Présenté à l’occasion de la 11e édition du Paris International Fantastic Film Festival (PIFFF) dans un master inédit, et qui sera distribué prochainement par Spectrum Films, Electric Dragon 80.000 V d’Ishii Sogo a électrisé le fabuleux écran panoramique du Max Linder.
Dragon Eye Morrison, électrocuté enfant, développe des pouvoirs en lien avec l’électricité. Un jour, il croise le chemin de Thunderbolt Buddha, lui-même électrocuté durant son enfance et affublé de capacités similaires, qui ne cesse de le provoquer. C’est avec ce synopsis hallucinant qu’Ishii Sogo délivre un objet à mi-chemin entre le délire complètement assumé et le film somme.
Cyberpunk, Electric Dragon 80.000 V l’est sans conteste ; non pas dans un discours anticipatif vertigineux et inquiétant, mais bien dans un constat désabusé et surtout, défaitiste : notre contemporain est l’essence du cyberpunk d’antan. Malgré son délire fiévreux centré autour de l’électricité, Ishii ne place pas son intrigue dans un futur proche, ou bien encore dans un univers fantasque, mais bien dans le Tokyo actuel (du moins, de 2001, année de sortie du film), puisque ce qui l’intéresse obsessionnellement ici, se trouve déjà dans la capitale. C’est ainsi qu’il la filme de ses caniveaux à ses toits, tout en s’arrêtant sur ses rues envahies de poteaux et câbles électriques, de voitures, d’antennes relayant des ondes à travers la ville, en passant par les portables vissés aux oreilles des Tokyoïtes recevant ces mêmes ondes.
En bref, le cyberpunk n’est plus une anticipation de S-F angoissante, aux technologies de plus en plus développées et ayant un lien de plus en plus étroit avec l’humain et sa nature, il est, dans ce film, un simple constat contemporain. C’est en ce sens qu’il s’attarde sur des pratiques quotidiennes telles qu’aller sur internet, téléphoner, ou bien encore toute autre interaction avec la technologie qui n’est plus concevable comme étrangère à notre quotidien. Et c’est ainsi que nos deux personnages sensiblement surhumains, ne faisant plus qu’un avec l’électricité, ne sont pas tant éloignés des Tokyoïtes se baladant téléphone à la main (on pourrait presque penser qu’ils sont en retard, du fait de leur design quasi-anachronique, à mi-chemin entre le sentai des années 80 et le cliché du jeune délinquant de la même époque). Ils puisent simplement dans l’électricité d’une manière différente, mais pas si détonante, du reste de la population. Ils n’ont plus besoin de relais technologiques. De fait, si tout cela ne constitue qu’une toile de fond dans le film, celle-ci reste tout à fait fascinante et justifie à elle-même l’originalité du métrage, originalité d’autant plus frappante que, 20 ans plus tard, le cyberpunk contemporain verse dans une nostalgie anachronique et une anticipation totalement dépassée, tandis qu’Electric Dragon 80.000 V saisit déjà que ce dernier n’est plus une rêverie angoissée, mais bien un état de fait.
Plus qu’un petit bijou thématique, le film est une véritable bombe stylistique dans laquelle la caméra se faufile partout, allant du plus étroit au plus vaste, captant du plus simple au plus insaisissable. Cela ressemble quasiment à une capsule temporelle cinématographique ré-ouverte, attestant à la fois de la carrière d’Ishii et de son influence sur le cinéma japonais contemporain, tout comme de ce qui l’a influencé et son univers atypique. Tout cela afin d’offrir une œuvre unique, sonnant à s’y méprendre comme un chant du cygne du cinéma punk japonais. Puisqu’en effet, si sa réputation de film furieux n’est pas mensongère, il ne faudrait surtout pas mettre sous le tapis le calme qui cohabite avec cette puissance punk galvanisante. La bande-son noise si marquante du film, côtoie aussi une partition bien plus calme, à la limite de l’ambient. Les scènes de folie furieuse, laissant la caméra s’imprégner de la violence, de la vitesse et de la rage de nos personnages, notamment dans de formidables scènes de défouloir à l’aide d’une guitare électrique, sont accompagnées de scènes bien plus posées, laissant la caméra contempler cette fois-ci une ville, ses toits, son ciel, ses habitants et leurs habitudes. C’est aussi le cas de l’affrontement emblématique du film entre nos deux protagonistes. Tandis qu’il se trouve au centre de tous les synopsis, des affiches et même de l’iconographie entourant le film, il n’en représente au final qu’une très faible partie.
Electric Dragon 80.000 V, malgré sa très courte durée, prend son temps. Il prend le temps de poser des petites balises, que le spectateur choisira de saisir ou non. Il prend le temps de construire un petit univers unique, en y appliquant une très grande attention que ce soit dans ses aspects les plus grotesques aux plus ordinaires. Il ne serait d’ailleurs pas aussi prenant s’il n’était qu’un aller-simple vers la rage, puisque c’est grâce à cette construction que les personnages, aussi ridicules puissent-ils paraître sur le papier, deviennent alors de véritables protagonistes magnétiques. C’est parce qu’Ishii apporte ce soin tout particulier à n’importe quel aspect de son film, qu’il ne propose pas qu’un simple délire cinématographique complètement assumé et jouissif (ce qui serait déjà une très grande réussite), mais bien un petit chef-d’œuvre du cinéma japonais contemporain.
Thibaut Das Neves
Electric Dragon 80.000 V d’Ishii Sogo. Japon. 2001. Projeté au PIFFF 2022