Précédé d’une aura quasi culte pour certains gamers au pays du soleil levant, l’adaptation du réalisateur Sugai Shinya en anime du célèbre jeu vidéo Dragon’s Dogma de Capcom (qui collabore sur la série) est disponible depuis septembre 2020 sur Netflix.
Narrant les aventures d’Ethan (aussi appelé L’ insurgé), héros au cœur brisé des plus convenus (du moins au départ), l’entame de cette première saison plonge le futur papa dans une forêt où plusieurs mauvaises rencontres (une meute de loups puis… mais quel suspense !) décidera pour lui d’un périple mêlant souffrance, sacerdoce et quête vengeresse. En attendant la saison 2 de The Witcher ou l’adaptation de Monster Hunter de P W.S Anderson (qui fut un jour réalisateur d’Event Horizon…), plongée dans la nouvelle poules aux œufs d’or de Netflix, une nouvelle licence de jeu vidéo à adapter.
Synopsis : Le Dragon qui est apparu soudainement après plus de 100 ans a réduit le village de Cassardis en cendres. Ethan a confronté le Dragon pour protéger sa famille bien-aimée, mais le Dragon a pris son cœur. Bien qu’il semblait être mort, Ethan a été ressuscité en tant qu’ Arisen. Aux côtés d’ Anna, un Pion sous le commandement d’Ethan qui est soudainement apparu, il part en voyage. pour récupérer son cœur. Au cours de son voyage, Ethan combattra des démons qui représentent les sept péchés capitaux, mais n’a aucun moyen de savoir qu’à chaque démon qu’il combat, il perd une partie de son humanité…
Avant d’évoquer plus précisément le cœur de la série (le service de VOD semble avoir compris, comme avec Castlevania ou bientôt Resident Evil, que le marché culturel du jeu vidéo est le premier mondial), force est de constater qu’un rapide retour sur l’histoire du « Dogme » semble nécessaire. Sorti en France en 2012 sur Playstation 3 et Xbox, le jeu éponyme est donc un Action RPG en monde ouvert. On y narre les aventures de l’élu ou Arisien que le joueur personnalisera en fonction de ses affects. C’est ensuite la découverte de Gransys et la traque du dragon ayant dévoré son cœur (voir la métaphore de la série dès le premier épisode) au milieu de différentes quêtes annexes que votre personnage poursuivra son chemin de croix. Réalisé par Itsuno Hideaki, le jeu sera alors surtout reconnu pour son gameplay, son système de sidekicks (Anna dans la série jouera donc le rôle de Pion, acolyte accompagnant le héros et invoqué par les stèles) et son arbre de compétences. Imparfait (graphismes peu soignés, manque de TP, système de sauvegarde à revoir…), il donnera toutefois suite à quelques rejetons comme Dragon’s Dogma Online ou Dark Arisen.
Alors que le jeu commence son récit en nous abandonnant dans un donjon… abandonné (suivez mon regard amoureux de Sekiro, Dark Souls et autres Dungeon Crawler) au milieu de chimères et terreurs gigantesques, la série, elle, se dédouane de la traversée du village de pêcheurs de Cassardis. Déguisant son affliction sous les oripeaux d’ une catharsis salvatrice, cette première saison surprend le spectateur par la douceur d’un foyer pour rapide exposition et un twist prévisible. Une mise en scène bucolique et enveloppante qui ne durera évidemment pas. L’une des premières bonnes idées du show est sa présentation en 7 épisodes. C’est court c’est vrai mais totalement cohérent avec sa mise en abyme des 7 péchés capitaux (voir les titres des épisodes), ce afin de condenser en quelques heures son propos et donner une idée pertinente de sa direction. Si vous hésitiez donc à vous plonger dans la série, sachez qu’il ne vous faudra qu’une petite après-midi pour en finir. Malgré donc quelques réticences, Dragon’s Dogma respecte de prime abord son auditoire et séduit par intermittence. Par sa tonalité souvent désenchantée pour commencer. Comme lorsqu’Olivia (compagne enceinte d’Ethan), dès le début du premier épisode, éprouve une funeste rencontre avec le démon dragon alors responsable de toutes les scarifications du chevalier errant. Mais la série confiée au studio Sublimation suborne parfois tout autant par son ambiance sonore (le doublage voix du dragon en VF ou la VO) ou la musique du compositeur déjà présent sur le jeu Makino Tadayoshi. Le metteur en scène et son directeur de la photographie Watanabe Naotaka développent donc dès que possible les points communs de la série avec son inspiration (le cyclope, la stèle d’invocation des Pions comme Rook du premier jeu devenu Anna dans la série) mais manquent cruellement de courage quant à l’originalité de l’œuvre. Qu’il s’agisse du scénario de Kurasumi Sunayama, de l’animation (ce cell-shading des montres est inexplicable), de l’écriture de personnage ou des dangers attendus, toute l’œuvre se suit sans déplaisir mais sans enthousiasme aussi. Nous ajouterons enfin que dans ce parcours vers l’enfer où se mêlent érotisme facile, gore et bestiaire convenu (ogre, liche et autre griffon), on aurait apprécié quelques notes d’humour qui parfois font mouche comme avec ce sublime clin d’œil du deuxième épisode aux jeux Elder Scrolls, inspiration confessée du jeu et la séquence de cette flèche dans le genou !
