Entretien exclusif avec Cécile Corbel, compositrice de Arrietty, le petit monde des chapardeurs

Posté le 23 décembre 2010 par

Arrietty est le 17ème long métrage du Studio Ghibli, et pour la première fois dans l’histoire du studio, les producteurs ont décidé de confier la bande originale d’un de leur film à une artiste française, en la personne de Cécile Corbel. Pour votre grand plaisir nous sommes allés à sa rencontre, afin d’explorer les coulisses de l’élaboration d’une bande originale made in Ghibli ! Et c’est Kazé / Wasabi records qui se charge de distribuer la Bande Originale, disponible dès le 5 janvier 2011, dans les bacs ! Par Olivier Smach.


La bande originale Arrietty, le petit monde des chapardeurs

Qui dit sortie salles, dit souvent lancement de la bande originale associée au métrage. Nous reviendrons bien entendu sur la sortie nationale du film le 12 janvier prochain, mais en attendant, penchons nous sur la musique. Et c’est Kazé / Wasabi Records qui a eu la bonne idée de distribuer la B.O !

Et bien, laissez nous vous dire de suite que cet album est un véritable régal pour les oreilles, et une petite merveille musicale, qui permet de remonter le niveau global du film qui malheureusement est assez décevant…

La bande originale est déclinée sous deux formats, une édition simple comprenant un livret, contre deux pour l’édition collector.

L’ album, comprenant 23 pistes, est principalement d’ordre instrumental puisque seul quatre chansons sont interprétées par Cécile Corbel, dont le timbre enfantin et la douceur de la voix égale celle des sonorités produites par la harpe. C’est l’instrument de prédilection de l’artiste qui est présent sur tous les titres. La B.O est un concentré d’influences celtiques (harpe, flûte traversière…) folkloriques et acoustiques(guitare…), qui vous font littéralement voyager. Essayez avec un casque dans le noir !

Chaque personnage dispose de son propre thème. Par exemple, “Our House Below”, rythmé et enjoué, s’harmonise complètement avec l’humeur impulsive et spontanée d’Arrietty tandis que “Sho’s Waltz” reflète le coté introverti et mélancolique du héros. Citons également le thème de “Spiller”, sorte de musique tribale qui renvoie à la personnalité guerrière et farouche du minipouce homme singe.

Arrietty

En outre, chaque piste est méticuleusement choisie afin d’illustrer au mieux telle ou telle scène dans le but d’ y faire passer un maximum d’émotions : la piste 6 (la version instrumentale de la chanson d’Arrietty), la piste 11 “Wild Waltz” ainsi que la piste bonus 21 “Tears in my eyes”, sont d’une richesse et d’une profondeur inouïe.

Un bémol néanmoins, au niveau des paroles : la chanson d’ Arrietty interprétée en français est de moins bonne facture que la version anglaise, qui elle même est déjà un cran en deçà de la version japonaise.

Malgré ça, vous l’aurez compris, cet album est une petite bombe, qui réussit l’exploit de rivaliser avec les compositions magiques du maitre Hisaishi Joe dont la piste 19 “I will never forget you” rappelle d’ailleurs quelques peu le thème final de Princesse Mononoke. Un album à découvrir d’urgence !

A noter, qu’un album de singles tout aussi excellent, reprenant la plupart des thèmes du film chantés par Cécile, est également sorti au Japon. Nous n’avons plus qu’à espérer qu’il pointe le bout de son nez dans un futur proche!

Bande originale Arrietty, le petit monde des chapardeurs, disponible le 5 Janvier 2011 chez Kaze/Wasabi Records.

Arrietty OST

Le superbe coffret collector limité, digipack – 1 CD – 23 pistes et 2 livrets

L’ entretien

Cécile Corbel est une jeune artiste, à la fois auteur, compositrice, interprète, harpiste et en seulement trois albums (Harpe celtique & Chants du monde, Songbook vol.1, Songbook vol.2), elle a su conquérir le public du monde entier, à travers un univers musical « pop folk celtique ». Focus sur une princesse frenchie qui a su conquérir le royaume japonais de Ghibli !

Cecile Corbel

 

Cécile, pouvez-vous nous raconter comment est née votre collaboration avec le studio Ghibli ?

À la fin de l’année 2008, j’ai sorti mon dernier album en France, “Songbook vol2”, et j’ai eu envie de l’envoyer aux Studio Ghibli car depuis des années je suis fan de leurs films ; ils m’inspirent, m’apportent beaucoup de bonheur.
C’était un geste de fan, un peu naïf; j’avais glissé dans mon courrier un simple petit mot de remerciement au producteur en chef des studios, Toshio Suzuki.

La chance a voulu que le disque parvienne à destination, qu’il atterrisse sur le bureau de Suzuki-san, qu’il l’écoute au moment où il cherchait la musique pour le futur film, et qu’il l’aime et le fasse partager au réalisateur Yonebayashi-san. C’était en Avril 2009. ?Ensuite tout est allé très vite : premiers contacts par mail (je n’avais pas mis d’adresse sur mon courrier, ils ont du chercher sur le web !), proposition de composer une chanson, puis deux, puis 10 et enfin toute la BO.

