The Fable, adaptation en long-métrage par Eguchi Kan du manga éponyme de Katsuhisa Minami, découverte en 2019 lors de L’Etrange Festival, vient de sortir sur Netflix.
Très fidèle au manga, nous retrouvons dans The Fable l’histoire de ce tueur à gages mystérieux (Okada Junichi), tellement surpuissant qu’il constitue une véritable légende urbaine chez les yakuza et autres acteurs du monde criminel tokyoïte et en tire son surnom de « Fable ». Après une énième mission de mise à mort d’un groupe yakuza entier, armé d’un unique pistolet, Fable se voit inviter gentiment par son mentor et boss à prendre des congés et à faire profil bas. Fable, renommé Akira, et sa fidèle collègue (Kimura Fumino) surnommée Yoko, sont contraints de déménager à Osaka, de jouer au frère et sœur les plus lambda et invisibles possibles et, bien évidemment, de ne tuer personne, sous peine d’être eux-mêmes assassinés. Si une telle adaptation à la vie simple et sans histoires peut déjà paraître ardue pour deux tueurs professionnels, l’affaire se complique quand Akira se retrouve malgré lui mêlé au déchirement intérieur du groupe yakuza censé l’accueillir et couvrir ses arrières à Osaka.
Nous retrouvons dans The Fable des éléments qui ne manqueront d’évoquer des multiples références à quiconque est amateur d’histoires de yakuza et de tueurs à gages, à commencer par l’incontournable La Marque du tueur de Suzuki, en ce qui concerne notamment les guerres intra-milieu des assassins professionnels ainsi que les nombreuses particularités incongrues du protagoniste. Ici, Fable n’est non pas obsédé par l’odeur du riz en train de cuire mais ne mange sa nourriture que tiède et est le fan le plus dévoué d’un acteur comique grotesque qui fait des sketch télévisés au goût douteux. Néanmoins, si The Fable ne prétend pas renouveler les codes des histoires de yakuza, il s’amuse à proposer des variations sur le sujet qui ont le mérite de très bien fonctionner. Le principe, qui pourrait sembler somme toute contre-productif, de montrer un tueur à gages dans l’impossibilité de tuer qui que ce soit, permet de mettre en scène une panoplie de combats inventifs et audacieux. Lorsque l’on compare la première scène du massacre du clan yakuza à celles où Fable doit se contenter de maîtriser ses adversaires sans trop les amocher, on apprécie très clairement l’existence d’une aussi lourde contrainte. Les combats, pour la plupart au corps à corps, sont très convaincants et les chorégraphies divertissantes comme il le faut, ce qui ne surprend pas de la part de l’équipe de Jackie Chan mobilisée sur le projet.
Or, si de la bonne action il y a, la vraie et surprenante force de The Fable se trouve être son mélange des genres qui joue sur toutes les attentes du spectateur. Une bonne partie du film évacue complètement le danger et la tension pour miser sur des scènes de tranche de vie de ce tueur très particulier et en décalage avec la réalité. Ce pari risqué fonctionne presque trop bien puisqu’il rend le quotidien de Fable plus divertissant à observer que les intrigues sur les membres du groupe yakuza qui paraissent moins originales et inventives en comparaison. L’humour des situations de cet homme, élevé dans la forêt et ne connaissant que le meurtre et la survie, qui doit soudainement apprendre à sociabiliser, à passer des entretiens d’embauche pour des petits boulots et qui finit par gagner sa vie en réalisant des dessins approximatifs pour des flyers publicitaires est extrêmement rafraîchissant et touche très juste. La question de ce qui constitue la normalité et comment trouver sa place dans la société a beau ne pas être nouvelle, elle est traitée ici avec beaucoup de candeur et d’affection pour les personnages, ce qui rend ces moments d’adaptation au monde sensibles, en prime de la comédie pure. Cette crédibilité est clairement en grande partie due à une interprétation impeccable de Okada Junichi qui joue très finement le décalage social de son personnage, ce qui contribue à le rendre encore plus drôle et, surtout, attachant. On se surprend donc à souhaiter que les scènes de tranche de vie soient encore plus nombreuses et prégnantes, ce qui, pour un film d’action qui en contient déjà énormément, est suffisamment remarquable pour être noté. On apprécie également le fait que la narration évite certaines lourdeurs et écueils sur la vie personnelle des personnages, à l’instar de la possible relation romantique qui unit Fable et une de ses nouvelles collègues, Misaki (Yamamoto Mizuki) qui reste ébauchée et échappe à une conclusion forcée et grossière.
The Fable est donc une très bonne surprise à plusieurs égards puisque le film propose énormément et même si certains éléments sont moins intéressants (l’intrigue concernant Misaki et les yakuza qui cherchent à lui imposer de se prostituer ne semble pas très crédible, alourdit le film et se révèle clairement dispensable), il réussit à construire un univers détonant à partir d’éléments d’intrigues pourtant relativement classiques et mérite le coup d’œil.
Elie Gardel.
The Fable de Kan Eguchi. Japon. 2019. Disponible sur Netflix.