Tout n’est donc pas à jeter aux oubliettes (souvenez vous, le donjon !) mais impossible de nier qu’eu égard au matériau de base, au champ des possibles d’une aventure dantesque, fantastique dans tous les sens du terme et à l’intérêt propre d’une relecture d’une histoire déjà célébrée, cette première mouture manque cruellement d’originalité pour devenir culte. A contrario du récent The Mandalorian et de sa réussite (le travail du chef opérateur, son schéma identique d’intrigues indépendantes mais travaillées et ses quelques personnages captivants), l’exposition de nos héros est ici bien trop rapide. En découle un charisme inexistant et par là même, une empathie inexistante. Un manque d’affection évident peu aidé il est vrai par une animation qu’on peut légitimement qualifier de tout juste passable ou une réalisation souvent catastrophique accusant alors un retard irrattrapable sur les pontes du genre.
A l’instar de l’indigeste direction artistique d’une autre série visible sur Netflix, Baki, ces épais crayonnés sur les jointures de muscles ou ces visages tout juste dignes d’une seconde année d’école d’animation soulèvent souvent le cœur et sortent le spectateur du récit. Au lieu d’une réalisation 2D traditionnelle qui aurait pu à merveille faciliter l’immersion grâce à de doubles planches grandiloquentes et aux visionnages multiples, l’équipe décide ici d’utiliser une animation 3D indigne d’une telle exposition. Tout comme Dragon Ball Super en son temps, la première rencontre du dragon ou de l’ hydre est l’occasion d’écarquiller les yeux. Mais pas pour les bonnes raisons… Citant ad nauseam ses inspirations vidéoludiques, de Fable à God of War sans jamais trouver son propos, l’aventure produite par Sakurai Taiki abandonne sur le bas côté nombre de questions restées à ce jour en suspens. Pourquoi, par exemple, ne pas avoir développé davantage le personnage transparent du Pion Anna ? Une rôdeuse – garde du corps apparaissant sans prévenir ni justifications et prête à suivre Ethan dans son périple ? Quel est donc son rapport avec les stèles d’invocation ou cette mystérieuse lumière apparue au creux de sa main ? Espérons pour cela une probable saison 2. Dragon’s Dogma, entre deux fondus aux noirs pour un PG16, construit in fine son déroulé sur le même modèle à chaque épisode. Des chapitres calqués présentant enjeux, nouvelles rencontres (comme ces voyageurs pris en embuscade par des gobelins où la jolie Élisabeth (blonde peu farouche sauvée in-extremis d’un viol) et son mari Léo se lieront dans un final tragique), puis s’articulant autour d’un affrontement contre un monstre et une conclusion abordant un des péchés.
N’arrivant pas à la cheville d’une claque comme Berserk, indigne de 2020 de par son animation 3D saccadée et son manque de courage dans la réécriture d’une œuvre dont le scénario n’était déjà pas le point fort, Dragon’s Dogma respecte son cahier des charges sans y annoter aucune page. Dommage que le show n’ait pas été soigné comme son générique, inattaquable. Gageons qu’une saison 2, si elle existe dans les tiroirs, mettent enfin les moyens de sublimer un univers Dark Fantasy si riche et au potentiel illimité. N’est pas The Witcher qui veut.
Jonathan Deladerrière
Dragon’s Dogma de Sugai Shinya. Japon. 2020. Disponible sur Netflix depuis septembre 2020