Trois ans après sa sortie en salles, nous pouvons enfin redécouvrir le film indien Court (en instance) de Chaitanya Tamhane grâce à Survivance, véritable portrait passionnant de l’Inde contemporaine.
Narayan Kamble (Vira Shathidar), vieux chanteur de folk contestataire, est jugé pour ses textes « dangereux », en raison notamment de leur appel à l’insurrection, voire au suicide. De ce point de départ, Chaitanya Tamhane, 29 ans, tire un film à la densité inattendue. Car en effet, ce n’est pas sur le seul cas de l’individu jugé que s’appuie la fiction mais le mode de vie de trois autres acteurs de son procès : son avocat, la procureure, le juge. Court (En instance) accorde certes à la plaidoirie la temporalité nécessaire, les arguments de la défense et de l’accusation trouvant dans des plans assez longs, souvent larges et fixes, un support idéal, tout à leur disposition. Mais ce qu’il y a sous l’habit, à l’extérieur de la salle importe autant, sinon plus.
L’avocat de Kamble est un fils de bonne famille que ses parents ne manquent pas d’embarrasser par leur intrusion dans sa vie privée. Une scène assez drôle le montre piquer une colère alors que ces derniers invitent l’un de ses amis à leur table, dans l’intention à peine dissimulée de le cuisiner gentiment. Cette scène comme d’autres donne une épaisseur toute particulière à ce personnage a priori secondaire qui, vu hors de sa fonction, devient d’autant plus passionnant à écouter de retour à la cour. Il en sera de même pour la procureure, dont le statut de citadine aisée, bonne mère de famille, ne s’accorde pas si facilement avec sa volonté de condamner le vieux chanteur.
Au fond, le choix du cinéaste de donner à ces hommes et femmes de loi « une vie ailleurs » a pour vocation de les remettre au niveau de ceux dont ils parlent à longueur de journée. Avant d’être pour ou contre les idées évoquées par Narayan Kamble dans ses chansons, son avocat, la procureure et même le juge, que les dernières minutes du film accompagneront dans ses vacances, sont des citoyens indiens eux-mêmes confrontés aux petites contingences du quotidien. Le Bombay observé par Chaitanya Tamhane est sans nul doute le plus polyphonique et habité qui soit. Et son premier film l’un des plus « contemporains » du moment.
Accompagnent ce film décidément superbe, plus fascinant encore à la revoyure, de riches bonus. Outre une affiche susceptible de combler le cinéphile fétichiste, trois formes de commentaires aident à en décrypter un peu plus les secrets. Une analyse du critique Mathieu Macheret ayant le mérite de laisser respirer l’image, reste fidèle à son potentiel immersif. Un livret de 20 pages réunissant un bel entretien avec le cinéaste et « Filmer la justice, penser l’état de droit », texte éclairant autour du contexte social et juridique représenté par le film, signé Ninon Maillard, maîtresse de conférence en histoire du droit à l’Université de Nantes.
Sidy Sakho.
Court (En instance) de Chaitanya Tamhane. Inde. 2015. En DVD le 02/04/2019 chez Survivance.