VIDEO – DONBASS de Sergei Loznitsa : Requiem pour un massacre

Posté le 16 mars 2019 par

Sorti en salles le 26 septembre 2018, le nouveau pavé dans la face de Sergei Loznitsa est disponible en DVD depuis le 5 février dernier chez Pyramide Films. Prix de la mise en scène de la sélection Un Certain Regard à Cannes 2018, Donbass rappelle à qui veut l’entendre toute la puissance du cinéma de l’auteur d’Une femme douce.

Synopsis : Dans le Donbass, à l’est de l’Ukraine, une guerre hybride mêle conflit armé ouvert et saccages perpétrés par des gangs. Dans le Donbass, la guerre s’appelle la paix, la propagande est érigée en vérité, la haine prétend être l’amour. Cela ne concerne pas une région, un pays ou un système politique, cela concerne l’humanité et la civilisation en général. Cela concerne chacun de nous.

Une douzaine de sketchs dans le théâtre friable et décrépi de Donbass : république populaire de Donetsk, un État sécessionniste de l’Ukraine autoproclamé le 7 avril 2014. Voilà un premier coup de projecteur qui met tout de suite les points sur les i. Fou, inventif, irrévérencieux, malaisant, glauque, drôle, provocateur… Difficile, extrêmement difficile, de définir cette première vision et l’abandon dans la psyché malade et inventive de Loznitsa. Entre une partie de cartes à bord d’un train qui déraille et une pause clope devant le film de Klimov en somme… Le réalisateur de Dans la brume est tout sauf un engrenage à zygomatiques, c’est évident. Encore que, certains moments quasi burlesques sont particulièrement hallucinants. Conteur exigeant voire agressif (pas de flux narratif ici donc mais une suite d’histoires courtes), le réalisateur est tout simplement un révolté. De ceux qui portent l’humanité au plus profond de leurs tripes. Imprévisible, ce tableau aux 13 facettes est en soi une vision partisane du conflit que nous nous garderons bien de qualifier. Elle oppose ainsi, depuis 2014, l’Ukraine et la Russie. Profanes, nous le sommes quant à la réalité du conflit. Dans cette région en particulier, se multiplient les exactions, la violence la plus crue, la propagande d’un autre temps, la corruption bureaucratique ou l’injustice la plus évidente. C’est donc cette traversée du Styx, en guenilles et sous les fourches caudines russes que le metteur en scène laisse éclater sa rage. Fracturant son récit comme les corps décharnés, Donbass possède au moins sa martingale et c’est cela qu’il en devient attachant. Faire basculer l’atrocité et le désespoir dans le burlesque, le grotesque.

Prix de la mise en scène à Cannes et adoubé par Benicio Del Toro, ce melting-pot de saynètes plus ou moins réussies (le propos est tellement accusateur qu’il en devient douteux malgré la triste célébrité des méthodes russes de répression) ressemble en soi à son propos : désorganisé ? partisan ? Bordélique tout simplement. Mais une chronique de guerre, sincère et crachée aux yeux du monde peut-elle en être autrement ? Loznitsa empoigne alors son objectif comme une kalachnikov et ses comédiens en guise de char d’assaut. A la lecture des avis de spectateurs, on se perd dans nos certitudes. Sans repères pour qui n’a jamais mis les pieds en Ukraine, sans érudition historique : les enjeux en deviennent locaux et sa portée perd de sa puissance. Film de lutte contre une société en sécession, régressive, frustrée et vouée aux lynchages pour certains, il est pour d’autres un tract propagandiste (et la boucle est bouclée) occidental. La Crimée et le Donbass n’auraient jamais été partie intégrante de l’Ukraine historique et Loznitsa est un simple porte-voix des USA…

Jusqu’au-boutiste, l’illustration du cinéaste laissa KO les spectateurs cannois lors du dernier festival. Lorsqu’au dernier segment, après avoir subi ces sketchs (de la scène de bombardement à la torture), le metteur en scène décide de nous achever lors d’un terrible épilogue : c’est la planète cinéma qui s’en trouve chamboulée. Bien que son dispositif de 13 courts-métrages soit un peu éculé voire paresseux, Loznitsa sauve son discours par la rudesse et l’inventivité (inégale) de sa réalisation. Illustrer des vols, la violence la plus décomplexée ou l’absurdité d’un affrontement sans l’étalonnage délirant d’un Eli Roth dans Hostel par exemple : c’est compliqué mais pas impossible. Par l’utilisation de tics célèbres, le film s’abandonne alors à une certaine facilité. La rétine d’une caméra qui vacille, une steadicam qui tourne autour d’un personnage, qui se balade dans l’unité de lieu ou lors un plan fixe clinique. C’est exactement ce genre de gimmick qu’emprunte le réalisateur : tantôt inventif mais souvent académique donc. Un peu comme si, à l’image de ces conflits larvés, la gangrène gagnait peu à peu sa caméra. D’une respiration brûlante de vapeur de souffre à une brise douce et salvatrice dans les yeux, le cinéaste a choisi son camp. Le pamphlet politique par le drapeau du septième art. Une chronique de guerre outrancière, partisane, maladroite mais qui laisse une tonne de sentiments contradictoires sur le cœur.

Pour une vision extérieure, c’est une région déchirée par la guerre. Un énième conflit entre séparatistes et une armée aux ordres. Un no man’s land ironiquement peuplé de gangs. Au centre de joutes verbales inaudibles, absurdes et pourtant primordiales pour tous ceux qui y grandissent : le tragi-comique documenteur n’est plus que tragédie. Un mal qui laissera toutefois de marbre bon nombre de cinéphiles : de l’empathie mesurée au doute, de la protection au prisme désagréable d’un cinéma formaliste et militant. Du seau de merde au lynchage, vous êtes prévenu. Donbass c’est du Shrapnel. Bienvenu, mais du Shrapnel quand même.

Liste des bonus DVD

La fabrique des sons – master class de Sergei Loznitsa (34mn)
Bandes annonces : Donbass, Faute d’amour, Léviathan

35 minutes de masterclass au Centre Pompidou en compagnie du cinéaste en 2018. Rien de révolutionnaire en soi, on y confirme son implication dans tous les aspects du film (vu le manque d’objectivité on aurait eu du mal à le prendre pour un film de commande !). Le son (et la nécessité de ne pas se limiter au son direct, notamment lors des scènes mettant en lumière des soldats), le sous-titrage simultané, le montage et surtout une post prod et un mixage sonore qui sublime le film. Respirations, bottes qui claquent, sirène, le documentaire est un indispensable des écoles de cinéma. Dommage qu’ils n’aient pas appliqué leur science au tournage des premières minutes du bonus, inaudibles. Techniquement enfin, il s’agit d’un DVD simple donc en SD. Pas de détails sur les visages, mais une colorimétrie extrêmement froide. Certains apprécieront. Le mixage 5.1 est basique : les voix sont centrées mais la spatialisation est globalement maîtrisée.

Donbass de Sergei Loznitsa. Disponible en DVD chez Pyramide Films le 05/02/2019.

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