LE FILM DE LA SEMAINE – Hokusai de Hashimoto Hajime

Posté le 26 avril 2023 par

Figure incontournable de la culture nippone internationale, Hokusai avait été jusqu’à présent considérablement ignoré par le 7e art, à l’exception du film d’animation Miss Hokusai en 2015, qui en faisait un personnage presque secondaire. Cet oubli est maintenant réparé grâce au film Hokusai, réalisé par Hashimoto Hajime, et visible sur les écrans grâce au distributeur Art House.

De manière générale, lorsque l’on évoque le nom de Hokusai (de son vrai nom Hokusai Katsushika), la première chose qui vient à l’esprit, c’est bien évidemment l’incontournable estampe La grande vague du Kanagawa, œuvre reconnaissable entre toute et représentative de l’art traditionnel japonais. On pourra aussi citer Les trente-six vues du Mont Fuji ou bien encore Les cinquante-trois stations du Tokaido, série d’estampes représentant des étapes sur la route reliant à l’époque Edo (ancien nom de Tokyo) à Kyoto. Des œuvres à la beauté plastique et évocatrice intemporelle, précieux témoignages d’une époque passionnante de l’histoire japonaise. Mais si l’on connaît ces travaux, lorsque l’on aborde le sujet de leur auteur, on se rend rapidement compte qu’il demeure encore finalement assez méconnu du grand public. Et c’est un vide que le film se propose de combler mais de manière assez originale, qui pourra autant satisfaire les connaisseurs que les profanes les plus curieux.

Hokusai fut l’élève de plusieurs prestigieuses écoles d’Edo, établissements consacrés à l’art de l’Ukiyo-e (« image du monde flottant »), et ce dès ses jeunes années. Son talent est vite repéré par des maîtres qui voient en lui un prodige de l’estampe, et leur association est bénéfique à tous les niveaux, Hokusai pouvant se consacrer à sa passion tout en promouvant l’atelier du maître. Le film commence donc avec un jeune Hokusai se faisant remarquer par Shunsho Katsukawa, maître de l’atelier éponyme. Mais si ses créations ravissent son maître et les clients de l’atelier, il n’en va pas de même pour l’empereur Tokugawa, peu tolérant avec tout ce qui se rapproche, selon lui,  d’une tentative de rébellion déguisée, et mettant un point d’honneur à exercer une pression sur les artistes de l’époque. Et c’est pourtant dans ce contexte quelque peu tendu que va progressivement éclore et exploser le talent de Hokusai, jeune homme aussi talentueux qu’incontrôlable, et entièrement voué à sa passion.

Pour narrer le parcours hors-norme de l’artiste, le film ne va pas céder à la facilité et tomber dans le biopic le plus classique. Il opte pour une approche assez originale en nous montrant Hokusai sous un jour assez déconcertant. Pour commencer, le film élude complètement son enfance, somme toute assez peu intéressante et embraye directement sur la fin de son adolescence. Loin d’une image d’Epinal que l’on pourrait s’en faire, de par le calme et la sérénité que peuvent procurer ses œuvres contemplatives de paysages japonais, l’artiste est ici présenté comme quelqu’un de fougueux, impulsif, prêt à sortir les poings, mais toujours sincère et brut dans son désir d’exprimer le plus fidèlement ses émotions et ses envies. Incapable de se plier aux règles, qu’elles soient imposées par une école d’art ou par les autorités, Hokusai n’aura de cesse d’aller, sciemment ou non, à l’encontre de tous les courants de pensée, laissant souvent sur le carreau ceux qui ne veulent pas, ou ne peuvent pas le suivre dans sa soif inextinguible de création. Souvent montré comme un artiste solitaire et incompris, aux frontières parfois de l’orgueil excessif, il n’en demeure pas moins passionnant à suivre, motivé par un seul credo, ne peindre que ce qu’il aime et en suivant uniquement son point de vue. Une attitude qui ne lui apportera pas que des amis, son entourage ayant beaucoup de mal à contrôler et juguler une fièvre créatrice qui va à l’encontre des standards imposés de l’époque. Hokusai évolue comme un électron libre et sans limites, aux frontières de l’asociabilité et des traditions de l’époque, avec notamment une scène de visite d’une maison de geishas, dans laquelle le seul plaisir qu’il prendra sera celui de peindre les femmes qui y travaillent. Il ira même jusqu’à en venir aux mains avec un artiste dont il méprise la qualité des estampes, ultime affront pour un orfèvre comme lui, tout entièrement dévoué à son art. Pour autant, le film arrive à nous rendre attachant son personnage, jusque dans ses excès, faisant de lui un artiste résolument rebelle et moderne, incapable de se plier aux règles castratrices en vigueur dans son pays, mais dont les œuvres font de toute manière l’unanimité.

Pour interpréter le jeune Hokusai, le choix du réalisateur s’est porté sur Yagira Yuya. Un comédien découvert enfant chez Kore-eda Hirokazu dans Nobody Knows, et qui depuis s’est fait remarquer dans Destruction Babies dans lequel il jouait le rôle d’un jeune homme ultra violent à la dérive. Un comédien au style assez particulier et sec et qui arrive dans ses rôles à jouer à la perfection la colère et la frustration plus ou moins bien contenues. Un acteur tout trouvé pour interpréter les jeunes années de l’artiste, esprit bouillonnant de créativité mais frustré par une société qui ne lui laissera jamais assez de liberté pour exercer sa passion.

On ne le sait sans doute pas, mais les œuvres les plus connues de Hokusai ont été réalisées lorsque l’artiste approchait la soixantaine. Hokusai aura eu femme et enfants, le film ne fait d’ailleurs pas l’impasse sur sa vie de famille, mais son amour de la peinture aura été plus fort que tout, et il partira explorer son pays pour en rapporter des idées pour ses estampes. Hashimoto Hajime nous montre Hokusai arpenter le Japon à la recherche de la peinture parfaite, artiste en plein voyage sensoriel pour exprimer de la plus belle des façons ce qu’il perçoit du monde qui l’entoure. Et si parfois il peut donner l’impression de glisser vers une sorte de folie destructrice, il semblera toujours mû par une inarrêtable passion pour la peinture, jusque dans ses derniers instants.

Pour illustrer le parcours de son artiste, le réalisateur opte pour une mise en scène plutôt sobre, sans excès ni affèteries. Soignant sa photo et sa direction d’acteurs, Hashimoto Hajime délivre un film soigné, que d’aucuns pourront trouver peut-être un peu classique voire académique, mais pourtant traversé de séquences à la beauté plastique étonnante, surtout dans sa deuxième partie, avec par exemple une scène d’épiphanie artistique en pleine tempête, où se mêlent torrents de pluie et explosions de peinture bleue. Et si l’on veut vraiment chercher un défaut à formuler au film, ce serait d’avoir consacré plus de temps aux jeunes années du peintre qu’au crépuscule de son existence, période de productivité et de création sans aucune mesure, lui-même ayant déclaré qu’il n’avait vraiment commencé à exister artistiquement qu’à 70 ans…

En conclusion, on pourra sans aucun doute très fortement recommander Hokusai à qui voudrait s’intéresser à ce monument de la culture japonaise, aller au-delà des incontournables travaux du maître et découvrir le génie passionné qui se cache derrière l’artiste. Un film à la mise en scène classique mais stylée, bien interprété et loin du biopic sans originalité que l’on pouvait redouter. Une bonne surprise, en somme.

Romain Leclercq.

Hokusai de Hashimoto Hajime. Japon. 2020. En salles le 26/04/2023