Entretien avec Hou Hsiao-Hsien (COFFRET 6 ŒUVRES DE JEUNESSE DISPONIBLE CHEZ CARLOTTA)

Posté le 16 novembre 2017 par

Pour la sortie de The Assassin en mars 2016, Hou Hsiao-Hsien nous avait accordé un long entretien que nous vous proposons de redécouvrir à l’occasion de la sortie en vidéo le 6 œuvres de jeunesse le 8 novembre chez CarlottaCute Girl (1980) ; Green, Green Grass of Home (1982) ; Les Garçons de Fengkuei (1983) ; Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985) ; Poussières dans le vent (1986) et La Fille du Nil (1987).

8 années se sont écoulées depuis la sortie de son précédent film : Le Voyage du ballon rouge. Hou HsiaoHsien nous revient dans un genre dans lequel on ne l’imaginait pas, le wu xia. Et pourtant, le cinéaste taïwanais est parvenu à renouveler le récit de chevalerie chinois en revenant à ses sources littéraires. Un film qui porte bien son empreinte ciné-génique, avec sa mise en scène soignée, ses plans séquences et son esthétique resplendissante. Et au cœur de ce film flamboyant, la sublime Shu Qi, qui signe ici sa troisième collaboration avec le maître. Entretien avec l’immense cinéaste.

Lire ici notre critique de The Assasin, en salles le 09/03/2016

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The Assassin est inspiré du chuanqi. Pouvez-vous nous parler de ce genre littéraire et de ce qui vous a motivé dans ce choix ?

Le style littéraire du chuanqi correspond à des histoires très courtes racontées dans un style télégraphique. Le récit de Nie Yinniang ne fait pas plus de 1000 caractères en chinois. Et dans ce genre, cela ne va pas au-delà des 3000 caractères. Ils ont la particularité d’être écrits dans un chinois ancien qui est très concis, très concentré. Chaque caractère a un sens. Ces histoires prennent leur source dans le quotidien, et ont un aspect quasi documentaire, bien que les faits soient au final transformés et exagérés. Dans le cas précis de Nie Yinniang, récit à l’origine de The Assassin et nom de l’héroïne (Shi Qi), l’arrière-plan se tient dans la région de Weibo, et ses provinces qui avaient la fonction d’avant-postes militaires pour protéger la cour des invasions extérieures, des invasions barbares, et des rébellions des territoires voisins. Ce qui m’intéressait dans cette histoire était ce que l’on percevait d’une certaine réalité des personnages, notamment pour certains d’entre eux qui ont réellement existé, comme la princesse Jiacheng. On mentionne cette princesse dans des textes tels que les annales de la dynastie Tang. Il y est fait mention que son frère, l’empereur, l’a marié au gouverneur de Weibo pour des raisons politiques. On raconte aussi que lorsqu’elle dut se rendre dans la région de son future époux, qui était un fief de rang inférieur, le protocole stipulait qu’elle devait faire le voyage dans une voiture recouverte de plumes de martins pêcheurs, ou d’ornements à l’effigie d’oiseaux, ce qui correspondait aux personnes de son rang. Elle refusa et exigea de faire le voyage dans le véhicule destiné à l’empereur et l’impératrice, qui est paré de dorures. Ces précisions sur les types de véhicules proviennent d’une époque très troublée, où la cour, en raison d’invasions répétées, était obligée de se cacher dans des régions très reculées. On imagine bien que dans un tel contexte, les véhicules n’étaient pas tous en bon état, et certains avaient dû subir des dommages. Et donc, avec le caractère qu’on lui connaît, la princesse fit le choix qu’on lui attribue le plus joli des véhicules. Il s’avère aussi, qu’elle et sa sœur, que j’ai fait nonne dans mon film, ont dû, à la suite d’une invasion des Tibétains, se réfugier dans un monastère taoïste. C’était pour moi une des justifications de son exigence. Pour marquer son entrée dans cette province de Weibo, afin d’épouser le seigneur, les personnes de son rang doivent être accueillies par des personnalités importantes de la région, comme on le voit dans mon film avec le commandant Nie Feng et son épouse. La princesse arrive avec toute sa suite, elle n’est pas seule. De plus, il faut qu’elle soit accueillie sur la route afin d’être escortée en toute sécurité. Ces faits historiques apparaissent aussi dans des fictions de l’époque.