Comment s’est passé votre rencontre avec l’équipe du film et plus particulièrement le réalisateur Yonebayashi Hiromasa ?

Arrietty

J’ai travaillé beaucoup avec le réalisateur Yonebayashi-san, avec Suzuki-san, qui est un vrai décideur et chef d’équipe, mais aussi avec beaucoup de gens du studio (équipe internationale, directeur musical…). ?Nous avons tout enregistré en France et nous allions régulièrement à Tokyo pour discuter de l’avancée du film, du choix des musiques à l’image etc… ?Il y a donc eu beaucoup d’aller retour entre Paris et Tokyo mais toujours une grande fluidité dans les échanges.

De manière générale, les japonais sont connus pour être très exigeants et perfectionnistes dans le monde du travail, de ce fait, a-t-il été difficile de convaincre les producteurs quand à certains de vos choix artistiques, ou bien avez pu bénéficier d’une liberté assez importante ?

Ghibli m’a laissée très libre artistiquement.? Presque chaque proposition que nous avons pu faire a été validée.? Le réalisateur m’envoyait de courts poèmes d’une dizaine de lignes au maximum, dans lesquels il me décrivait en quelques mots les émotions qu’il fallait faire passer dans les musiques.? Il n’a jamais imposé d’instrumentation ni donné de références musicales précises.?Les poèmes donnaient simplement des couleurs, des sensations, qui m’ont guidée pour composer. ?Il y a ainsi un thème pour le jardin, un autre pour la pluie, un autre pour le personnage de Spiller, pour Sho et Arrietty ou encore pour la maison de la famille d’Arrietty etc…?Plus d’une vingtaine de thèmes ont ainsi été créés, sous forme de chansons avec couplets et refrains, et nous nous sommes dans un second temps inspirés de ces chansons pour créer le score et dériver plein de thèmes instrumentaux. ?C’était très rafraichissant de travailler au départ sur des thèmes chantés.

Pouvez-vous nous expliquer comment s’est déroulée l’élaboration de l’album avec Simon Caby qui est également co-compositeur sur Arrietty ? Avez-vous d’abord vu le film avant d’écrire, ou bien le processus créatif s’est-il fait en simultané ?

La production du film s’est faite simultanément à la création des musiques. ?Si bien que nous n’avons vu le film terminé que deux semaines avant sa sortie!
Nous travaillions en nous basant sur les poèmes de Yonebayashi-san, le scénario de Miyazaki-san, et les dessins des personnages, les décors.?Ghibli nous a vraiment épaulés et associés à chaque étape de la production. Nous avons vu toute la création du film depuis les premiers dessins en noir et blanc, jusqu’au doublage et à la promotion du film pendant l’été 2010 pendant 50 jours à travers le Japon.? C’est le directeur musical, Kazamatsu-san, en charge également de tous les effets sonores, qui a intégré les musiques à l’image et fait le choix précis des calages. Son travail a été crucial.

Cette bande originale est un plaisir pour les oreilles, en plus des instruments souvent utilisés tels que le violon, la guitare ou encore la basse, vous jouez de la harpe qui est votre instrument de prédilection. Pouvez-vous nous dire également quels ont été les autres instruments que vous avez utilisés pour aboutir à une telle richesse sonore ?

Arrietty

Artistiquement j’ai voulu garder le son qui avait séduit Suzuki-san; j’ai donc travaillé comme si je composais un futur album, dans l’esprit de “songbook vol 2” avec mes musiciens et instruments de prédilection.Nous avons gardé des arrangements assez sobres, pas d’orchestre symphonique mais un quatuor à cordes, des instruments traditionnels (flutes, cornemuses, guitare folk, percussions irlandaises, duduk arménien, mandoline, saz). Ma voix et ma harpe sont le fil conducteur pour chaque thème. J’aime beaucoup aussi les percussions légères, la guitare 12 cordes, le clavecin, le tin whistle irlandais. La basse électrique donne une assise moderne aux chansons, quelques bombardes et cornemuses bretonnes viennent rajouter des couleurs celtiques et donner de l’ampleur à certains thèmes.

L’album comprend pas moins de 23 pistes, sans compter la douzaine de titres où vous reprenez les thèmes principaux en chantant, ce qui représente en final, un travail colossal. De combien de temps avez-vous disposé pour écrire toute la musique ?

J’ai été plongée dans l’univers du film pendant une année, j’ai vraiment vécu auprès de personnage du film avec Simon (Caby). Des mois de travail et beaucoup de joie aussi !

On peut sentir que vous avez mis beaucoup de cœur et d’implication dans chacune de vos compositions, et que vous cherchez à faire passer tout un tas d’émotions différentes. Le titre « Sho’s lament » est par exemple assez triste, tandis que « Our house below » est très joyeux. Néanmoins, même dans les mélodies enjouées il demeure une impression de mélancolie qui est inhérente à toutes les pistes, un peu comme si cela faisait écho à la maladie de Sho, et à la solitude d’Arrietty. Vous êtes vous inspirée de votre sensibilité, de votre vécu pour insuffler à vos morceaux ce ressenti ?

