arts martiaux – en fait le centre de formation des futurs révolutionnaires. Le 6 juillet 1907, Xu Xilin se fait arrêter lors d’une tentative ratée d’insurrection. Qiu Jin est arrêtée à son tour, et après avoir été torturée sans passer aux aveux, est décapitée quelques jours plus tard, à l’âge de 31 ans. Elle devient instantanément une héroïne et une martyre de la révolution. Elle est toujours un symbole de l’indépendance des femmes en Chine.

On l’aura compris, avec une telle inspiration, Qiu Jin est plus qu’un bon film d’action. C’est l’histoire d’une passionaria révolutionnaire, d’une féministe déterminée, à une époque où les femmes sont, avant tout, illettrées et soumises, d’une femme lucide qui quitte sa famille pour la protéger des conséquences de ses actes idéalistes, même si abandonner ses enfants lui brise le cœur. C’est aussi l’évocation d’une période difficile de la Chine, comme a pu l’être l’arrivée de l’ère Meiji au Japon.

La relation d’ailleurs avec le Japon  est intéressante. Ici, la nation japonaise fait figure de ‘sœur aînée’ plus libérale, plus dynamique et plus démocratique, face à une Chine encore féodale et arriérée, alors qu’à peine quelques années plus tôt, le Japon était encore considéré comme une nation secondaire… jusqu’aux défaites cuisantes infligées par une armée japonaise fraîchement modernisée aux troupes de l’Empire.

Qiu Jin est passionnée par sa cause, mais elle n’est pas impulsive, tout au contraire, « elle n’est pas guidée par ses émotions ». Elle prend les décisions qu’il faut prendre, même si elle souffre en tant que mère de l’absence de ses enfants, et va jusqu’au bout de ses convictions, avec un courage et une ténacité qu’on ne peut qu’admirer.

Elle pourrait paraître froide ou inhumaine, ou au contraire tomber dans la sensiblerie politiquement correcte. Le film, et l’interprétation très juste de Huang Yi, qui prête sa beauté, son feu et sa maîtrise martiale à Qiu Jin, évite ces deux écueils. Qiu Jin est une révolutionnaire jusqu’au-boutiste, mais aller au bout de ses convictions ne se fait pas sans souffrance ; elle souffre de devoir sacrifier son amour pour ses enfants à « la cause », et en devient d’autant plus crédible. Il est aisé d’être révolutionnaire quand on a 20 ans et que l’on est étudiant. Mais quand on a charge d’âme ? Quand on sait que son absence et ses choix peuvent faire souffrir ceux qu’on aime ? Cela demande une force d’âme dont bien peu sont capables. Qiu Jin est allée bien au-delà de son désir de provocation initial. Elle a sacrifié ses désirs et son bonheur personnels à la réussite de la nation – parce que personne d’autre ne le fait. Et cela fait d’elle une figure inoubliable.

Si l’on doit trouver un défaut au film, c’est peut-être d’abuser du flashback, et de faire des répétitions dans la dernière partie qui ne sont pas strictement indispensables. Mais comme c’est bien filmé et bien enchaîné, ces quelques longueurs passent très bien.

Herman Yau a pleinement réussi son pari, et a fait revivre une héroïne dont la modernité est toujours d’actualité. Qiu Jin est une battante, une guerrière, dans la plus noble acceptation du terme. Ce que femme veut, Dieu le veut !

Aiko

Verdict :

Un bon film, très fidèle au contexte historique, mené avec la maestria habituelle de Herman Yau, une interprétation cohérente et fine de la première héroïne révolutionnaire de l’histoire de la Chine. Sans oublier de belles scènes d’action qui raviront les amateurs d’arts martiaux.

Aiko.

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