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Cette histoire m’a paru très originale. Elle raconte le parcours d’une jeune fille au tempérament fougueux, qu’une nonne taoïste souhaite initier aux arts martiaux. Elle demande à son père, un commandant, si elle peut emmener Nie Yinniang. Suite à son refus, elle lui dit: « Même si tu l’enfermes dans une boîte, je souhaite l’emmener avec moi, et rien ne me retiendra ». Ce qu’elle fit. Des années plus tard, la jeune femme est reconduite dans sa province natale accompagnée de jeunes gens de son âge. On lui demande ce qu’elle fit durant tout ce temps. Elle raconte son expérience, comment elle a appris à tuer des tigres, des aigles. Son père, le commandant Nie Feng, se rend compte de la difficulté de cet enseignement, et il s’inquiète de ce qu’elle est devenue. Un jour, un jeune polisseur de miroir se présente, portant sur son dos tout son matériel de travail. Nie Yiniang, séduite, décide de l’épouser. Son père n’ose pas refuser sa demande. Il fait construire une maison pour que le jeune couple s’installe, mais dans un lieu éloigné, souhaitant mettre de la distance entre sa fille et lui. Cependant, les deux tourtereaux ne restent pas en place en raison du métier itinérant de l’époux, lui sur son âne noir et Yinniang sur son âne blanc. La suite, quant à elle, ne figure pas dans mon film. Nie Yinniang est mandatée pour assassiner le gouverneur de la région de Jiangsu. Celui-ci prédit le complot, et Yinniang, ne pouvant jouer de l’effet de surprise, décide de se ranger à ses côtés. Le commanditaire envoie deux nouveaux assassins pour terminer le travail. Le premier affrontement entre eux et Yinniang, à présent protectrice du seigneur de Jiangsu, prend des allures surnaturelles. Les deux combattants prennent la forme chacun d’un fanion, un blanc et un rouge, et le vaincu se transforme en une petite figurine qui jonche le sol. Afin de prévenir la seconde attaque menée par un expert qui tue ses victimes d’un coup et d’un seul, Yinniang conseille au gouverneur de porter un collier de jade. Si le tueur échoue, son orgueil le poussera à l’exil. Le plan fonctionne à merveille.Le gouverneur, pour remercier la jeune femme, offre un travail à son jeune époux et le couple s’installe. Seulement, Nie Yinniang ayant pris l’habitude de bouger pour ses missions, quitte son homme et s’en va sur les routes. Cette histoire célèbre fut racontée aussi sous la forme d’un opéra, L’âne noir et l’âne blanc, de la région de Wei.

Le wu xia ou récit de chevalerie est un genre très populaire en Chine. Qu’est-ce qui vous séduit dans ce type de récit ?

Pour nous, les Chinois, les wu xia sont nos récits d’action. Nous sommes très friands de ces histoires d’affrontements de chevaliers et de complots entre clans rivaux. C’est une lointaine tradition. Le public étranger a été initié à ces types de récits grâce au film de mon compatriote Ang LeeTigre et dragon. Parmi ces histoires, on dénombre quantité de légendes extraordinaires, teintées de surnaturel et traversées par des personnages aux talents martiaux hors du commun. Depuis tout gamin, je suis passionné par ce type de récit, je lis tous les classiques du genre et regarde tous les films de chevalerie chinois que je trouve. Certains récits sont écrits dans un style plus littéraire. Il est souvent question de chevaliers errants issus de grandes écoles d’art martiaux, que ce soient Wudang, Wumei, ou Shaolin, des personnages hauts en couleur de ce monde des rivières et des lacs. J’ai eu accès à la littérature de Jin Yong qui, pour être publié à Taïwan, a utilisé un pseudonyme. En raison de ses idées de gauche, il était catalogué comme favorable au régime de Chine populaire. C’est ainsi que j’ai découverts ses récits, qui étaient plus réalistes que les autres. Les histoires étaient tellement documentées que l’on pouvait se plonger dans l’époque. Par contre, les histoires provenant de la dynastie Tang, je n’ai pu en prendre connaissance qu’à l’université. Elles étaient publiées dans des éditions comportant de nombreux textes explicatifs, permettant aux lecteurs de bien contextualiser les écrits.

