Grâce à la plateforme Henri de la Cinémathèque française et la « carte blanche thaï », nous pouvons voir des films rares et anciens du cinéma thaïlandais en version restaurée. Place à The Ghoul ou Prai Takian, un court-métrage muet horrifique à l’auteur anonyme de 1940, typique des pré-programmes de séances cinéma de cette époque.
Dans Prai Takian, une apparition maléfique terrorise les villageois et le prêtre censé l’exorciser. S’ensuit une série de gags sous forme de « je te fais peur, tu t’enfuis ». Ce genre d’humour, encore très présent dans le cinéma thaïlandais d’aujourd’hui, est ici formalisé de manière certes rudimentaire – pas tant à cause de sa réalisation, très qualitative, que ses limitations techniques et l’absence de texte normalement dit par un bonimenteur et qu’on ne trouve pas sur la copie de nos jours – mais démontrant néanmoins une certaine stylisation que l’on apprécie d’un œil amusé.
Certains plans surprennent par leur beauté formelle et se démarquent. Il y a ce plan où l’esprit sort d’outre-tombe ; sa blancheur lumineuse perce l’écran. Il n’y a pas de doute, nous sommes en présence d’une apparition fantomatique ; le soin apporté au contraste et à la luminosité de la pellicule apporte beaucoup à l’esthétique de ce court. Le maquillage de la goule, associé à l’image noire et blanche, silencieuse, venue d’une autre époque, est empreinte de mysticisme derrière l’apparente comédie. Prai Takian est de ces œuvres hors du temps, sauvées de justesse de l’oubli grâce à restauration 4k, et restituant tout un pan de l’imagerie fantastique d’une nation.
La recherche formelle rappelle les expérimentations de l’expressionnisme allemand, à travers ces instants saisissants sortant du cadre, le contraste en noir et blanc et le maquillage protogothique. On est en tout cas plus proche de cette influence que des Universal Monsters et autres films de monstres de la Hammer, projetés à la même époque. Et malgré cela, Prai Takian suit sa propre voie, par son humour d’une part, mais aussi par la caractérisation de ses personnages, truculents pour les humains, charismatiques pour les fantômes, qui sont précurseurs de ce que l’on pourra voir en Asie dans le cinéma et pourquoi pas le manga. Tout du moins, l’esthétique de certains mangas contemporains sont le fruit d’une inspiration entre l’expressionnisme allemand (le Metropolis de Tezuka Osamu ; Le Cabinet du docteur Caligari ayant inspiré de nombreux mangakas d’horreur) et les formes classiques de théâtre japonais, ce que l’on peut imaginer être une inspiration commune à des œuvres telles que Prai Takian, à la différence que Prai Takian est sorti précocement dans ce sillon. Entre Prai Takian et le reste, il y aura probablement eu de très nombreuses influences, et sans doute des travaux comme ce court thaï sont-ils plutôt le reflet d’une volonté de création, d’une émulsion qui met en avant spécificités culturelles et inspirations artistiques, y compris les plus inattendues.
Maxime Bauer.
The Ghoul, réalisateur inconnu. Thaïlande. 1940. Disponible sur Henri jusqu’au 22/06/2021.