Le plus français des cinéastes japonais est de retour. Cette fois il pointe sa caméra vers le roi Léaud pour tenter d’en capturer le mystère. Entre le conte fantastique et l’errance introspective, Suwa Nobuhiro célèbre la mystique du cinéma. Critique en avant-première à l’occasion de la projection du film au 32ème Entrevues Belfort Festival International du Film en attendant sa sortie en salles le 27 décembre prochain.
Dans Le Lion est mort ce soir de Suwa Nobuhiro , il est bien question de mort du lion, mais pas de tristesse. Comme dans la chanson, il s’agit de fêter ce dernier. Ainsi, le film du cinéaste japonais s’applique à nous offrir de grandes images du lion. Jean-Pierre Léaud est le centre de gravité du film : la caméra est attirée par lui comme elle l’a toujours été depuis 1959, l’année des 400 coups. Suwa, cinéaste complètement traumatisé par la Nouvelle Vague française, est conscient de l’importance de Léaud, de sa puissance monstre symbolique du cinéma aussi français que mondial. Le point de départ du film est d’ailleurs son envie de filmer l’acteur. Une volonté qui s’exprime dès la première scène : on y découvre Léaud sur un tournage, récitant une réplique sur sa mort. On pense assister à une sorte d’oraison funèbre d’un être qui ferait le discours de sa vie, que la puissance de Léaud dans le cinéma serait telle que le réalisateur japonais lui offrirait le moyen d’accomplir son propre éloge. Mais le film se développe petit à petit et nous offre plusieurs dimensions de l’errance du roi.
Il y a d’abord cette quête fantastique d’un amour perdu, cette balade avec un fantôme qu’orchestre Suwa à travers un amour intemporel entre les personnages de Léaud et de Pauline Etienne. Cette dimension contemplative rappelle le cinéma de Kurosawa Kiyoshi ou de Philippe Garrel. La mise en scène s’organise à travers des jeux de miroirs, des compositions qui découpent le cadre et des reflets. On parcourt le rêve de Léaud, on est dans le cinéma. Le cinéaste japonais utilise les espaces vides et les rues du sud de la France, comme des éléments fantastiques où les fantômes pourraient être tapis, où le cinéma pourrait surgir à tout instant. L’une des réussites de Suwa est de s’approprier l’espace français et l’été français comme un lieu propice à la rêverie, à la divagation comme c’est le cas dans le cinéma japonais (la majorité des films de Kawase Naomi se déroule par exemple en été et on trouve dans le film de Suwa un effet de temps suspendu ou ralenti similaire aux films de la réalisatrice). Mais si le film s’extirpe de la réalité pour plonger dans le monde du Lion, il ne va jamais plus loin que le rythme que lui impose ce dernier. Jean-Pierre Léaud n’est pas seulement le sujet du film, c’est le cœur même du dispositif de Suwa. C’est ce qui provoque le rythme singulier du métrage, de sa mise en scène, de son montage mais également celui du jeu des autres acteurs. C’est l’une des faiblesses du film : les dialogues parfois faux, quand les acteurs du film tentent de s’accorder à Léaud, aussi bien Pauline Etienne que les enfants du film. Néanmoins, ces derniers parviennent à infuser au film leur énergie et leur passion pour que l’on passe d’une contemplation du corps de Léaud qui s’inscrit dans mouvement plus vaste avec des films comme La Mort de Louis XIV ou Visage de Tsai Ming-liang à une vision de la transmission, de l’héritage.
Si l’on résumait les aventures du groupe d’enfants en dehors du contexte de Le Lion est mort ce soir, on croirait à une énième variation de la formule Amblin. Les enfants veulent tourner un film dans une maison abandonnée, puis tombent sur un fantôme (Léaud) qui s’avère finalement gentil et les aide à tourner le film. L’un des enfants, Jules, se démarque par son arc narratif, très amblinien : le deuil de son père. Il trouve ainsi en la figure de Léaud, une vision d’avenir à travers le cinéma et à travers la passation qui a lieu avec la création du film. Elle se concrétise d’ailleurs avec la chanson éponyme que chante en cœur les personnages, Le Lion est mort ce soir. Suwa met en scène la transmission du cinéma. Il nous montre la mort de Léaud pour célébrer la vie du cinéma. Par son influence sur les nouvelles générations, Suwa parle de lui, c’est un des enfants à qui Léaud apprend le cinéma. On oublie le sentiment amblinien de la situation pour toucher une émotion qui serait plus proche d’Un Eté chez grand-père de Hou Hsiao-Hsien. C’est la création dans sa forme la plus prosaïque que met en évidence le film, c’est une poésie de la contrainte, de la banalité, du hasard que Suwa revendique à travers la relation des enfants à Léaud. C’est justement la poésie qui a fait le cinéma du réalisateur japonais et qui entoure la filmographie de Léaud que veut tenter de contenir le film. On pense à cette scène où Pauline Etienne disparaît et au gros plan sur le visage de Léaud qui suit. C’est un moment qui n’existe que pour lui, et donc pour nous.
Avec Le Lion est mort ce soir, Suwa Nobuhiro signe une œuvre qui dévoile sa vision du cinéma autant qu’elle en offre une nouvelle à travers la figure de celui qui a marqué la liberté au cinéma, Jean-Pierre Léaud. Ce n’est probablement pas le chef d’œuvre de l’auteur japonais, mais sa croyance en la mystique du cinéma produit un objet fascinant. On est hypnotisé par la présence du Lion, tout comme les enfants dont il est le roi. Le cinéma est un monde de fantômes et Suwa nous offre un moment d’exception avec l’un des plus mystérieux, et c’est déjà beaucoup.
Kephren Montoute.
Le Lion est mort ce soir de Suwa Nobuhiro. France. 2017. En salles le 27/12/2017.
Avant-Première au 32ème Entrevues Belfort Festival International du Film. Plus d’informations ici.