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Votre film fut présenté à Cannes en même temps que la version restaurée de A Touch of Zen de King Hu qui fêtait ses 40 ans. Était-ce l’une de vos inspirations, notamment pour le personnage de la nonne ? Quels furent vos autres modèles du genre et pourquoi ?

Quand j’ai découvert A Touch of Zen, j’étais encore à l’université. Dans le temps, il n’y avait pas encore tous ces effets spéciaux au cinéma. Pour suggérer les talents martiaux des combattants et leur capacités à se mouvoir dans les airs, King Hu avait recourt à des effets de montages. Des coupes courtes dans les lesquelles il alternait des plans sur les personnages sautant à l’aide de trampolines et de gros plans de pieds en contre plongée. Cela restait tout de même très réaliste, et les moyens de l’époque ne lui permettaient pas d’aller plus loin dans la fantaisie. Depuis, les chorégraphies martiales sont plus sophistiquées en raison des progrès techniques. Je puise mon inspiration dans les romans plutôt que des films de wu xia. Pour le cas de Nie Yinniang, il s’agit d’une femme assassin et j’ai souhaité traiter cet aspect de façon crédible. De plus, je tenais à mettre en avant l’aspect historique et le mode de vie sous la dynastie Tang. La princesse Jiacheng qui, lorsqu’elle épouse le gouverneur de Weibo, n’a pas d’enfant. Elle adopte le jeune Tian Ji’an (Chang Chen), déjà âgé de quatre ans, fils que son mari a eu avec une de ses concubines. En raison de son statut, l’enfant ne peut hériter du titre de seigneur. Il finira par épouser, pour des raisons politiques, la princesse d’une province voisine dont le royaume souhaitait la protection la région de Weibo. C’est ainsi que Tian Ji’an succéda au poste de gouverneur.

Au cinéma, je suis plus sensible aux films de samouraïs japonais. Bien qu’impressionnants dans leurs scènes de combats, ils s’avèrent de facture plus réaliste. Il n’est pas étonnant qu’aujourd’hui se pratique encore couramment au Japon l’art du sabre. Cette tradition est très ancrée dans le quotidien, ce qui explique peut-être que les Japonais soient moins attirés par les artifices de mise en scène. J’ai lu beaucoup de littérature de samouraïs et vu de nombreux chambaras. Si l’on adapte les récits de chevalerie tels qu’ils sont représentés dans les romans, cela prend des allures surnaturelles et les personnages sont dotés de super pouvoirs comme Superman. Les Américains font cela très bien, je ne vais pas les imiter.

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Votre film prend cadre au IXème siècle sous la dynastie Tang durant le conflit entre le pouvoir central et ses différentes provinces. Le thème d’unification du pays revient dans d’autres films de genre chinois comme Hero de Zhang Yimou et dont le message politique est évident.

Je n’ai aucune volonté de me servir de ce récit, ou d’un film d’époque pour traiter d’une situation actuelle. Je refuse d’avoir recours à ce type de procédé. Si je souhaite parler d’un sujet contemporain, j’en parle de manière frontale. Ce qui a conduit mon choix est tout simplement que j’aimais cette histoire, et cette époque durant laquelle la cour impériale entretenait des relations conflictuelles avec ses provinces voisines qui cherchaient à prendre leur indépendance. J’ai été séduit par ce personnage de femme assassin qui ne parvient pas à tuer. Je souhaitais travailler de nouveau avec Shu Qi, elle était ma Nie Yinniang, elle était parfaite pour ce rôle. Elle est encore jeune et elle a les qualités physiques pour l’interpréter à l’écran. Je ne suis pas allé plus loin dans ce thème d’unification du pays.

