En salles – Insiang de Lino Brocka : illusions perdues

Posté le 2 juillet 2016 par

Réalisé en 1976 par Lino Brocka, le film philippin Insiang bénéficie d’une nouvelle sortie, en version restaurée et ce, grâce à Carlotta Films. Dépêchez-vous de le découvrir en salles avant qu’il ne disparaisse à nouveau !

insiang

Il y a deux scènes parmi les plus belles dans Insiang. Deux séquences similaires où l’on voit le personnage-titre, sorte de femme-courage, converser avec deux hommes différents, tout en marchant. Dans la première, elle écoute son « amoureux » lui tenir des promesses d’avenir. La seconde montre un autre garçon, sincèrement épris d’elle, lui racontant la même histoire, le même avenir, mais avec une subtilité dans les propos qui l’exclut de la médiocrité. Dans ces deux instants, Lino Brocka, l’auteur, cerne deux visages d’Insiang, deux manières de voir la vie, la naïveté d’une part et le réalisme d’autre part. Et au milieu, une désillusion fatale qui engendrera une vengeance implacable et froide.

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Insiang fut réalisé en 1976. C’est un film philippin. Le premier sélectionné au Festival de Cannes. Lino Brocka, auparavant, avait déjà mis le pied à l’étrier. On compte dans sa filmographie pas moins d’une soixantaine de films. Opéras, films sociaux, mélodrames, quelques-uns sont entrés dans la postérité, d’autres attendent sagement leur tour. Il faudrait un jour poursuivre le travail de fourmi de Pierre Rissient, défricheur hors-pairs de films rares dont Insiang.

Insiang, c’est le prénom d’une femme qui, dès l’ouverture du film, porte un tee-shirt jaune, un cabas sur la tête, marchant sans se soucier des autres, observée par une lune montante. Rien n’est anodin dans ce plan, tout est pensé mais subtilement. Cette couleur, ce « jaune », si l’on connaît un peu l’histoire des Philippines, c’est l’opposition à la dictature des années 70, orchestrée par Ferdinand Marcos. Ce jaune, c’est l’espoir d’un peuple qui ouvrit la brèche d’une révolution anti-Marcos. C’est le symbole de ce film qui, progressivement, dessinera une ligne droite calme et réfléchie.

Insiang plonge sa narration dans le mélodrame. Chaque personnage lutte pour exister au détriment des autres. Chaque intention est médiocre mais instantanée. Tout le monde a ses raisons surtout quand elles sont opportunistes. De la mère d’Insiang à Bebo (l’amoureux transi d’Insiang) en passant par Dado (caïd du village et amant de la mère) et Nanding (étudiant qui aime réellement Insiang), tous veulent croquer notre héroïne sans se soucier de l’existence de celle-ci.

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C’est en ce sens que Brocka installe paisiblement la durée du film. Embellissant chacune de ses saynètes, il va jouer sur deux niveaux. Le premier est de suivre lentement son personnage, l’observer, lui donner parfois des obstacles, et continuer à la voir. Le second niveau sera plus court mais plus intéressant. Insiang, voyant son aura sur les hommes, profitera de cette « fausse » qualité pour générer une revanche qui touchera tous ceux qui auront profité d’elle. Mais cette vengeance se fera sans qu’elle se mouille les mains, avec intelligence, lenteur et sensualité.

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Et lorsque le final surgit, l’on distingue une fille des bidonvilles devenue Femme d’un pays qui, au prix de ses valeurs, a dû se radicaliser pour essayer de croquer la vie. Mais est-encore une illusion ?

Samir Ardjoum.