Le Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF) a sélectionné dans sa catégorie New Cinema From Asia le film japonais Beyond the Infinite Two Minutes. Première œuvre du jeune cinéaste et directeur de la photographie, Yamaguchi Junta, le film tente de nous plonger dans une expérience de cinéma fascinante entre Alain Resnais et Kon Satoshi.
Kato, jeune propriétaire d’un bar découvre que la télé de son appartement et celle de son bar sont connectées. Le problème, c’est que celle de sa chambre est en avance de 2min sur son présent, et celle de son bar en retard de 2min. Lui et ses amis/collègues comprennent donc très vite le potentiel fantastique et « sci-fi » de la découverte, dans la mesure des fenêtres leur ouvre des visions sur leur futur et leur passé. Si ce concept promet une œuvre fascinante voire vertigineuse, le jeune cinéaste est paradoxalement piégé par son ambition narrative et esthétique à l’aune des contraintes de la création d’une telle œuvre.
Ainsi, Beyond the Infinite Two Minutes se déploie à travers un plan-séquence « unique » qui capte les deux espaces de l’action dans une seule unité de temps pour nous plonger petit à petit dans l’émerveillement métaphysique de son expérience puis dans l’effroi. Le principal mouvement de l’œuvre est donc la répétition, on monte et on descend, on fait à la fois le champ et le contre-champ d’un dialogue avec soi-même, on voit en filigrane la genèse de l’œuvre dans son déroulement. Comme dans les œuvres d’Alain Resnais, notamment Je t’aime, je t’aime (1968), le voyage temporel est un prétexte narratif qui permet une exploration esthétique débridée des potentialités du cinéma, à travers le montage et à travers la conscience de lui-même, pour au final explorer l’univers de l’esprit humain. C’est un cinéma qui a comme postulat qu’il est indissociablement lié à la vie des gens et au monde contemporain. Par conséquent, les protagonistes des œuvres sont conscients que leur situation est celle d’une œuvre de science-fiction dès lors que la thématique temporelle surgit. Ils sont conscients de mettre en scène leur existence pour le meilleur et pour le pire. C’est peut-être cette volonté d’injecter une sorte d’émerveillement naïf à une vision post-moderne du cinéma qui est fascinante et hypnotisante dans un premier temps. Il y a même une fragilité dans le dispositif de Yamaguchi Junta qui laisse penser que le réel contemporain, pourtant marqué par l’omniprésence des écrans, pourrait être sujet à un enchantement par l’objet même de son désenchantement, surtout par une sorte de logique alchimique ou cérémonielle enfantine de l’incarnation de l’Effet Droste (dont c’est le nom de l’œuvre en japonais). Le premier temps de l’œuvre nous laisse nous perdre dans cette douce illusion proche d’un épisode de Twilight Zone ou de son hommage japonais, Twilight Q. La science-fiction lo-fi retrouve, avec les 40 premières minutes de l’œuvre, un charme psychédélique qui parvient à faire oublier la rigueur et la discipline technique à l’œuvre sous nos yeux.
Mais là ou Resnais et Kon Satoshi expriment leur génie, c’est justement par la transcendance voire l’éclatement de leur dispositif visible dans le tourbillon, le maelstrom d’émotions et d’affects, le vertige de la conscience sur elle-même donc sur une harmonie merveilleuse entre l’abstraction et la plus simple figuration. Dans le court-métrage Ohayo (2008), Kon Satoshi explorait une vision similaire qui montrait le réveil d’une jeune femme à travers la figuration de ses actions par différentes incarnations spectrales dans le même espace, en jouant sur la latence, le décalage, l’émotion qui dominent cet instant entre le sommeil et l’éveil. La réussite de l’œuvre se joue dans l’absence de tension, dans l’harmonie, entre l’idée et son incarnation, entre l’esprit et le corps pour paradoxalement exprimer une situation de parallaxe. C’est la limite de la première œuvre de Yamaguchi Junta qui greffe une histoire de yakuza à sa romance et qui l’oblige à déplacer son cinéma en dehors de sa boucle. Ce n’est pas inintéressant car cela permet aussi un jeu entre la prison de la causalité et de la narration qu’est la télévision temporelle, et les possibles du cinéma qui sont le hors-champ de cette dernière. Une réflexion ludique entre le visible de la télévision et l’invisible du cinéma est parfois perceptible, dans le flot de la séquence unique que constitue l’œuvre. Mais le jeune cinéaste, aussi directeur de la photographie, est justement trop pris par la mise en scène de son œuvre comme une performance et pas assez par le travail d’une émotion qui rythmerait son dispositif comme chez les cinéastes cités.
Ainsi l’œuvre reste bien trop sage et trop en surface dans la captation des émotions en jeu durant ces 1h10, et pas assez abstraite pour que le choc plastique provoque une quelconque émotion. Les péripéties semblent programmatiques et leur impact est bien plus de l’ordre du coup de coude voire de l’esbroufe que de l’évolution en crescendo de cette situation psychédélique, le personnage principal étant musicien. C’est ce qui empêche Beyond the Infinite Two Minutes de nous emporter, alors que sa mélodie est plaisante et son rythme lancinant, la structure de la chanson semble limiter le flot onirique de la musique. Même si l’ambition du cinéaste est dévoilée dans le dialogue final (proposer une expérience similaire à des histoires courtes de manga/littérature fantastique), les propositions de Yamaguchi Junta sont assez belles pour que l’on continue à suivre ce jeune cinéaste qui, dans un futur proche, pourrait compter dans le paysage du cinéma japonais.
Kephren Montoute
Beyond the Infinite Two Minutes de Yamaguchi Junta. Japon. 2021. Sélectionné au NIFFF 2021