Vous vous éloignez très rapidement du contexte historique pour vous focaliser sur les intrigues personnelles. Dans la manière de concevoir vos histoires, pourquoi vous attachez-vous aux tourments intimes de vos personnages plutôt que de faire une grande fresque martiale ?

Je m’intéresse aux individus, aux interactions entre les êtres humains, et je ne voulais pas réaliser un film d’action pour faire un film d’action. Je passe par une phase de recherche historique afin de mieux comprendre comment les personnages fonctionnent dans ce cadre-là. Par exemple, quand on évoque la succession des gouverneurs à la tête de la région de Weibo, on dit que Tian Xu, le père de Tian Ji’an, est mort de peur pour expier ses exactions. Le film se passe après la révolte d’An Lushan. C’était un barbare, alors que Tian Chengsi, grand père de Tian Ji’an, lui aussi en son temps gouverneur de Weibo, était Han. Or, à l’époque de la route de la soie, il y avait beaucoup d’échanges entre les barbares et les Chinois Han. On peut dire que Tian Chensi était de culture mixte en raison de ses fréquentations. Ils étaient des guerriers redoutables. Suite à la pacification, il se retrouve au poste de gouverneur militaire de Weibo. Il souhaita passer le flambeau à son neveu Tian Yue plutôt qu’à son fils, plus apte à diriger selon lui en raison de ses états de services militaires. On raconte que Tian Xu, ivre de rage, tua son cousin et son entourage. Suite à quoi, tous les généraux se rallièrent à sa cause, et le désignèrent nouveau gouverneur de Weibo. Et plus tard, il mourut subitement, seul, une arme à la main, le visage figé dans une expression de terreur, effrayé par les crimes qu’il commit dans le passé.

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Vous observez votre sujet avec une certaine distance, ce qui donne un côté pictural au film. On pense aux estampes japonaises de l’Ukiyo-e, images du monde flottant. On a l’impression, en regardant votre film, de visiter une galerie d’art dans votre façon de narrer l’histoire avec des situations, un personnage sans transitions dramaturgiques. Était-ce intentionnel dans votre manière de concevoir votre mise en scène ?

Je suis un cinéaste qui travaille beaucoup à l’instinct. Bien sûr, il y a des décisions qui sont prises en amont. Une fois que ma directrice artistique Wen-Ying Huang a tout mis en place, que les lumières sont installées, et Mark Lee Ping Bin a placé son travelling pour que l’on puisse capter toute l’action à l’écran, on est prêt à tourner. De plus je laisse une grande liberté aux acteurs, donc personne ne sait exactement quels vont être leurs déplacements et comment ils vont occuper la scène. Une fois le dispositif en place, procédé me permettant de travailler les plans sur la durée, et qui laisse le naturel s’installer dans la scène, je tourne ! Je ne répète jamais avec mes acteurs, je leur fais confiance. A l’instar des comédiens occidentaux qui sont rompus à ce type de travail, les Chinois ne sont pas des acteurs de composition, et ils ont tendance à se figer dans leur personnage. Dès la deuxième prise, le résultat est catastrophique. C’est pourquoi je leur laisse de la liberté, en leur faisant comprendre que la première prise sera la bonne. On observe alors une réelle concentration sur le plateau, il en résulte des merveilles, ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, et sont très efficaces.

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Pour les scènes de combat, vous n’êtes pas dans la virtuosité martiale. On a plus l’impression que vous voulez sublimez le réel. Était-ce une façon de vous démarquer des conventions du genre et comment avez-vous travaillé ces combats avec votre chorégraphe Stephan Tung Wei ?

