Dans le cadre de la rétrospective consacrée à Tanaka Kinuyo, La Lune s’est levée (1955) témoigne de tout un pan de l’âge d’or du cinéma japonais dont s’est nourrie l’actrice avant de passer à la réalisation, et de nous servir ce superbe drame romantique dans la grande tradition des shomingeki. En salles à partir du 16 février 2022, dans son incontournable restauration 4K distribuée par Carlotta Films.
M. Asai vit à Nara auprès de ses trois filles : l’aînée Chizuru, revenue au domicile familial après la mort de son mari ; la cadette Ayako, en âge de se marier mais peu pressée de quitter les siens ; et la benjamine Setsuko, la plus exubérante des trois sœurs qui rêve de partir s’installer à la capitale. Cette dernière est très proche de Shoji, le jeune beau-frère de Chizuru qui loge dans un temple à proximité des Asai. Un jour, il reçoit la visite d’un ancien ami, Amamiya, qui se souvient avec émotion d’Ayako, rencontrée durant sa jeunesse. Setsuko est persuadée que celui-ci a toujours des sentiments pour sa sœur et va tout faire pour forcer le destin.
Mizoguchi Kenji, Ozu Yasujiro, Naruse Mikio, Kinoshita Keisuke. Autant d’illustres noms qui ont façonné le cinéma japonais, et ont eu l’honneur partagé de porter Tanaka Kinuyo à l’écran à de multiples reprises. C’est donc tout naturellement que le travail de ces cinéastes se retrouve dans celui de la réalisatrice, en particulier dans La Lune s’est levée (1955), fruit d’un scénario écrit par Ozu Yasujiro lui-même en 1947 mais que la Shochiku refusa de financer. Huit ans plus tard, la Nikkatsu donne finalement le feu vert à Tanaka pour adapter le script à sa seconde réalisation, avec le bien connu Ryu Chishu dans le rôle du patriarche.
Ce film hérite de tout le savoir-faire des metteurs en scène de son époque en matière de homu dorama (home drama ou drame domestique) et de shoshimin eiga (ou shomingeki), petits théâtres populaires portés sur des gens simples dans la vie de tous les jours, prenant souvent place au sein d’un foyer où cohabitent plusieurs générations de personnages. Un registre et répertoire de formes typiques des cinéastes précédemment cités. Loin des acquis du genre, Tanaka insuffle une modernité cinématographique notable à son métrage qui se conjugue à merveille à l’écriture d’Ozu.
Chaque personnage est développé sur un pied d’égalité sans que l’un ne fasse de l’ombre à l’autre, mais c’est bien autour de la benjamine Setsuko (interprétée par Kitahara Mie) que gravite le foyer. Pétillante, généreuse et pourvue d’une pointe de malice, elle est instigatrice de changements dans la vie de ses sœurs (interprétées par Yamane Hisako et Sugi Yoko), toujours à se mêler adorablement de leurs affaires. La complicité qui les unit n’est pas sans rappeler celle des films de Kore-eda Hirokazu, notamment Notre petite sœur (2015), où plusieurs personnalités se confrontent en symbiose. La Lune s’est levée raconte avant tout, sous la forme d’un récit d’émancipation, le départ du foyer, symbolisé par la présence de la lune chaque fois qu’un évènement vient perturber le quotidien de l’une des sœurs. Un ton plus ou moins mélancolique est donc adopté, mais Tanaka adoucit considérablement l’écriture d’Ozu afin de préserver la légèreté du propos et du comique de situation (les nombreux quiproquos), choses que la mise en scène rend compte en faisant gage d’une certaine sobriété. Ainsi, jamais le spectateur ne se perd dans les doutes et les angoisses de chacune.
Avec La Lune s’est levée, Tanaka Kinuyo se fait ambassadrice de son ami et collègue Ozu Yasujiro, dont les nombreux motifs se voient étoffés par un regard féminin empli de fraîcheur pour l’époque.
Richard Guerry.
La Lune s’est levée de Tanaka Kinuyo. Japon. 1955. En salles le 16/02/2022.