A Midsummer’s Fantasia fut une des belles surprises du récent Festival du Film Coréen à Paris. Il s’agit de la troisième réalisation de Jang Kun-jae et constitue une commande du Festival International du Film de Nara au Japon. Il s’agit bien sûr de la région d’origine et du cadre filmique privilégié de l’emblématique réalisatrice japonaise Kawase Naomi qui a proposé le projet à Jang Kun-jae. Le sujet était libre mais avait pour contrainte d’être tourné à Nara, obligeant le cinéaste coréen à se détacher de l’imagerie irrémédiablement associée au cinéma de Kawase Naomi. Jang Kun-jae place donc cette difficulté au cœur de son dispositif narratif par la construction déroutante du récit.
Un réalisateur coréen se rend dans une petite ville rurale japonaise, en repérages pour y tourner un film. Accompagné de son assistante et interprète, il se balade, à la rencontre des habitants et de leurs histoires, qui serviront de base à son film.
Le film est découpé en deux partie, l’une « méta » où le réalisateur illustre sa façon de s’approprier le sujet, cette région et ce pays étranger, et l’autre de pure fiction. La première partie narre donc l’histoire d’un cinéaste coréen (Lim Hyung-kook) en repérage dans la région de Nara afin d’y tourner un film. Cette découverte des lieux se fera par sa rencontre avec les habitants lui racontant leurs anecdotes personnelles associées à l’histoire de la région. Ce segment est filmé en noir et blanc, comme pour signifier la nature inconnue et la distance existant encore entre Jang Kun-jae et son sujet qu’il cherche encore, et ce cadre qu’il explore. On oscille ainsi entre une forme purement documentaire (le temps pris et la manière très naturaliste de filmer les entretiens avec de vrais habitants de Nara) et un certain mystère plus indicible lors des balades nocturnes du personnage du réalisateur s’imprégnant de l’âme des lieux et de ses fantômes. C’est précisément la réminiscence d’une étrange figure féminine en songe durant la visite d’une école abandonnée qui fera la bascule vers la deuxième partie fictionnelle.
Ce second segment entretient le questionnement méta puisque développant un des moments les plus sincères de la première partie, la confession du guide japonais (Ryo Iwase) qui racontait, ému, sa rencontre avec une Coréenne en visite à Nara. Ce moment servait de révélateur au personnage du réalisateur et Jang Kun-jae, à la manière de son alter-ego filmique, creuse le sillon de cette anecdote à peine esquissée pour enfin tisser le cœur émotionnel du film. Une jeune femme coréenne (Kim Sae-byuk, qui jouait l’assistante du réalisateur dans la première partie et entretient ainsi la confusion) explorant seule le Japon fait ainsi la connaissance d’un avenant jeune homme japonais. Sa distance et sa froideur font contrepoint avec la bonhomie du Japonais qu’on devine déjà amoureux et qui se propose de lui faire visiter la région. Jang Kun-jae s’approprie enfin les lieux (sans totalement se détacher de l’ombre de Kawase Naomi) à travers cette romance platonique où il filme leurs déambulations. On pense beaucoup à la trilogie romantique de Richard Linklater Before Sunrise/Before Sunset/Before Midnight lorsque le temps semble s’arrêter au fil de la marche et des discussions du couple. Cependant, à la logorrhée et au détachement de façade tout occidental de Julie Delpy et Ethan Hawke, Jang Kun-jae substitue une réserve et une gêne toutes asiatiques mais qui ne manquent pas de charme entre le Japonais et la Coréenne.
L’attirance se ressent plus par les regards et attitudes (la jeune femme rappelant de manière inattendue le guide japonais) que par le dialogue et les rares confessions sur leurs vies personnelles. La langueur et la beauté du paysage où se perdent les silhouettes du couple suffisent à envoûter et le charme opère progressivement. Le lien entre les deux parties se fait lorsque l’on visitera la fameuse école abandonnée, source de mystère dans le premier segment et de belle complicité dans le second lorsqu’ils joueront d’un instrument dans une salle de classe. Après avoir scruté en surface ses impressions confuses avec le noir et blanc, Jang Kun-jae use de la couleur pour la deuxième partie où paradoxalement le souvenir et la rêverie s’ornent pour les rendre plus palpables. Le fait que la romance ne se concrétise pas réellement mais constitue un aparté envoûtant justifie ainsi le titre A Midsummer’s Fantasia, la référence au Midsummer’s Nightdream de Shakespeare étant évidente. La mélancolie et un certain apaisement dominent ainsi l’incertitude de la première partie, le réalisateur explicitant ses tâtonnements et la façon simple dont il a réussi à détacher une émotion de ces lieux qui lui étaient inconnus.
Justin Kwedi.
A Midsummer’s Fantasia de Jang Kun-jae . Corée. 2015. Présenté au FFCP 2015.