FFCP 2020 – Lucky Chan-sil de Kim Cho-hee

Posté le 6 novembre 2020 par

La 15ème édition du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) aura été écourtée au regret des spectateurs (pourtant bien mobilisés !) et de l’équipe du festival. Nous avons cependant pu y voir un beau début de programmation. Après la comédie Ok ! Madam, le deuxième film présenté se nomme Lucky Chan-sil et a été réalisé par Kim Cho-hee.

Productrice de Hong Sang-soo entre 2008 et 2015, Kim Cho-hee passe derrière la caméra avec le court-métrage Ladies of the Forest en 2016. Lucky Chan-sil est son premier long-métrage. Le film a déjà reçu de nombreux prix au festival international du film de Busan, ainsi qu’au festival du film indépendant de Séoul. Et ce n’est sûrement pas un hasard si ce premier film a pour personnage central une… productrice. En voici le résumé :

Chan-sil est une productrice passionnée d’une quarantaine d’années qui a consacré sa vie à produire les films d’un seul et unique réalisateur. Aussi, quand celui-ci décède subitement, elle se retrouve seule, au chômage et sans le sou. Entre déménagements, petits boulots alimentaires et rencontres amoureuses, Chan-sil commence une nouvelle vie. Mais le cinéma ne se laisse pas quitter aussi facilement. 

Il est des films qui vous ravissent dès les premières minutes, et Lucky Chan-sil est bien de ceux-là. Son univers mi réaliste, mi fantasque pose la marque de la réalisatrice dès la scène d’ouverture. On est alors embarqués dans les déboires émotionnels et professionnels de Chan-sil, avec comme fond l’amour du 7ème art.

Ayant sacrifié sa jeunesse à son travail, véritable passion, Chan-sil réalise qu’elle n’a peut-être pas saisi le sens véritable de la vie, et en aurait perdu un facteur essentiel : l’amour. Alors qu’elle tente de subsister en faisant le ménage chez Sophie, amie et actrice avec qui elle travaillait encore récemment, elle fait la rencontre de Young, aspirant réalisateur, qui donne des cours de français à Sophie. Tout l’entourage de Chan-sil semble lié au cinéma, et nombre de ses amis sont d’anciens collègues. Elle est alors constamment confrontée à son passé et à la place qu’occupe le cinéma dans sa vie. Le cinéma est un but mais aussi un moyen, notamment de ressentir les émotions qui lui échappent dans la vie, en raison de sa solitude.

On retiendra tout particulièrement le bel échange entre Young et Chan-sil autour de Voyage à Tokyo de Ozu. Chan-sil proclame son amour pour ce film et son réalisateur, tandis que Young trouve qu’« il ne s’y passe rien » et préfère le cinéma de Christopher Nolan. On voit alors Chan-sil, qui commençait à éprouver un intérêt amoureux pour Young, se décomposer face à cette remarque. Outre l’aspect comique de cette scène que tout cinéphile acharné aura probablement expérimenté dans sa propre vie, se dégage une réflexion presque métaphysique sur le film que nous sommes en train de regarder. On nous annonce de façon détournée que l’action n’est pas là où on l’imagine. Ici, c’est le parcours personnel et émotionnel de l’héroïne qui constitue le récit, bien plus que les évènements qui traversent sa vie.

La plus belle trouvaille du film pour illustrer cela est le fantôme de Leslie Cheung, acteur que Chan-sil affectionnait dans sa jeunesse, et qui fait irruption dans sa vie pour se transformer en conseiller. Celui-ci est impeccablement interprété par Kim Young-min, qu’on avait déjà pu voir l’an dernier au festival dans le très beau Between the Seasons. Ce spectre de Leslie Cheung, qui n’a pour ressemblance avec l’acteur que son caleçon et marcel, comme une apparition toute droit sortie de Nos années sauvages, ponctue le récit de surréalisme et illustre l’introspection de Chan-sil de la plus belle des façons.

Kim Cho-hee transforme son expérience de productrice en un matériau touchant et ironique et s’entoure d’acteurs formidables : que ce soit son double Gang Mal-geum, à la fois drôle et fragile, le doux et charmant Bae Yoo-ram ou encore Yoon Yuh-jung, qu’on ne présente plus. Au-delà de l’originalité du récit, la mise en scène fait également montre d’une grande précision dans son sens du cadrage, toujours au service de son propos.

Sous ses airs de petit film indépendant sans prétention, ce long-métrage se métamorphose en fable existentialiste et, pour notre plus grand plaisir, en déclaration d’amour au cinéma.

Marie Culadet

Lucky Chan-Sil de Kim Cho-hee. Corée. 2019. Projeté au FFCP 2020