Nouveau cru 2018 de Kore-Eda Hirokazu, The Third Murder apparaît clairement comme une rupture, une pause dans sa filmographie. Issu du documentaire, le cinéaste japonais a pourtant exploré de nombreux genres populaires dans sa carrière. Il s’était même fait connaître en France avec un premier long métrage After Life aux forts accents de fantastique. Depuis, il a réalisé notamment le film de samouraïs Hana (toujours inédit chez nous), et il a même adapté avec brio un manga au cinéma avec le superbe Notre petite Sœur. Cette année il nous revient donc avec un thriller qui, sous son vernis, laisse transparaître une critique, une réflexion plutôt, sur la vérité et sa place au sein d’une administration judiciaire japonaise qui place ses intérêts au-dessus. Rencontre avec le cinéaste dont le nouveau film arrive dans les salles le 11 avril.
Qu’est-ce qui vous a conduit à écrire et réaliser un drame judiciaire ?
Je n’ai pas choisi de tourner un film judiciaire ou un thriller. Je n’ai pas commencé par avoir envie de cette forme ou de ce genre. En fait, c’est plutôt une remise en question de mon travail de ces dernières années parce que cela fait plus de dix que je travaille sur des sujets qui me sont plus personnels, assez intimes. J’avais restreint le périmètre de mes centres d’intérêt. Pour traiter de sujets qui me concernaient soit en tant que fils ou en tant que père. J’ai commencé à travailler de manière étroite et profonde, et je suis parvenu à boucler la boucle avec mon précédent film Après la tempête. Je me suis dit que je suis arrivé à terme concernant ces thématiques. J’ai décidé alors d’élargir mon champs de vision, comme je le faisais au début de ma carrière quand je réalisais des documentaires. Ou pour le film Nobody Knows projet tourné vers l’extérieur. J’ai souhaité trouver de nouveau cette dynamique. A ce moment, je me suis posé la question d’un sujet qui m’intéresserait, et celle du jugement des hommes par d’autres hommes m’interpellait. Au Japon, la peine de mort existe encore. Elle est soutenue par 80% de la population. C’est un constat qui interpelle. Au sein de cette thématique, j’ai souhaité m’attarder sur le destin d’un meurtrier, sachant qu’au Japon la tendance tend à dénigrer tout ce qui a trait à la pauvreté et à la criminalité qui en découle. On a tendance à penser que cela doit être évincé de la société. C’est donc tout ce questionnement qui m’a amené à cette histoire.
L’intrigue du film ne tend pas vers une résolution du crime, mais amène plutôt à une réflexion sur la vérité. Pour quelles raisons avez-vous orienté votre scénario de la sorte ?
On peut effectivement dire que c’est une quête de vérité, et en même temps, c’est surtout que chacun des personnages, pour des raisons différentes, est dans un processus de déni de ce qui pourrait être la réalité pour des motifs divers et variés. En fait, cette réflexion là m’est venu alors que je discutais avec des avocats au moment de la préparation de film. Un d’eux m’a dit au cours d’un déjeuner très simplement : « vous savez, les tribunaux, ce n’est pas l’endroit où la vérité se révèle». Et je leur ai demandé ce qu’on y faisait, ce à quoi il a répondu qu’ils ajustaient simplement les peines. En fait, personne ne connaît la vérité, donc comment voulez-vous en parler. J’avais trouvé cela à la fois terrifiant et pourtant intéressant. Cela m’a donné envie de faire des recherches sur ce qui se jouait dans un tribunal. C’est comme cela que l’idée du film est née.
La vérité est affaire de point de vue. Il s’agit aussi du métier de réalisateur. Est-ce, selon vous, une bonne façon de le décrire ?
Pour moi, personne ne détient la vérité, pas plus le réalisateur. C’est comme cela que je vois mon métier, c’est comme cela que je travaille. Il est plutôt question de chercher des réponses. De s’interroger sur un sujet. Se demander si on prend un personnage, un événement ou un phénomène et de s’interroger sur les raison qui y conduise. Ou s’interroger sur ce qui motive une personne à agir de telle ou telle manière. C’est pour moi cette dynamique de questionnements perpétuels qui amène à un film. Celui-ci n’est pas une réponse, mais plutôt le constat de ce questionnement. Pour moi, c’est un processus qui ne s’arrête jamais.
