Exilé en France pour son nouveau film sorti fin décembre, La Vérité, Kore-eda Hirokazu n’a pas égaré son talent et sa sensibilité lors du voyage. Il est disponible depuis aujourd’hui en VoD !
Fabienne, icône du cinéma, est la mère de Lumir, scénariste à New York. La publication des mémoires de cette grande actrice incite Lumir et sa famille à revenir dans la maison de son enfance. Mais les retrouvailles vont vite tourner à la confrontation : vérités cachées, rancunes inavouées, amours impossibles se révèlent sous le regard médusé des hommes. Fabienne est en plein tournage d’un film de science-fiction où elle incarne la fille âgée d’une mère éternellement jeune. Réalité et fiction se confondent obligeant mère et fille à se retrouver.
Lors de la promotion de The Third Murder (2018), Kore-eda avait annoncé vouloir sortir de la relative zone de confort où l’avaient installés ses précédents films (I Wish (2011), Tel père, tel fils (2013), Notre petite sœur (2015), Après la tempête (2016)), belles réussites mais progressivement figées dans une routine bienveillante et doucereuse attendue de la part du réalisateur. The Third Murder était donc déjà réalisé en réaction à cela, le film, tout en creusant les mêmes questionnements filiaux, s’orientant vers le thriller judiciaire tortueux. On a beaucoup parlé d’œuvre de synthèse pour le célébré Une Affaire de famille (2018), ce qui contredisait en apparence cette volonté de rupture. La continuité était surtout thématique mais le réalisateur renouvelait là le ton (cette truculence et ce mauvais esprit rappelant la comédie italienne des grandes heures), les milieux sociaux dépeints (démarche amorcée dans Après la tempête) mais aussi la forme plus solaire et radieuse que la sobriété d’antan. Il s’agissait pourtant au final de son œuvre la plus sombre et cinglante contre la société japonaise depuis Nobody Knows (2004).
La Vérité est dans cette lignée où la continuité du fond se conjugue à la mise en danger sur la forme avec ce premier tournage dans un pays et une langue étrangère. Le projet naît d’une discussion avec Juliette Binoche, alors en visite au Japon en 2011 et rêvant de travailler avec Kore-eda. Ce dernier exhume une pièce qu’il avait écrite en 2003 et décide d’en faire un scénario, qu’il adapte en France et à son prestigieux casting (Catherine Deneuve et Ethan Hawke viendront s’ajouter à la distribution). C’est un point essentiel surtout quand on pense à la semi-réussite (ou semi-ratage selon les sensibilités) de Le Secret de la chambre noire de Kurosawa Kyoshi, autre fameux maître japonais récemment exilé en France, dont le script semblait plaqué au forceps dans l’hexagone mais où seule les scènes d’atmosphère (à la seule réussite formelle) fonctionnaient au détriment d’un contexte socio-culturel qui sonnait faux. Au contraire, La Vérité aurait sans doute difficilement pu mieux fonctionner que dans ce cadre français. Quelle actrice japonaise (côté acteur cela aurait été plus simple) issue de la même génération a aujourd’hui l’aura et la notoriété (dans son pays et le reste du monde) qu’une Catherine Deneuve taillée pour ce rôle d’icône dont le passif glorieux passe par sa seule présence à l’image ? Elle joue ici Fabienne, une star vieillissante qui vient de publier ses mémoires et s’apprête à jouer un second rôle auprès de la jeune actrice montante du moment. C’est le moment où sa fille Lumir (Juliette Binoche) vient lui rendre visite avec son époux Hank (Ethan Hawke) et leur enfant. Catherine Deneuve endosse avec brio tout le mélange de verve, d’égocentrisme et de fiel, la nature caractérielle de celle qui fut, et pense encore être au centre des regards. Les dialogues sont à la fois piquants et blessants, révélant la relation complexe entre la mère et la fille.
La vérité du titre, c’est celle se jouant entre la personnalité publique et intime, entre la femme et l’artiste. Le fossé entre Fabienne et Lumir semble donc tout d’abord venir d’une carrière qui a toujours eu la priorité sur la famille, celle-ci étant imprégnée de ce clinquant factice (Lumir reprochant à Fabienne les mensonges magnifiés de ses mémoires). C’est une fausse piste puisque c’est précisément par cette nature facétieuse de l’imaginaire que Fabienne attire la lumière, devant les caméras comme dans le privé. Les apparitions/disparitions du grand-père dû à un phénomène magique qu’elle invente pour sa petite-fille sont ainsi une superbe idée à la fois visuelle, comique et thématique. L’incompréhension mère-fille vient d’une Lumir marquée par son enfance et qui prend les mensonges de Fabienne pour une distance prise de sa part quand ils expriment justement l’inverse.
Kore-eda exprime cette idée par la nature même du métier d’acteur. Ainsi une scène de dîner familial est partagée entre reproches mère-fille (le fantôme d’une amie disparue planant sur leur relation agitée) et les remarques désobligeantes de Fabienne envers la carrière d’acteur de Hank. En artiste en proie à ses propres démons, celui-ci devine les intentions plus profondes des attaques de sa belle-mère quand Lumir est à vif dans l’expression de sa rancœur. C’est le film dans le film (dont le postulat donnerait d’ailleurs une formidable fiction à part entière) où le rôle de Fabienne passe par plusieurs âges et états qui laissent fendre l’armure (en la plaçant à son tour en fille délaissée) par sa difficulté à aborder sa prestation et pour ses implications plus intimes. Catherine Deneuve laisse alors vaciller l’icône et fait entrevoir sa vulnérabilité, donnant une autre lumière à ses excentricités quotidiennes. Kore-eda, dans l’intention, retrouve un peu l’idée d’After Life (1998) où la création, la projection de nos émotions matérialisées servent de révélateurs. Le réalisateur s’est parfaitement fondu dans cette atmosphère française tout en conservant son identité. On le ressent dans la tension constamment en sourdine mais qui n’explosera jamais réellement, alors que sur un postulat similaire, un drame français moyen aurait cédé ne serait-ce qu’une fois aux règlements de compte et à l’hystérie. La promiscuité éphémère et douloureuse rappelle Still Walking (2008), l’atmosphère et les compositions de plan capturant la fin d’été de ce dernier trouvant un écho automnal dans La Vérité, entre mélancolie et espoir.
Le plus important n’est pas ce qui est asséné, mais ce qui est ressenti. La vérité passera par tout l’envers des souvenirs pénibles que nous découvrirons à la fin, mais paradoxalement aussi par l’affection de Lumir, enfin capable de l’exprimer aussi par le mensonge. Le superbe échange et la duperie avec sa fille est un des plus beaux et tendre non-dit de la filmographie de Kore-eda.
Justin Kwedi
La Vérité de Kore-eda Hirokazu. Japon. 2019. Disponible sur les plateformes Universciné, FilmoTV et CanalVOD
Le 31/10/14 par Elvire Rémand