Tung Wei aime beaucoup travailler en contraste. Souvent dans une scène on a, au premier plan, un personnage qui renverse une cruche d’eau, et on voit, filmée au ralenti, l’eau qui se renverse et éclabousse, avec en simultané, un combattant qui tue son adversaire d’un coup d’épée. Il aime beaucoup ces types d’effets. Mon équipe et moi, nous nous concentrions plus sur les sentiments humains et l’énergie, la puissance des individus, ce que sont les motivations de l’assassin. J’ai fait appel à lui et à son équipe pour mettre en place les scènes de combat, les mouvements, les effets avec les câbles. Nie Yinniang utilise une arme courte, un poignard, qu’elle peut cacher facilement. Elle se déplace tout en souplesse et en agilité, elle n’est pas encombrée dans ses mouvements par une arme plus imposante. Cela me plaisait de voir tout cela se mouvoir. Pour ce qui est des combats, le choix de l’arme est très déterminant dans le style à adopter. Il y a l’arme mais aussi les situations. A quel moment, pour quel motif, et quels sont les personnages qui s’opposent dans le duel. C’est ce qui me motive dans le développement de ces scènes.

Parlez-nous de votre collaboration avec l’actrice Shu Qi, qui avait auparavant déjà joué dans des films d’arts martiaux. Est-ce l’un des raisons pour laquelle vous l’avez choisie ?

Non ce n’est pas pour ses quelques expériences dans les films d’art martiaux. D’ailleurs elle en a fait assez peu. J’ai choisi Shu Qi pour ses qualités humaines et son talent d’actrice, la concentration qu’elle est capable d’avoir sur le plateau. Et malgré cela, il nous a fallu beaucoup de temps de préparation. Au début, dans les scènes d’action, quand elle se retrouvait face à son adversaire et à une arme, on pouvait voir un rictus de peur sur son visage. Je lui disais que pour son personnage d’assassin, elle devait avoir un regard froid, distant, impassible. « Tu dois pouvoir passer à l’action dans l’instant sans laisser la moindre chance à ton opposant ». Elle était limitée par ses capacités martiales. Ce que l’on suggère comme rapide pour des mouvements était très lent dans la réalité.

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Pouvez-vous nous parler de votre travail avec le directeur de la photographie Mark Lee Ping-Bin ? Travaillez-vous en amont avec lui et le directeur artistique et pourquoi avoir choisi de tourner en super 35, un format plus vertical ?

Je tourne en pellicule. Ensuite nous revient le choix du format. Autrefois, il y avait le format standard de pellicule, qui était le ratio 1:33, parce qu’il fallait de la place pour la bande son. Aujourd’hui, avec le numérique, on peut récupérer cette place et on peut tourner en format 1:41. Étant donné mon souhait de mettre en valeur les individus, les placer au cœur de l’espace, ce format est selon moi celui qui correspondait le mieux à mes exigences. Et c’est d’autant plus beau dans le cadre d’un film historique. Pour moi le format panoramique s’éloigne de l’aspect authentique de la vie. Je n’ai jamais aimé tourner en scope. Nous avons tourné en 1:85 pour la scène durant laquelle la princesse joue de la cithare, et nous avons rogné de l’image en haut et en bas du cadre. Nous avons pas mal discuté avec Mark Lee Ping-Bin, mon directeur photo, des orientations artistiques et techniques du film. J’ai même suggéré de tourner le film avec une caméra Bolex, mais ce n’était pas possible. Je pense que je l’aurais rendu fou car on ne voit pas bien dans l’œilleton de ce type de caméra. Étant donné qu’il doit avoir un œil dans le viseur et l’autre sur les acteurs, c’était vraiment trop compliqué. Pourtant, j’aime beaucoup ce principe d’enregistrer 20 secondes, et de tourner ensuite la manivelle, et durant ce temps les acteurs continuent de jouer. Cela crée un effet de jump cut qui me plaît. J’ai préféré abandonner l’idée. Au fait, je n’ai pas tourné en super 35, mais en 35 mm.

