NETFLIX – Copycat Killer de Henri Chang et Chang Jung-chi

Posté le 30 mai 2023 par

Adaptée des livres Mohou Han de Miyabe Miyuki, la série Copycat Killer, coréalisée par Chang Jung-chi et Henri Chang est la nouvelle série Netflix qui fait couler beaucoup d’encre. Ces 10 épisodes poisseux portés par une ambiance Made in Fincher vous feront plonger dans la traque d’un tueur impitoyable aux talents indéniables sous les sempiternelles lumières blafardes de néons intermittents.

Quand une série de meurtres sordides jette une ville dans le chaos, un procureur opiniâtre doit jouer au chat et à la souris sur fond de dangereuse manipulation.

Inspiré par la série des Saw (on pense aussi au travail du mangaka Tetsuya Tsutsui, à Se7en évidemment, 20th Century Boyz ou divers chefs-d’œuvre comme Memories of Murder ou J’ai rencontré le diable), le show de la plateforme fait craindre le pire dès son entame. Propos du tueur, générique poisseux, travelling suivant les inspecteurs vers la scène du crime, analyse de la scène, flashbacks bizarres ou inspecteur aux démons intérieurs… N’en jetez plus, tous les poncifs du genre sont présents. Attention, la série est soignée. Vraiment. La réalisation est sobre et travaillée (on n’est pas non plus dans Mindhunter) et respecte les codes couleurs du genre (noir, rouge, ocre, contre-jour blafard, blanc immaculé, anthracite bleuté). La partition des acteurs, elle, semble convaincante dès le premier épisode. Ajoutant à cela une savoureuse musique collant parfaitement à l’ambiance et à son propos (on songe même au merveilleux groupe Mogwai), l’œuvre se suit sans déplaisir mais force est de constater qu’elle ne renouvellera pas le genre comme l’a pu faire True Detective à sa sortie, faute à une indéniable absence de prise de risques à l’image de la photo du chef opérateur Chen Ko-chin. Efficace mais timorée.

“Sous le thriller et l’histoire policière se cache une histoire sur la façon dont l’humanité lutte entre le bien et le mal”

Le thriller policier à la gestation conséquente (trois ans) narre donc l’histoire du croisement de routes d’un procureur intègre, une journaliste sacrément coriace et un flic désabusé. La découverte, à Songyan, d’une main coupée dans une boîte cadeau plus tard : l’enquête commence. S’en suivront évidemment nombre de whodunit, d’enquêtes entrecroisées, de drames, de trahisons ou de jumpscares que nous vous laisserons évidemment le plaisir de découvrir. Rien à dire à ce propos, la série devrait vous tenir en haleine jusqu’aux dernières secondes. Disons simplement que bien que le rapport aux médias soit savamment analysé, certaines ficelles faciles (appels anonymes, membre mouton noir de l’équipe ou pression politique/hiérarchique) deviennent terriblement dommageables tant elles semblent inhérentes au cahier des charges.

Tourné principalement dans et aux alentours de Taipei (et le choix est important sur sa temporalité), la série est ainsi mise en lumière par son producteur Hank Tseng : « La fin des années 90 à Taïwan était une ère de désintégration des valeurs sociales, où les relations entre vérités et mensonges par les médias de masse étaient synonymes de confusion. À travers cette série, j’espère transmettre le principe simple que la justice est irremplaçable« . Un propos que l’on ne peut qu’acquiescer à la vision de la série de Greener Grass Productions et Nan Fang Films et son traitement des thématiques récurrentes du show (influence des médias, abus de pouvoir, morale ou corruption).

La société du spectacle devient donc, peut-être, le principal enjeu de ce que recèle réellement l’intention des créateurs, donc plus qu’une banale histoire de tueur. Ici, c’est son image (souvent fantasmée) qui se meut par le prisme des enquêteurs, des téléspectateurs, des journalistes, de nous-mêmes : quidams avides de sensations fortes et de frissons hérissant le poil. Le supposé manipulateur tire ainsi le meilleur parti de l’attention qu’il reçoit, jubilant de sa supériorité. La presse et la police délaissent alors les victimes face à un sordide show télévisé quasi irréel. Cette violence graphique, stylisée, réfléchie devient ainsi l’un des déclencheurs du courroux brutal et déterminé du procureur Guo Xiaoqi (Wu Kang-ren). L’ire du magistrat se mue alors au fil des épisodes en suspicion plus adéquate au travail d’enquêteur. Nourri par la honte ou les reproches face à un tueur méthodique, moqueur et bien décidé à plonger la ville dans le chaos : c’est ensuite toute une équipe (le policier chevronné Shang-Yong Lin (Tsung-Hua Tou) ou la psychologue criminelle notamment (Alice Ko) Hu Yunhui) qui passera en mode branle-bas de combat pour mettre fin aux sanglantes scènes de crime et aux cadavres abandonnés.

Déjà deux fois portée au cinéma avant cette création Netflix (un long métrage en 2008 et un téléfilm en deux parties en 2016), l’histoire narrée dans le livre (vendu à plus d’un million d’exemplaires à travers le monde) du tout premier cas de meurtre en série à Taïwan dans les années 90 se verra donc drapée de différentes guenilles. Notoriété grimpante d’un malade psychotique devenu chouchou de médias avides de souffrance, apparences trompeuses ou suspicion exacerbée par le sentiment d’impuissance seront donc autant de théâtre d’interprétation d’un récit parfois soporifique (ces discussions interminables !), classique et sans grande originalité (le son se pare de chuchotements, de ricanements ou de souffles malgré tout efficaces) mais réalisé avec sérieux et implication notamment face à certains meurtres particulièrement cruels et filmés par une myriade d’échelles de plans bienvenus. Toute la bienveillance que l’on attend d’une œuvre de fiction donc qui, sans rester dans l’histoire de la petite lucarne devrait sans problème vous faire passer un weekend captivant à jouer les inspecteurs sur votre canapé. Une raison évidente d’envisager Copycat Killer sous le drapé d’une dystopie plausible et terrifiante.

Jonathan Deladerrière

Copycat Killer de Chang Jung-chi et Henri Chang. Taïwan. 2023. Disponible sur Netflix