Cinéaste japonaise découverte au Festival de Cannes en remportant la Caméra d’Or pour son long métrage Moe no Suzaku en 1997, Kawase Naomi est revenue tout juste un an après avoir présenté le très beau Still The Water, avec Les Délices de Tokyo (aka A/N) un film qui, sous son apparence modeste, révèle en cours de visionnage des saveurs inattendues. À (re)découvrir au 23ème Festival International des Cinémas d’Asie (FICA) de Vesoul dans la programmation Le Japon se met à table !
Sentaro tient seul une échoppe dans laquelle il prépare ses dorayaki. Le lieu est fréquenté par quelques collégiennes fidèles. L’embauche hésitante de Tokue, une vieille femme aux mains abimées, va rameuter les gens du quartier alléchés par ses délicieux mets dont le secret réside dans la préparation de l’accompagnement sucré à base de haricots rouges de ces crêpes japonaises, l’An. La rumeur sur la maladie dont elle fut atteinte adolescente va se répandre et mettre à mal l’avenir du commerce.
Cette friandise cinématographique aux saveurs douces amères repose sur l’équilibre ténu de ses saveurs et ses ingrédients. Ce qui compte de prime abord est la qualité de la matière première : le scénario. Kawase Naomi raconte les destins croisés de trois âmes solitaires qui peinent à exister dans une société cruelle et pleine de préjugés. Chacun des personnages va se raccrocher à l’autre, dans l’espoir de combler un manque affectif et familial. De cette rencontre naît la réaction dramatique qui va donner la consistance à cette histoire.
Pour donner du goût à cette recette, le choix des acteurs est primordial. En tête, nous avons l’excellent Nagase Masatoshi, second rôle de talent (Mistery Train, La Servante et le Samourai, Electric Dragon 80000 Volts) qui traîne sa bobine depuis trois décennies sur les écrans nippons. Un acteur au jeu raffiné dont le visage fermé s’épanouit à mesure que le récit avance. Puis, vient Tokue, le cœur du film, interprétée par la touchante Kiri Kirin, grand-mère idéale du cinéma japonais, qui fit ses début à la Shoshiku dans les années 60. Elle est aujourd’hui une actrice familière des cinéastes Kore-eda Hirokazu et Kawase Naomi. Elle y interprète un personnage émouvant, dont les talents culinaires et les stigmates du mal-être vont révéler à leur tour l’éveil au monde de ses proches et le jugement hâtif de son entourage. Et enfin dans le rôle de Wakana, la jeune collégienne réservée, une révélation dont la seule expérience devant la caméra fut dans I Wish de Kore-eda. Cette jeune actrice prometteuse au jeu naturel s’appelle Uchida Kyara, elle n’est autre que la petite fille de Kiri Kirin.
Le secret d’une recette réussie tient essentiellement dans le talent de la cuisinière qui l’exécute, rôle dont Kawase Naomi s’acquitte avec raffinement. Tout au long du procédé, elle observe patiemment et avec beaucoup de bienveillance ses personnages prendre vie dans le cadre de sa caméra, les regarde évoluer dans les lieux exigus de leurs quotidien, vivant comme prisonniers des conventions sociales et cherchant un moyen de s’en échapper. Capté sans artifice de mise en scène, le film se révèle sensible et jamais réprobateur, la réalisatrice prenant soin de traiter les expériences de vie douloureuses de ses personnages sans pour autant sombrer dans le film dossier ou se laisser aller au chantage affectif.
Elle exprime au travers de Tokue sa vision animiste, sentiment qui contamine les personnages et le récit, et révèle dans son dernier acte une émotion de mélancolie qui donne tout le sucre au film. Loin du mélo indigeste, Kawase Naomi ne cherche pas à masquer la noirceur du propos mais fait glisser subtilement le regard de sorte qu’il apparaisse dans la lumière. En résulte alors un sentiment de joie et de sérénité.
Les Délices de Tokyo est un petit film qui se déguste avec plaisir, dont les images et les sentiments imprègnent nos souvenirs, une récréation cinématographique dont l’optimisme sincère de Kawase Naomi contraste agréablement avec les drames sociaux violents dans lesquels se complaisent ses compatriotes.
Martin Debat.
Jeudi 9 février à 13h45 – Majestic 4
Vendredi 10 février à 10h – Majestic 4