Sinon, il s’agit d’une collaboration de longue date entre Mark Lee Ping-Bin et moi. Cela remonte à l’époque où il était encore assistant au CNPC sous la supervision de ses maîtres. Des techniciens qui revenaient du Japon au contact desquels il a appris une grande précision, et une technique irréprochable. Je lui accorde toute ma confiance dans la mise en place du cadre et des lumières. Nous travaillons ensemble depuis le film Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985). Il est très fort dans son métier. Je ne suis pas capable de dessiner les idées que j’ai, mais quand j’écris des scénarios, j’ai des images en tête. Comme nous nous connaissons très bien, et que nous sommes complices, il est à même de me faire des propositions. Je le laisse faire et parfois j’interviens. J’ai très rapidement intégré le choix des focales dans le travail de ma mise en scène. Travailler en focale moyenne avec un 50 mm, et plus large avec du 35. Il m’arrive d’intervenir dans le travail de l’image en disant qu’il faut travailler avec tel objectif plutôt qu’un autre.  Sinon, je lui confie la réalisation de la seconde équipe, et je le laisse faire quand il va tourner des plans de paysages en extérieur sans acteurs à diriger.

Le film est une coproduction entre la Chine, Taïwan, Hong Kong et la France. Comment s’est monté un tel projet ? Quelles ont été les différentes difficultés ?

Si j’avais voulu trouver les financements à Taïwan, cela aurait été difficile. Il n’y a pas de société avec suffisamment d’expérience de faire ce type de montages et trouver des investisseurs étrangers. Ils n’ont pas l’habitude. Maintenant, il y a le marché chinois, tellement vaste, et la possibilité de tourner sur place. Cela nous a permis de convaincre la Chine populaire d’investir à hauteur de 50% dans le budget du film. Nous avons pu ensuite impliquer d’autres sociétés étrangères pour investir dans l’autre moitié. Cela n’a pas posé de souci particulier. Le film a été présenté comme un film d’époque avec des scènes d’action. Étant donné l’étendue du marché chinois, si j’avais souhaité le produire entièrement sur place en le vendant comme un film de genre, qui sait, le film aurait peut-être été meilleur.

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Nous demandons à chaque réalisateur que l’on rencontre de nous parler d’une scène d’un film qui l’a marqué ou inspiré. Quel serait votre moment de cinéma ?

Une scène ! C’est difficile, il y en a tellement dans l’histoire du cinéma. Il y a une scène d’un film que j’aime beaucoup, elle provient de Nuages Flottants de Naruse Mikio. La scène durant laquelle l’héroïne, interprétée par Takamine Hideko, met son rouge à lèvres. Pour moi c’est une scène extraordinaire. C’est à la fois, fort, puissant et réaliste. On sent la force du roman de Hayashi Fumiko.

Il y a aussi ce drame de Pier Paolo Pasolini, Œdipe roi, véritable tragédie grecque et traitée avec tellement de réalisme. J’étais fasciné par ce personnage qui revêt des protections simples qui n’entravent pas les mouvements, et je me demandais comment il allait venir à bout de cette horde de soldats en armure, des armures lourdes et peu maniables qui, au final, les handicapent et donnent l’avantage à l’adversaire libre de ses mouvements. J’aime ses apparitions dans ses films souvent en pauvre paysan. C’est un cinéaste que j’apprécie beaucoup.

Propos recueillis le 22/02/2016 à Paris par Martin Debat .

Traduction :  Pascale Wei Guinot.

Merci à Matilde Incerti et Jérémie Charrier. 

En coffret 6 Blu-ray et coffret 6 DVD le 8 novembre 2017.

6 FILMS MAJEURS DU CHEF DE FILE DE LA NOUVELLE VAGUE TAÏWANAISE

Inclus les films :

CUTE GIRL (1980 – 89 mn)

GREEN GREEN GRASS OF HOME (1982 – 91 mn)
LES GARÇONS DE FENGKUEI (1983 – 100 mn)
POUSSIÈRES DANS LE VENT (1986 – 110 mn)
LA FILLE DU NIL (1987 – 93 mn)

Plus d’informations dans la boutique de Carlotta !