Les poèmes de Yonebayashi -san ont été précieux pour comprendre les émotions et sensations liées aux personnages et aux décors. Il y a toujours ce balancement dans le film entre l’énergie d’Arrietty et un certain fatalisme tout au long du film.?La musique celtique contient en elle ces deux aspects : mélancolie des ballades et « laments » , malice et joie des thèmes de danses irlandaises ou bretonnes ; mais la frontière entre thèmes mélancoliques et airs joyeux n’est jamais très nette. Je pense que c’est ancré en moi.?J’aime beaucoup les modes mineurs utilisés dans la musique celtique, ils ne sont jamais larmoyants, ils restent lumineux même quand ils sont mélancoliques.

 

Vous avez interprété la chanson d’Arrietty, en trois langues : en français, japonais et en anglais. De quelle version vous sentez vous la plus proche artistiquement et humainement parlant ?

La version originale de la chanson du générique “Arrietty’s song” est en anglais. Les studios ont suggéré une version japonaise à l’automne 2009, voyant que j’aimais les langues et les challenges. J’ai tenté l’aventure.? Je trouve que le japonais est une langue qui se chante de façon très agréable, les syllabes coulent assez naturellement dans la voix.?La version française a été écrite pour la sortie française du film. J’ai une tendresse particulière pour cette version car je suis fière qu’un thème de film de Ghibli puisse exister dans ma langue maternelle !

Dans les morceaux chantés comme « The Neglected Garden », est ce généralement la musique ou les paroles qui vous viennent en premier ?

Je compose toujours sur la harpe. Elle est donc toujours très présente dans mon travail.?Les mélodies naissent toutes sur la harpe puis je chantonne et travaille les textes dans un second temps. ?Les arrangement viennent ensuite « habiller » et « colorer » mes mélodies. ?Dans le film, la harpe est un véritable fil conducteur. Elle est une sorte de double pour le personnage d’Arrietty.

Nous sommes chez East Asia particulièrement fan de trois compositeurs japonais extrêmement talentueux qui ne sont ni plus ni moins que, Kanno Yoko, Hisaishi Joe ainsi que Mitsuda Yasunori un peu moins connu mais qui, avec son groupe Millenial Fair a sorti l’album « Creid », qui mélange des influences celtiques à des mélodies mélancoliques. Votre travail en général sur Arrietty nous rappelle beaucoup le sien (plus particulièrement sur certaines pistes telles que The Wild Waltz , Sho’s song). Connaissez vous cette auteur et par ailleurs vous êtes vous inspiré du travail de Monsieur Hisaishi, grand compositeur du studio par le passé ?

Arrietty

Malheureusement je ne connais pas ces compositeurs (je suis loin d’être incollable sur ce sujet). ?J’admire profondément le travail de Joe Hisaishi. C’est un mélodiste très talentueux et ces musiques pour les films de Miyazaki sont de vrais « personnages ». ?Elles sont une des raisons de mon amour pour les productions de ce studio. ?Par contre je n’ai pas voulu réécouter son travail sur les films précédents de Ghibli : cela aurait été paralysant et angoissant. J’avais peur de perdre de la fraîcheur… Si bien que je n’ai revu aucun film de Ghibli pendant plus d’une année!

Au niveau de vos influences musicales, y a-t-il des artistes qui ont joué ou qui jouent un rôle important dans votre carrière ?

J’ai découvert la musique celtique à l’adolescence et à l’époque ce fut un choc émotionnel très important, une vraie découverte.? J’admire beaucoup le harpiste Alan Stivell, les groupes irlandais The Chieftains, The bothy band ou encore Clannad, mais aussi la musique médiévale, les chants anciens méditerranéens, ou des chanteuses comme Noa ou Loreena Mc Kennit.? J’écoute aussi beaucoup de folk et de rock, comme Simon & Garfunkel, Malicorne, Led Zeppelin, un peu de métal, de la pop… J’essaye d’être éclectique dans mes goûts et j’allume régulièrement la radio au hasard pour écouter les nouveautés.

Un coffret limité qui regroupe vos trois albums précédents vient tout juste de sortir en novembre dernier. Pouvez vous nous dévoiler rapidement quels sont vos prochains projets ?

J’enregistre en ce moment mon quatrième album personnel. Il sortira au printemps prochain et je vais le défendre sur scène pendant toue l’année 2011/2012. Beaucoup de concerts sont prévus, en France mais aussi en Allemagne. J’aimerai aussi retourner jouer au Japon dans quelques mois.

Cécile, merci de nous avoir accordé de votre temps en cette période de promotion intense, et pour cet album qui est une petite merveille ! Bonne continuation.

Merci beaucoup, passez de bonnes fêtes de fin d’année !

 

Entretien réalisé le 23/12/2010 à Paris par Olivier Smach.