Dans la catégorie Liberté, Egalité, Créativité du FICA, place à l’un de nos films fétiches de la décennie : The Assassin de Hou Hsiao-hsien !
On peut dire que le hasard a bien fait les choses. En 2015, alors que The Assassin était sélectionné en compétition officielle, fut projeté, dans le cadre de Cannes Classics, le chef d’œuvre de King Hu, A Touch Of Zen qui remporta 40 ans plus tôt un prix technique. Deux films qui partagent de nombreuses similitudes dans leur approche du genre. Le réalisateur de Dragon Gate Inn s’était retiré sur l’île de Taïwan, ne pouvant s’exprimer librement dans son art à Hong-Kong en raison de contraintes imposées par la Shaw Brothers. Il contribua au cours de cette faste période au développement de l’industrie cinématographique locale. Il réalisa bon nombre de récits emblématiques du film de chevalerie, des œuvres aussi divertissantes qu’exigeantes qui puisent leur inspiration dans la littérature et légendes chinoises. Ce genre connut un regain d’intérêt dans les années 2000, notamment grâce au succès international du film Tigre et dragon, réalisé par le cinéaste Ang Lee. C’est donc dans le berceau de cette tradition que renaît de nouveau le wu xia pian.
Au 9ème siècle sous la dynastie des Tang, Nie Yinniang, jeune femme élevée dans la pratique des arts martiaux durant son exil, revient dans la région de Weibo. Les autorités impériales chinoises, voulant empêcher le gouverneur de sa région natale de gagner son indépendance, la mandatent pour l’assassiner.
The Assassin s’apparente à un film mystère, un peu à l’image de son héroïne dont la présence fantôme va déstabiliser une province et révéler au grand jour ressentiments et querelles qui naviguaient silencieusement dans les enceintes du pouvoir. C’est dans un contexte de guerres intestines pour réunir le pays et consolider le pouvoir central que prend racine l’histoire du film, un thème qui revient surtout dans les productions de Chine continentale et dont le message intrinsèque reste sans équivoque. Hou Hsiao-hsien n’y prête guère d’importance, il fait preuve d’un regard plus distancié sur cette interprétation historique, préférant filmer de près ses personnages afin de capter au mieux les intrigues intimes qui gangrènent le palais. Entre lutte des sexes, rivalités de classes sociales et conflits au sein du couple princier, le cinéaste observe les forces en exergue. Au premier plan, nous avons une sororité, fidèle aux vœux de la défunte princesse qui s’oppose à un pouvoir patriarcal qui a privilégié le pouvoir et le prestige au détriment de la stabilité de la province.
Puis, le gouverneur, impérial Chang Chen (The Grandmaster), tiraillé entre son devoir, son désir et son amour déchu, opposé à son épouse bafouée, demande réparation et souhaite faire valoir son autorité au sein du royaume. Et enfin le très beau personnage de la tueuse, interprétée par la gracile Shu Qi (Millenium Mambo), dont la beauté létale cache une profonde blessure que certaines instances souhaiteraient exploiter. Ce personnage refuse sa condition d’assassin et va s’émanciper en devenant l’actrice de son propre destin, une décision personnelle et animée par un sentiment plus noble qu’il ne le paraît, dont les répercussions sur son entourage seront retentissantes.
The Assassin débute de manière presque didactique, avec un panneau explicatif décrivant le contexte historique, et introduisant dans un prologue dans un noir et blanc magnifiquement contrasté son personnage principal, avant qu’elle ne prenne part à sa mission. Le film déstabilise rapidement le spectateur dans ses choix narratifs. En effet, le long métrage de Hou Hsiao-hsien s’apparente à la visite d’une exposition d’art, et plus particulièrement d’estampes de l’Ukiyo-e, images du monde flottant. Chaque séquence semble composée telle une toile qui dévoile son histoire à mesure qu’on la déroule, un récit qui met en perspective quelques intrigues apparaissant aux différents plans de l’illustration. Ces estampes étaient souvent accompagnées d’un petit texte ou d’un poème comme celui de l’oiseau bleu que l’héroïne se remémore et qui ponctue le récit. Entre certaines grandes fresques de cette galerie qui défile à 24 images/seconde, on peut s’arrêter sur un paysage, ou le portait d’un personnage, dont le rôle sera révélé plus tard dans l’un de ces peintures qui inspirèrent le manga.
The Assassin est un film qui refuse de s’assujettir aux conventions du genre, les mettant constamment en porte-à-faux, pour mieux en redessiner les contours. Le cinéaste cherche à s’affranchir des figures obligées du film de chevalerie. Il ne s’attarde guère sur les combats ou les prouesses chorégraphiques, allant même jusqu’à les filmer dans l’arrière-plan d’une scène de quotidien plutôt anodine. Il attend le dernier acte de son film pour en révéler sa teneur fantastique dans une scène de magie noire envoûtante et d’une beauté spectrale.
Car s’il y a bien une qualité du métrage qui frappe le spectateur, c’est son incroyable splendeur picturale. Chaque costume, élément de décors, le moindre repérage, la moindre composition de plan fait preuve d’un sens de l’esthétique et du détail qui confine au génie. Chaque image baigne dans une lumière scintillante dont des chromos vifs si harmonieux sont imprimés avec soin sur pellicule super 35 par le directeur de la photographie Mark Lee Ping-Bin, que l’on peut aisément considérer comme l’un des prodiges de son art et de sa profession.
The Assassin est une œuvre d’une beauté saisissante, à la fois envoûtante, contemplative et d’une richesse dramatique saisissante. Hou Hsiao-hsien s’impose comme un digne héritier de son maître King Hu et livre une relecture somptueuse d’un des genres des plus populaires de la culture chinoise : le wu xia pian.
Martin Debat.
The Assassin de Hou Hsiao-hsien. Taïwan. 2015. Projeté au FICA 2020