A l’occasion de la projection de son quatrième film au Festival du Film Coréen à Paris (FFCP), A Taxi Driver, nous avons eu la chance de nous entretenir avec le réalisateur qui règne sur le box-office coréen de cette année, Jang Hoon.
Quel est votre parcours avant le cinéma ?
Je n’ai pas fait d’études de cinéma. A l’université, j’étudiais le design et la communication. A la fin de mes études, j’ai réalisé que je voulais faire du cinéma mais je n’avais pas de connaissances dans le domaine. Mes parents voulaient absolument que je trouve un travail, j’ai donc dû commencer à travailler dans le cinéma en secret.
Pouvez-vous nous expliquer la genèse d’un projet comme A Taxi Driver ?
Tout a commencé en 2003. Le journaliste allemand Jürgen Hinzpeter a été invité et récompensé pour son action durant les événements de Gwangju. Et il a reçu un prix. Dans son discours de remerciement, il saluait le courage des citoyens mais également celui de son chauffeur de l’époque qu’il aurait bien aimé revoir, Kim Sa-beok. C’est à ce moment que j’ai reçu la proposition du film et que le projet a démarré.
Comment avez-vous construit votre mise en scène qui change radicalement selon les situations ?
A l’origine, j’ai voulu construire le film autour des deux personnages qui ont un point de vue extérieur aux événements. Le chauffeur de taxi ne vient pas de Gwangju et le journaliste est étranger. Je voulais que les spectateurs suivent l’évolution du regard de ses personnages, et leur changement d’état d’âme. A l’époque, la ville était tellement fermée que les gens ne pouvaient même pas imaginer ce qu’il se passait là-bas. C’est un peu ça que j’ai voulu montrer. Les différents regards s’accordent à différents genres dans le film.
A l’aune de la situation de Gwangju, comment avez-vous réfléchi le rapport à la violence (qui est très crue dans le film) ? On pense à Kathryn Bigelow à certains moments, quels sont vos influences dans ces séquences ?
Si je devais revendiquer une inspiration, ce serait La Bataille d’Alger. Mais je me suis basé sur des sources qui n’étaient pas disponibles à l’époque, comme les images et les écrits des journalistes locaux voire étrangers qui sont aujourd’hui disponibles. C’est ce genre d’archives que j’ai vraiment analysé pour rendre compte de la violence du massacre. D’ailleurs beaucoup de photos d’archives tournent maintenant sur les réseaux sociaux, les Coréens connaissent le degré de violence que subissait les habitants de Gwangju. Pour des raisons commerciales, j’ai même dû adoucir le film car la violence étaient beaucoup plus terrible en réalité. Mais pour la scène de fusillade nous n’avions pas de support visuel, seulement une grande quantité de témoignages. Nous avons donc essayé de reconstituer cette scène le plus fidèlement possible.
Que pensez-vous du succès du film par rapport aux événements récents (l’éviction de Park Geun-hye) dans la société coréenne ?
Le film n’a pas vraiment de liens avec les événements. Il était déjà préparé bien avant que toutes ces affaires éclatent. Il n’était simplement pas encore sorti. Par contre, je dois avouer que je n’imaginais pas que le film sortirait sous un nouveau gouvernement. C’est donc une coïncidence qui a joué en faveur du film.
Et concernant la « liste noire », n’avez-vous pas été inquiété, surtout pour la préparation un tel film ?
Quand on a commencé le projet, on savait déjà à l’époque que cette liste noire existait et qu’il y aurait peut-être des répercussions. Mais nous sommes restés prudents, et nous n’avons pas parlé publiquement du projet durant la pré-production. Ce qui me laisse penser que le gouvernement n’était pas forcément au courant du film que nous étions en train de faire. Ce n’est que pendant le tournage que la liste est devenue accessible. Nous avons surtout rigolé à la vue de nos noms, mais comme la production était discrète nous n’avons pas été inquiétés. On n’a pas eu de problèmes pour faire ce qu’on voulait.
Et combien de temps a duré le tournage ?
4 mois et demi.
Quel était votre rapport à la figure du journaliste qui est centrale dans le film et qui s’inspire d’une personne toujours en vie ?
Je ne l’ai rencontré qu’une seule fois. Nous nous sommes rencontrés pour parler du projet, et il adorait le projet quand je lui ai exposé. Mais malheureusement, il est mort avant la sortie du film. Il m’a raconté des anecdotes sur Gwangju qui m’ont inspiré pour le personnage de Peter, et que j’ai transmises à Thomas. Nous avons invité sa femme pour la projection, et elle a trouvé le jeu de Thomas très fidèle au caractère de son mari. Elle l’appelait même par le prénom de son mari. Je pense que le personnage est à la hauteur de ce qu’on attendait, et je suis content de cela.
Les enjeux des affrontements à Gwangju ne sont pas vraiment explicités dans le film, est-ce que c’est une volonté de rendre le conflit universel ?
Ça peut effectivement être le cas. Mais de manière plus concrète, c’est un film qui est surtout destiné au public coréen et c’est un sujet connu de tous en Corée. Il n’y a donc pas de raisons d’expliquer les détails, car il n’y a pas un Coréen qui ignore le déroulement de cet événement.
Quel est le dernier film que vous avez vu au cinéma ou que vous aimeriez voir ?
Je n’ai pas beaucoup de temps pour aller au cinéma. Mais j’aimerais bien voir Blade Runner 2049.
Propos recueillis par Kephren Montoute à Paris le 25/10/2017.
Remerciements : Marion Delmas et Maxime Lauret, ainsi que toute l’équipe du FFCP.
A Taxi Driver de Jang Hoon (2017). Projeté lors de la 12e édition du Festival du Film Coréen à Paris.