Le Carrefour du cinéma d’animation s’est déroulé au Forum des images du 13 au 17 décembre. Cette manifestation est toujours l’occasion de découvrir des avant-premières qui sont parfois difficiles de voir ailleurs. C’était d’ailleurs le cas avec le film chinois Have a Nice Day réalisé par Liu Jian !
Big Fish & Begonia avait été l’occasion de constater l’avènement et la maturité récente du cinéma d’animation chinois. Cependant, on en restait là à un versant «blockbuster» de la production et avec Have a Nice Day c’est l’occasion de découvrir aussi la vitalité de l’animation chinoise indépendante. Have a Nice day a été réalisé par Liu Jian en 2017. Sélectionné à la Berlinale 2017 et récompensé au Festival de La Roche-sur-Yon, on retient surtout que sa programmation au festival d’Annecy a été annulée au dernier moment pour cause de pressions de la part des autorités chinoises. Il faut savoir que le précédent film de Liu Jian, Piercing I, œuvre sociale et politique âpre marquée par la crise économique de 2008, avait également suscité des craintes en Chine mais le film avait tout de même été projeté à Annecy en 2010. Ce film a donc permis de donner une voix à l’image du cinéma indépendant d’animation chinoise.
Officiellement, la Chine a demandé à supprimer Have a Nice Day de la programmation d’Annecy car il n’avait pas obtenu de visa de sortie dans son pays. Les autorités préféraient donc qu’un film étant déjà sorti en Chine soit projeté. A ce moment-là, le festival d’Annecy a décidé de faire la sourde oreille… jusqu’au jour où le producteur du film a demandé lui-même qu’il soit retiré. Il était alors impensable pour le festival de mettre en danger l’équipe du film et ce dernier est sorti de la sélection.
Pourquoi une telle censure alors que le film avait déjà fait le tour de quelques festivals ? Le mystère chinois reste entier. Quoiqu’il en soit, le Forum des images nous a permis de visionner cette pépite. Oui, une pépite car ce film n’a rien à voir avec l’animation qu’on connaît.
Have a Nice Day creuse le même sillon que Piercing I, près de sept ans plus tard. Cette longue attente vient autant d’une inspiration longue à retrouver pour un Liu Jian ayant fait le tour du monde pour promouvoir Piercing I que d’un tournage à l’économie très restreinte. Le réalisateur occupe en effet la plupart des postes techniques d’un film dont la production de longue haleine a quasiment été menée en solitaire grâce aux divers outils informatiques à disposition. Si les contraintes techniques se ressentent profondément à l’image et l’animation est rudimentaire (les voitures seulement vues de profil, toutes les astuces et transitions pour éviter d’avoir à animer l’image bien visibles), Liu Jian fait de ces aspects des atouts propres à appuyer son propos. Cet aspect figé se répercute complètement sur l’esthétique générale, le cadre du récit et la caractérisation des personnages.
Dans une petite ville chinoise noyée dans la corruption, un chauffeur dérobe de l’argent à son patron et se retrouve avec une bande de malfrats à ses trousses. La sinistre, pluvieuse et boueuse petite ville de province où se déroule l’intrigue est déjà à elle seule l’illustration de l’avenir sans issue des protagonistes. La vulgarité d’un parrain local, la dévotion et la brutalité d’un chargé des basses œuvres, la stupidité d’une petite main de cette chaîne criminelle, tout concourt à nous signifier la médiocrité de « héros » à la hauteur de leur environnement minable. Liu Jian évite pourtant en tout point le pensum dépressif par la tonalité qu’il confère à l’ensemble. L’humour noir, les éclats de violence et surtout le tempérament haut en couleur des personnages confère une drôlerie à froid assez irrésistible qui fait de Have a Nice Day un pendant chinois et animé du meilleur des frères Coen. Tout comme ces derniers (en particulier les films moquant les hillbillies comme Blood Simple (1984), Fargo (1996) ou No Country For Old Men (2009)), Liu Jian s’amuse de personnages produits de leur environnement mais porte sur eux une tendresse et un humanisme qui leur fait dépasser la caricature (en particulier l’homme de main).
Le McGuffin est purement matérialiste avec ce sac rempli d’argent après lequel courent tout le monde, symbole de l’ambition aussi médiocre et superficielle (une opération de chirurgie esthétique pour la fiancée de l’un, Un après-midi de chien de Sidney Lumet (1975) n’est pas loin non plus) chez les uns que les chez les autres. La bande-son très electro-pop apporte une distance ironique bienvenue à ce jeu de massacre, mais Liu Jian apporte toujours un contrepoint plein d’empathie et de tendresse. Entre le rire moqueur et/ou résigné du malheur, Liu Jian ne choisit pas et c’est ce qui fait tout le prix de Have a Nice Day.
Cette description d’une société gangrenée par le désir de pouvoir, d’argent et de beauté avaient de fortes chances de froisser le comité de censure chinois. En effet, Liu Jian n’hésite pas à taper là où ça peut faire mal. Par petites touches, la politique chinoise est tout simplement dégommée par le réalisateur : un vol de missiles en fond de scène, qui n’a, a priori, rien à voir avec l’intrigue ou même une séquence osée d’animation inspirée de la propagande de l’époque de Mao montrant les rêves des protagonistes. Certainement inaccessibles…
Liu Jian, avec une économie de moyens, parvient à mettre en scène un film qui se tient même si le spectateur devra parfois s’accrocher, ne retrouvant pas ses repères. Le cinéaste se permet en plus de titiller les puissants de son pays. Que demander de plus ? Que Liu Jian soit davantage projeté hors festivals (donc moins censuré) et qu’il bénéficie enfin d’une petite aide financière pour éviter de se tuer à la tâche !
Elvire Rémand.
Have a Nice Day de Liu Jian, Chine, 2017. Projeté au Carrefour du cinéma d’animation au Forum des images.