Vous créez un lien entre les trois figures paternelles en décrivant les relations compliquées qu’ils entretiennent avec leurs filles. Il y a presque un vision bouddhiste : les enfant paient les fautes de leurs parents. Que souhaitez-vous raconter à travers ces conflits générationnels ?
Ce n’était pas une volonté d’emblée de raconter ces relations père/filles. Cela vient surtout du personnage de l’avocat et de l’une de ses répliques qui dit en substance qu’il n’a pas besoin d’empathie pour les client qu’il défend. Il ne s’agit pas de devenir ami. Il adopte cette attitude là dans la vie, un aplomb, une arrogance. De ce point de départ, il était important pour moi que ce personnage d’avocat se rapproche petit à petit du présumé coupable. Pour cela, il fallait au cours de ce processus de rapprochement des élément de partage. Il était question qu’il soient tous deux originaires du même pays natal, cette région de Hokkaido avec ses paysages enneigés. L’autre chose était qu’ils soient pères tous les deux. Et comme il y avait déjà le personnage de la fille de la victime, je me suis dit que ce serait intéressant de traiter les relations de trois pères et de leurs filles. Et de surcroît avec des relations compliquées et conflictuelles. Un peu défaillantes. Ce n’était pas une idée qui était là au départ, elle s’est imposée d’elle-même ensuite pour lier les personnages les uns avec les autres.
Il y a une scène qui est assez évocatrice de cette défaillance dans les relations parent/enfant, celle du repas entre l’avocat et sa fille…
J’aime beaucoup cette scène. En effet, à la fin de la discussion, le téléphone sonne et la fille dit à son père de répondre. On imagine qu’elle souhaite secrètement qu’il ne le fasse pas. La scène est empreinte de mélancolie. On réalise que le père n’est pas capable d’interpréter subtilement les sentiments de sa fille. On y ressent la distance entre les deux personnages.
Dans le film, vous évoquez l’oubli, mais aussi les intérêts supérieurs de la justice et son économie administrative. Est-ce qu’à l’aube des Jeux Olympiques au Japon, l’évocation de ces thèmes ne sont pas fortuits ?
L’analyse est très juste, et c’était déjà le cas quand le Japon s’est lancé dans la Seconde guerre mondiale il y a déjà 70 ans. Les Japonais ont la capacité de faire fi de la situation réelle, pour avancer dans un processus qui n’est pas forcément bénéfique pour le pays. Là, pour Fukushima, il suffit que le Premier ministre Shinzo Abe dise que tout est sous contrôle pour que les Japonais se contentent de cette réponse alors qu’objectivement, on peut constater que rien ne l’est. C’est un gros défaut de la population nippone. Reste à savoir si cela à un lien avec le film, ce n’est pas forcément ce qu’il souhaite raconter en filigrane, mais il y a effectivement une réflexion commune à cela. L’idée était de dire qu’un verdict peut être énoncé, mais il se peut que la vérité qu’elle évoque n’est qu’au final éphémère, très futile. Elle peut être amenée à diverses interprétations. Mon désir est que le spectateur soit troublé à la fin du film. Qui comme le personnage qui lève les yeux au ciel à la fin, l’air complètement perdu. De ne plus savoir si tous les faits énoncés lors du procès son vrais ou pas. C’est ce sentiment de trouble que je souhaitais provoquer.
Pouvez-nous parler de votre prochain long métrage Shoplifters ?
Le film s’appelle en effet Shoplifters. Comme je l’évoquais tout à l’heure concernant mon envie d’élargir mon champs de vision, cette fois-ci j’ai eu envie de parler de la société japonaise actuelle et des différents petits délits. De petits crimes, mineurs dont il est souvent question dans les médias et qui sont pour la plupart liés à la pauvreté au Japon. Du vol à la tire, des arnaques à l’assurance ou aux pensions de retraites. C’est l’histoire d’une famille qui survit grâce à ces petits délits.
Propos recueillis par Martin Debat le 20/03/2018 à Paris.
Traduction : Léa Le Dimna
Photos : Martin Debat
Remerciements : Matilde Incerti & Jeremy Charrier.
The Third Murder de Kore-eda Hirokazu. Japon. 2017. En salles le 11/04/2018.