EN SALLES – Et la vie continue d’Abbas Kiarostami (en salles le 02/06/2021)

Posté le 3 juin 2021 par

Près de 5 ans après la disparition d’Abbas Kiarostami, Mk2 Films et Carlotta Films organisent une rétrospective qui rend hommage à ce créateur majeur, visionnaire et espiègle. Chefs-d’œuvre de sa carrière de cinéaste et trésors inédits en version restaurée sont montrés pour la première fois au public français à partir du 2 juin 2021. On poursuit avec Et la vie continue.

Où est la maison de mon ami ? fut un énorme succès dans le monde entier. Quelques années plus tard, un tremblement de terre sur les anciens lieux du tournage pousse le réalisateur Abbas Kiarostami à retourner filmer dans le village qui fut le cadre du film. Il créé ainsi un deuxième volet à ce qui devient la trilogie de Koker.

En 1990, un terrible tremblement de terre a lieu dans le nord-ouest de l’Iran. Un réalisateur et son fils s’inquiètent de savoir ce que sont devenus les deux jeunes héros du film Où est la maison de mon ami ? qui résident à Koker, une localité touchée par le séisme. Ils partent de Téhéran en voiture et traversent l’Iran avec pour objectif de les retrouver. Ils rencontreront de nombreuses personnes sur leur chemin.

Ce n’est pas une surprise pour celui qui connaît un temps soit peu les gimmicks de Kiarostami, mais Et la vie continue ne constitue pas une suite à Où est la maison de mon ami ? comme on aurait pu l’imaginer, c’est-à-dire en réutilisant la diégèse du premier film et en suivant les personnages dans leur réalité. Ahmad et Mohammad n’existent plus que comme les personnages de fiction qu’ils sont, et le protagoniste principal est à la recherche de leurs deux interprétés réels. Kiarostami n’entre cependant jamais dans le registre du docu-fiction, et bien qu’il aie à cœur de tourner sur place avec les habitants locaux comme acteurs, dans une position sociale très proche de celle qu’ils occupent à des fins naturalistes, il lui importe de régner en créateur sur son œuvre. Ainsi, l’histoire qu’il raconte, même si elle fait écho à ce que lui-même entreprend en retournant à Koker et Poshteh, n’est que pure invention, et les interactions entre les personnages demeurent des échanges créés, contrôlés et captés par un artiste démiurge. Kiarostami utilise le réel comme cadre, le déforme par une succession de « mensonges », pour accéder à une « vérité supérieure » selon ses dires. Cette vérité qu’il recherche se situe dans la contemplation et le bonheur de toutes choses. Lorsque qu’il utilise un acteur pour le représenter, pour jouer son rôle, il manipule la réalité. Lorsqu’à la fin, le plan de voiture montant le mont, cadrée comme une peinture persane, laisse au suspend l’interrogation du film – va-t-on retrouver les petits interprètes d’Ahmad et Mohammad ? -, il accède à cette vérité que la vie continue, et que nous devons savourer chaque instant, chaque élément de la nature.

Avoir choisi de faire du premier film de la trilogie de Koker, un film dans le film, correspond à une continuité avec Close-Up, sorti en 1990. Dans Close-UpKiarostami fait intervenir le cinéma dans le réel, et ce faisant, influence le cours de la justice et l’opinion des plaignants sur le cas Sabzian, un homme sans activité qui s’est fait passer, par ennui ou manque de reconnaissance, pour un réalisateur célèbre auprès d’une famille aisée. Le metteur en scène iranien le dira lui-même, Close-Up est un film qui lui a échappé, le seul dont il n’a pas eu l’impression, en le regardant, qu’il l’avait tourné lui-même, car l’évolution des personnages/personnes à la suite de l’intrusion du cinéma dans leur vie est aussi grande qu’inattendue. À partir de ce film, Kiarostami accentue le lien ambigu entre les éléments réels et ce qui relève de la main du réalisateur, c’est-à-dire le mensonge. Cela se manifeste par la citation explicite des composantes du cinéma – Kiarostami qui parle de visu avec Sabzian dans Close-Up, l’existence du film Où est la maison de mon ami ? dans la diégèse de Et la vie continue – et contribue à faire évoluer tout un pan théorique du l’art cinématographique.

 

On le verra dans Le Goût de la cerise en 1997 et Le Vent nous emportera en 1999, et on en distingue les contours déjà nets dans Où est la maison de mon ami ? : Abbas Kiarostami est un cinéaste de la rencontre. Ses personnages portent en eux un objectif, souvent une lubie propre à eux-mêmes, et se perdent dans les campagnes iraniennes pour parvenir à l’atteindre. Et se perdre dans un décor est synonyme de rencontrer de nombreuses personnes, issues de condition modeste, qui ont tiré une expérience de leur dure réalité et qui vont la partager avec le personnage principal. Et la vie continue sonne quelque peu comme une parenthèse contemplative à la trilogie de Koker, une sorte d’état des lieux de ses obsessions de cinéma. L’évènement du séisme dans ce lieu précis est l’occasion pour Kiarostami d’évoquer le temps qui passe en se demandant ce que sont devenus ses acteurs, d’établir le portrait des Iraniens et leur résilience face au drame, et de montrer ces décors somptueux auxquels il tient tant, formant ainsi un film plein de peintures et de poésie persanes.

Maxime Bauer.

Et la vie continue d’Abbas Kiarostami. Iran. 1991. En salles le 02/06/2021