Fukada Koji nous avait enchantés il y deux de cela avec Au revoir l’été son précédent film. Il revient cette année avec une œuvre aux antipodes : un drame post-apocalyptique dont le profond sentiment de mélancolie semble cacher une beauté renouvelée. Un film qui révèle un talent d’un nouveau genre, puisque l’un des rôles principaux est interprété par Gemonoid F, le premier androïde acteur!
Dans un futur proche, le Japon subit de nouveau un incident nucléaire. A cause du danger de la radioactivité, les habitants sont évacués vers d’autres pays. Les derniers rescapés attendent patiemment que leur destin soit tiré au sort. Tanya, réfugiée au Japon depuis son enfance, vit ses derniers instants en compagnie de Reona, un androïde acheté par ses parents en raison de sa santé fragile.
Autant Au revoir l’été était un film lumineux, chaleureux et positif, autant Sayonara, comme son nom l’indique, est un au revoir. Un adieu à un pays, une culture, à des êtres chers qui se dispersent au gré des vents, victimes de cette course effrénée du Japon vers la modernité. Et c’est durant cette pause, après la catastrophe que Fukada Koji pose sa caméra. C’est dans une maison isolée dans la nature, supposée à l’abri des grandes villes que vit Tanya (Bryerly Long). Un foyer chaleureux et pourtant désespérément vide, construit en matériaux naturels, dont la compagne synthétique semble être la seule présence technologique de cet habitat. Vautrée dans son canapé, Tanya attend, apathique, une nouvelle qui tarde à venir. Elle s’endort, à contre-jour, baignée d’une lumière froide qui éclaire au travers de la fenêtre une campagne aux couleurs automnales. Une palette de teintes ocres et rougeoyante qui lui confère cette beauté mortifère, celle qui annonce la fin d’un cycle. La jeune femme reçoit de temps en temps les visites d’une amie qui l’accompagne en ville, pour consulter les numéros de loterie, ou celle de son amant avec qui elle partage des moments de désir éphémères.
Les derniers résidents semblent tous partager une histoire tragique qui les ancre sur leur terre natale, des fautes commises dans le passé qui ont placé leurs dossiers en bas de la pile. C’est dans sa description de ses drames intimes que le film gagne en émotion avec ses personnages abandonnés par une société qui les empoisonnent. Le cinéaste filme une civilisation qui fonctionne au ralenti, dont les institutions disparaissent au fur et à mesure, isolant ainsi un peu plus les derniers survivants. Ils tentent vainement de conserver les bribes de leurs cultures, annonçant la célébration du festival d’été dans le gymnase de l’école. Une intention peu convaincante, qui se voit troublée par le concert improvisé d’un groupe de jeunes punks à l’extérieur du bâtiment. C’est dans cette scène qu’apparaissent avec flagrance certaines limites de la mise en scène du cinéaste. Il se trouve incapable de traduire en image ce besoins cathartique de rébellion des laissés pour compte. Sa réalisation calme et posée apparaît tout à coup comme crispée, le pied de caméra soudé au sol. Une scène qui se conclue sur un drame dont le personnage principal assiste telle une spectatrice passive. Son comportement achève ainsi le moindre effort du cinéaste de la rendre empathique.
Et c’est bien là que réside le problème, le cœur du métrage repose dans sa relation avec l’androïde, une liaison amicale basée sur l’échange, et le partage. Ou plutôt une existence en vases communicants. Elle, humaine, valide, très affaiblie par sa condition physique, et de l’autre, Reyna, un être cybernétique, invalide, qui peut recharger ses batteries au soleil et sur qui ni le temps, ni les radiations ne semblent avoir de répercussions. Au contact de sa propriétaire, elle s’est ouverte à la poésie, récitant dans leurs langues originelles les textes de Rimbaud et de Tanikawa Shuntarô. De ces échanges, et au travers de son expérience acquise pendant toutes ces années, le robot, un modèle pourtant jugé comme obsolète, parvient à assimiler des concepts humains et philosophiques. Une belle idée sur le papier, seulement, les longues discussions sur le sentiment de mélancolie, la beauté et la mort s’avèrent d’un ennui rébarbatif. Le cinéaste, dans cette deuxième partie, cherche pourtant à traduire cette sensation de fin imminente avec des effets de déformations anamorphiques qui confèrent à l’image un caractère déstabilisant. Comme si l’aspect nocif des radiations parvenait à contaminer le cadre et le déformer. Au moment où la lassitude s’installe et que l’on a l’impression que la fin s’étire péniblement, Fukada Koji semble d’un coup reprendre le contrôle de son récit ainsi que de sa mise en scène et signe un épilogue d’une beauté stupéfiante. Le cinéaste fait preuve ici d’une rare maîtrise de l’ellipse et fait du vrai cinéma. Il ne cite plus de poèmes, il fait de la poésie avec ses propres outils. Les saisons passent, un être s’éteint, le spleen laisse la place à l’espoir. Alors que les rayons du soleil font renaître la nature, une âme bourgeonne dans une enveloppe non organique. Bien qu’agressée par les inventions humaines, la nature reprend ses droits et le cycle de la vie se poursuit, prenant des chemins de traverse.
Fukuda Koji ne s’est pas reposé sur ses lauriers, et tout en conservant un ton et une sensibilité qui lui sont propres, il a pris le risque de s’attaquer à un sujet ambitieux, loin des attentes du public. Si l’on devine que son choix fut motivé par des images et des thèmes qu’il souhaitait aborder, le film, lui, aurait mérité encore quelques temps de maturation. Malgré ses quelques fulgurances de mise en scène et ces partis pris narratifs audacieux, le film souffre de certaines postures intellectuelles et d’une naïveté de son traitement qui forment le ventre creux du métrage. On lui pardonnera volontiers cette faiblesse, vite balayée par un dernier acte formidable.
Martin Debat.
Sayonara de Fukada Koji. Japon. 2015. Présenté au festival Black Movie 2016.