En ce mois de juillet, on ne compte plus les sorties asiatiques. Depuis hier, vous pouvez découvrir dans les salles obscures un film kazakhstanais réalisé par Yerlan Nurmukhambetov et Takeba Lisa, Les Voleurs de chevaux. Une échappée dans les plaines kazakhes qu’il ne faut pas rater.
Dans Les Voleurs de chevaux, nous découvrons le quotidien d’un enfant élevé dans les grandes steppes du Kazakhstan, et qui voit son quotidien bouleversé lorsque son père, éleveur et vendeur de chevaux, se fait brutalement assassiner par des voleurs de chevaux.
En se basant sur ce fait divers, le metteur en scène, accompagné de la réalisatrice japonaise Takeba Lisa (rencontrée et sollicitée, pour la petite histoire, dans un festival), dresse un portrait naturaliste de cette communauté qui semble, comme souvent dans le cinéma kazakhstanais, coupé du monde et en dehors du temps. On retrouvera d’ailleurs de nombreuses similitudes avec le cinéma d’Adilkhan Yerzhanov, notamment par cette absence de repère géographique, temporel et social, avec ces petits villages loin de toute civilisation mais qui deviennent pourtant le théâtre de nombreux crimes et délits. Ici, il est question d’un meurtre commis sur un villageois tout ce qu’il y a de plus respectable, et de ses conséquences sur la petite communauté.
Mais là où Adilkhan Yerzanov faisait intervenir le monde extérieur pour venir perturber ce petit entre-soi rural, ici il ne sera jamais question d’une quelconque enquête pour tenter de trouver les coupable du crime. Visiblement, ce n’est pas ce qui intéresse les deux scénaristes. Le script se concentre sur les retombées familiales et humaines du drame, et ce principalement à travers les yeux du plus âgé des fils du défunt. A hauteur d’enfant, le spectateur découvre les rites et traditions de cette communauté qui voit disparaître l’un de siens, sans chercher, elle non plus, à identifier les responsables.
Sans jamais tomber dans le pathos et le voyeurisme, les deux réalisateurs dressent un portrait touchant et humain des deux membres de la famille les plus affectés par le drame, à savoir l’aîné des fils et sa veuve. Tous les deux sont interprétés, respectivement, par un jeune comédien bluffant de justesse dans son rôle de fils ayant perdu ses repères et son modèle paternel, et par une actrice remarquable, Samal Yeslyamova, à qui échoit un rôle plus compliqué. En effet, en plus d’avoir perdu sa principale source de revenus pour le foyer, elle va devoir faire face à la rancœur des femmes du village qui la désignent arbitrairement comme la grande responsable de la mort de son mari. Qui plus est, au détour d’une séquence, elle voit revenir l’oncle de son fils (interprété par le comédien japonais Moriyama Mirai, vu notamment dans la série de films Shokuzai), qui avait mis les voiles des années auparavant, et qui refait surface, sans aucune explication.
Un des point forts de la mise en scène est l’exploitation, au maximum, des grands espaces offerts par les plaines kazakhes pour faire exister les protagonistes, au lieu de l’enfermement des personnages, au sens propre comme au figuré, dans leur solitude et leur maison désormais trop silencieuse après un décès. Les chevaux ont beau avoir été à l’origine de la mort du père, c’est à dos de cheval et accompagné de son oncle que le fils va recommencer à vivre, en sillonnant les étendues battues par le vent. Fuite en avant ou émancipation, ce n’est jamais clairement expliqué, mais il se crée entre le fils et son oncle une relation qui, nous y reviendrons, soulève quelques interrogations.
En effet, si le film est une remarquable réussite en terme de mise en scène esthétique et de direction d’acteur, il est un peu plus frustrant lorsqu’il est question du scénario. Le film est court, il dure 1h23, (superbe) générique inclus. Cela a ses bons côtes (pas de temps mort, le script est dégraissé de tout élément narratif inutile) mais en l’occurrence, certains aspects du script auraient gagné à être un peu plus développés. Ainsi, on ne connaîtra jamais réellement les raisons du retour de l’oncle, mais on sent une alchimie entre les deux personnages qui laissent entrevoir une piste de réflexion qui aurait gagné à être plus longuement développée (hypothèse plus ou moins confirmée dans le plan final, libre d’interprétation). Même constat pour le parcours de la mère, personnage féminin fort mais qui aurait pu bénéficier d’un développement plus conséquent, surtout après sa confrontation avec les autres femmes ou bien le retour de l’oncle qui semble plus l’affecter psychologiquement que le film ne le montre.
Pour autant, malgré ses menus défauts d’écriture, Les Voleurs de chevaux demeure, sous des aspects de drame familial aux frontières du western, une très appréciable bouffée d’air pur, avec une mise en scène qui sait mettre en avant des paysages kazakhstanais, d’une beauté sauvage à tomber, sans oublier de filmer un touchant et délicat portrait de famille brisée.
Romain Leclercq.
Les Voleurs de chevaux de Yerlan Nurmukhambetov et Takeba Lisa. Kazakhstan-Japon. 2019. En salles le 28/07/2021