Flag de Takahashi Ryôsuke et Terada Kazuo (DVD)

Posté le 16 mars 2011 par

Sur le papier, Flag s’annonce comme un croisement entre Redacted de Brian De Palma et de Valse avec Bashir d’ Ari Folman. En réalité, la version cinématographique de l’anime de Takahashi Ryôsuke et Terada Kazuo, malgré ses qualités esthétiques et narratives qui rendent sa vision extrêmement intéressante, est cependant loin de ces réussites. Par Victor Lopez.


L’histoire : Grâce à sa photographie d’un drapeau de l’ONU bricolé et brandi par des civils de l’Uddiyana, pays du Moyen-Orient frappé par une guerre civile depuis des années, Saeko se voit contactée par l’ONU. Elle est en effet mandatée pour suivre les militaires d’une force spéciale chargée de récupérer ce drapeau, qui a disparu. La jeune photographe de guerre a alors la tâche de documenter cette opération, censée ramener un espoir de paix dans le pays.

 

Flag interpelle et sidère d’abord par sa mise en scène et sa narration, d’une originalité rare dans le monde de l’animation. Remontage condensé d’un anime de 13 épisodes de 26 minutes signé Takahashi Ryôsuke et Terada Kazuo, le long métrage est en effet uniquement composé des vidéos enregistrées par l’objectif de son héroïne Saeko, complétées par des images objectives prises par les appareils d’enregistrement militaire. Si le procédé pullule dans les films live au point de vu subjectif comme Rec ou Diary of the dead depuis quelques années, l’artifice prend une force plus saisissante encore lorsqu’il est transposé dans le monde de l’animation. Mimant le réel avec un point de vu inédit, le concept crée une sorte de réalisme déréalisé bénéficiant à la fois des possibilités de l’imagination (le dessin, grâce à quoi tout est possible) et du poids du réel (l’enregistrement brut des événements).

Flag

 

A cela, s’ajoute une double narration qui complexifie encore le point de vu narratif. Les événements sont contés au passé, par le mentor de la journaliste, Akagi, qui raconte son histoire à travers les rushes laissés par cette dernière. Ce rôle du narrateur donne à l’ensemble une lisibilité totale, ainsi qu’une accroche humaine au récit. On pense alors à un croisement entre Redacted de Brian de Palma, qui utilisait ce dispositif pour décrire la guerre et ses atrocités, et de Valse avec Bashir, qui mixait documentaire et animation pour décrire le réel sous une forme subjective.

Malheureusement, l’ambition du projet laisse vite apparaitre les limites et faiblesses du film, qui a bien du mal à actualiser un tel potentiel. Deux défauts plombent en effet le métrage, et empêchent l’adhésion du spectateur. Tout d’abord, sous couvert d’humanisme et de bons sentiments, la description de la réalité de la situation apparait fort peu crédible. Tous aussi caricaturaux que gentils, les membres des forces spéciales n’ont aucune consistance, aucune épaisseur, alors que les rapports hiérarchiques entre les militaires manquent cruellement de réalisme. On a par exemple bien du mal à croire qu’une reporter puisse ainsi s’imposer lors d’un briefing où elle a le simple rôle d’observatrice pour demander d’accompagner les forces sur le terrain. De manière plus générale, la description de la situation de l’Uddiyana brasse trop de clichés et de lieux communs pour être réellement crédible, et on frôle la caricature à de nombreuses reprises.

Flag

 

Plus grave encore, le point de vu choisi a l’air noble : on parle du droit à l’image des peuples opprimés, qui peuvent se libérer grâce à cette observation, mais jamais les “Uddiyanais” n’ont le droit à la parole. Pire, ils sont montrés soit à travers les deux sectes religieuses qui déchirent le pays (on regrette ce point de vu binaire, pour ne pas dire manichéen), ou par les soldats ennemis, réduits à de furtives ombres que l’on détruit comme de simples silhouettes de jeux-vidéos. A l’heure des soulèvements des peuples au moyen-orient, sans intervention ni regard extérieur aussi bien en Égypte qu’en Tunisie, un tel oubli dans la représentation parait au mieux totalement anachronique, au pire quasiment raciste.

Flag nous dit que la guerre touche surtout les peuples, mais ne nous montre que les étrangers qui la font et sauvent le pays ! Il y a là une contradiction fort dérangeante. L’erreur du film est sans doute celle de Saeko, qui, en suivant l’ONU, se trompe de sujet pour ses photos. Ce sont les gens, les habitants du pays en guerre, qu’elle devrait montrer. En glorifiant ce choix, le film rate alors son sujet, et laisse un curieux goût de ratage idéologiquement très ambigu. Dommage, car le potentiel esthétique du film laissait espérer un résultat profond et une date marquante dans l’histoire de l’animation. A la place, Flag est une expérimentation intéressante, mais plombée par la naïveté de son discours maladroit.

Victor Lopez.

Verdict :

Flag de Takahashi Ryôsuke et Terada Kazuo, diponible en DVD et Blu-Ray chez We Prod depuis le 16/03/2011.