Nous avons rencontré Sato Yoshinori venu présenter son second long-métrage, Her Mother, au 23ème Festival International des Cinémas d’Asie (FICA). L’occasion de revenir sur la thématique de son film, la peine de mort, mais aussi sur la place des auteurs indépendants dans l’industrie du cinéma japonais et sur son travail avec l’actrice Hakogi Hiromi récompensée par la mention spéciale du jury international.
Pouvez-vous présenter votre parcours aux spectateurs qui découvrent votre cinéma avec Her Mother ?
Je travaille encore aujourd’hui comme réalisateur pour la télévision. Her Mother est mon second film. Mon premier long-métrage, Bad Child, n’est malheureusement jamais sorti.
Quel type de programmes faites-vous pour la télévision et comment êtes-vous passé au cinéma ?
Je travaille pour des émissions de variété à la télévision. Pour faire un film, il faut trouver de l’argent. Ce travail me permet de financer mes films, qui sont auto-produits.
Quels réalisateurs vous ont inspiré, notamment pour Her Mother ?
Il y a énormément de réalisateurs qui m’ont inspiré et influencé. Si je me limite à parler de Her Mother, je citerai sans hésiter Jean Eustache. Je regarde souvent ses films et m’en inspire surtout pour la manière de montrer les conversations entre les personnages. Ils parlent de manière très sincère.
D’où vient l’idée de Her Mother ?
C’est un scénario que j’ ai écrit seul après beaucoup de préparation. Je n’ai cependant pas cherché à rencontrer des gens qui ont vécu ce genre d’histoires, mais j’ai lu beaucoup de livres.
Pourquoi avoir décidé de faire un film sur la peine de mort ?
Je suis parti d’un livre qui relate l’histoire vraie d’une personne, proche de ce que je raconte dans le film. C’était il y a huit ans et je voulais depuis faire un film autour de la peine de mort. La peine de mort existe au Japon et ce qui me gêne le plus est qu’il n’y a aucune discussion sur ce thème. C’est un système qui reste très discrètement en place, sans que personne n’y fasse vraiment attention. Je voulais au moins que ce film serve à provoquer une discussion.
Donc la peine de mort au Japon est communément acceptée ?
Selon les sondages officiels, 70 à 80 % des Japonais sont pour la peine de mort. Mais quand on regarde en détail, on se rend compte que la formulation de la question incite à une réponse positive. On demande si l’on accepte la peine de mort pour des crimes très graves. Mais en tout cas, au niveau des chiffres, la plupart des Japonais sont pour.
Vous utilisez une réalisation très mouvante, avec très peu de plans fixes. La caméra suit les personnages, avec beaucoup de gros plans qui soulignent leurs émotions. Est-ce un moyen de montrer les sentiments des personnages et de faire en sorte que le spectateur se sente au plus proche de l’action ?
Oui, tout à fait. Je voulais surtout montrer au public les visages des personnages. J’avais constamment en tête de faire un film autour des acteurs et leur donner le plus de liberté. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai utilisé la caméra à l’épaule : les acteurs sont plus libres car les mouvements de la caméra ne les gênent pas. Quand on utilise un pied, les mouvements sont fixés à l’avance. C’est donc plutôt la caméra qui s’adapte aux acteurs.
Comment avez-vous casté votre actrice principale, Hakogi Hiromi ?
Elle n’est pas très connue, mais j’avais déjà travaillé avec elle sur mon premier film. Elle y tenait un rôle secondaire mais d’une manière si excellente qu’elle m’a beaucoup marqué. Cela m’a décidé à faire mon second film en lui proposant le rôle principal. Je voulais la montrer d’avantage et mettre son potentiel en avant.
Comment avez-vous financé le film ? Est-il complètement auto-produit grâce à votre salaire de réalisateur de télévision ?
Le film a été réalisé avec un tout petit budget de 3,5 millions de yens (30 000 euros environ), dont un tiers a été financé par un crowdfunding et le reste vient bien de mes économies. J’ai dû travailler 3 ans pour réunir la somme.
Le film a été présenté au Festival de Busan : quelle a été la réaction lors de cette projection ?
Il y a eu trois projections passionnantes à Busan. Il y avait toujours beaucoup de monde et beaucoup de jeunes. Les questions des débats étaient toujours très pertinentes. Je sentais bien que les spectateurs ont beaucoup réfléchi pendant la projection.
Plus généralement, quel est votre point de vue sur l’état du cinéma japonais actuel ?
On dit très souvent que le cinéma japonais se limite aujourd’hui à deux tendances : d’un côté, des films commerciaux de divertissement qui marchent très bien et de l’autre côté, le cinéma indépendant auquel j’appartiens. Et il n’y a pas vraiment de milieu entre les deux. Je pense que c’est très important d’améliorer la situation pour qu’il y ait plus de films entre les deux.
Est-ce qu’il y a un film japonais qui vous a plu récemment ?
Harmonium de Fukada Kôji.
Est-ce que vous avez déjà un film en préparation ou devez-vous encore attendre trois ans pour en financer un ?
(rires)
J’ai déjà une idée pour mon prochain film, mais je ne veux surtout pas attendre trois ans pour le réaliser. Pour un réalisateur indépendant, ce qui est difficile, c’est que si l’on ne fait pas des films de manière régulière, les gens nous oublient. J’espère donc tourner l’année prochaine.
Pouvez-vous déjà nous parler de ce film ?
Le thème de mon prochain film sera la discrimination. Ce sera ma réflexion sur la discrimination. Je pense que c’est un sujet très actuel. Dans beaucoup de pays, il y a une montée des nationalismes : on refuse d’accueillir des étrangers ou des immigrés ; on privilégie son propre peuple… Dans cette tendance, j’aimerais vraiment exposer ma réflexion là-dessus.
Nous demandons à chaque artiste que nous rencontrons une scène, un film qui l’a inspiré ou marqué. Quel serait votre moment de cinéma ?
Il y en a tellement… Cela rejoint ce que j’ai dit tout à l’heure, je vais choisir la scène finale de La Maman et la putain de Jean Eustache.
Propos recueillis le 12/02/2017 à Vesoul par Elias Campos & Victor Lopez.
Traduction de Shoko Takahashi.
Remerciements : Célia Parisot, Bastian Meiresonne et toute l’équipe du FICA de Vesoul.
Her Mother de Sato Yoshinori. Japon. 2016. Présenté au 23ème Festival International des Cinémas d’Asie (FICA) du 7 au 14 février 2017 à Vesoul.