Pour les 10 ans du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP), Ryoo Seung-wan, accompagné de sa productrice (et épouse) Kang Hye-jung sont venus présenter leurs nouvelle production : Veteran. Véritable champion du box-office coréen en 2015, le nouveau film du réalisateur de The Agent et de The Unjust est un savant mélange d’action percutante, d’humour corrosif et de satyre politique. C’est dans ce contexte que nous avons rencontré ce cinéaste doué, dont l’humour et la fantaisie transparaît dans une œuvre qui ne cesse d’évoluer au gré des genres.
Comment vous-est venue l’idée de Veteran ?
Les deux films que j’ai tourné juste avant Veteran ont une histoire assez obscure et les personnages principaux échouent. J’en ai pas mal souffert psychologiquement et j’ai voulu faire quelque chose de plus joyeux et drôle. J’avais aussi envie de parler du genre de cinéma que j’adorais quand j’étais plus jeune, c’est-à-dire des films d’action avec un policier pour personnage principal.
Dans vos précédent films, The Unjust ou The Agent, les intrigues étaient complexes. Était-ce délibéré de votre part de revenir à une forme de scénario plus simple ?
Si vous avez eu l’occasion de voir mes premiers films, vous verrez certainement qu’à chaque fois, je tourne un film qui est en contradiction avec l’œuvre précédente.
Votre film est un mélange miraculeux d’action, d’humour et de satire politique. Comment parvient-on à conserver le juste équilibre entre tous ces éléments ?
C’est en mixant mon attirance pour les films que j’aime en tant que réalisateur et ceux que j’aime en tant qu’individu que j’arrive à trouver un juste milieu. C’est vrai que c’est difficile de trouver ce juste milieu. Mais tout ça, finalement, se reflète dans ma propre personnalité. Je suis à la fois une personne très sérieuse et très décalée. Quand ça marche, tant mieux, cela fonctionne très bien et les gens adorent. Mais quand ça ne fonctionne pas, c’est vraiment un gros flop ! Cet équilibre, au cinéma, est difficile à atteindre et mélange des données contradictoires. Par exemple, en tant qu’individu, je crains et déteste la violence. Mais pourtant, quand je réalise un film, je suis fan des scènes d’action très réussies. Je vis au jour le jour cette attirance et, à la fois, cette crainte pour la violence.
Il y a toujours dans votre cinéma un goût certain pour l’humour et la parodie. Je pense notamment à la scène d’ouverture en plan-séquence qui pastiche allègrement le style de Martin Scorsese. Est-ce un clin d’œil intentionnel ou un aspect inconscient de votre mise en scène ?
Dans tous les films que j’ai réalisé, j’ai voulu faire des clins d’œil. Mais, d’un autre côté, c’est certainement aussi présent dans mon inconscient car ces films ont bercé ma jeunesse et cela ressort forcément dans mes propres films. Même quand je veux travailler une scène basée sur une inspiration très personnelle, au final, cela ne donne pas forcément ce que j’avais cherché à faire. Dans ce cas-là, je fais confiance en mon inconscient. Et, souvent, c’est beaucoup mieux comme ça !
En tout cas, la scène d’introduction ressemble davantage aux films policiers comiques américains des années 1980 ou ceux de Jackie Chan. On est plus proche des slapsticks de Buster Keaton que de Scorsese. Les scènes qui été inspirées de Scorsese sont plutôt les scènes de repas des membres des chaebols (conglomérats NDLR). Il n’y a aucune différence entre ce qu’ils font et ce que fait la mafia.
Souhaitiez-vous avec le personnage de Seo Do-cheol remettre au goût du jour une image du héros incorruptible, bagarreur et décontracté comme on en voyait souvent dans le cinéma des années 1980 ?
C’est vrai. J’avais envie de recréer ce personnage que je voyais souvent dans les films des années 1980 et que j’adorais. Mais ce personnage évolue entre le début et la fin du films. Au début, il est très violent et il en arrive même à créer de fausses preuves et ne suit aucune procédure. On a l’impression qu’il se défoule dans son métier pour soulager son stress personnel. Mais à la fin du film, le personnage a évolué et mûri parce qu’il a appris à connaître ses limites dans son métier, ce qu’il doit et ne doit pas faire. Il apprend à se sacrifier pour que les méchants puissent être condamnés par la justice et non par lui et sa violence.
Après une première partie aussi enthousiasmante n’aviez-vous pas peur de perdre, par la suite, les spectateurs avec une histoire policière plus conventionnelle ?
C’est une histoire qui soulève un sujet assez lourd. C’est pour cela que je voulais que le début soit plus léger et comique. Je n’ai jamais pensé que le public allait perdre de l’enthousiasme à partir du milieu du film parce qu’il y a toujours des allers-retours entre le sérieux et le comique. Ce n’était pas un grand problème pour moi. Les spectateurs sont aussi témoins de ce qui se déroule dans le film et peuvent avoir envie de savoir comment cela va se terminer. Pour comparer ça à une séance de musculation, c’est comme si on soulevait dès le départ des poids très lourds. Il faut des échauffements au début et j’ai pensé que si on s’échauffait suffisamment, on serait capable de porter ces poids lourds jusqu’à la fin. Et quand il y a des scènes assez dures, j’ai compensé avec des scènes plus légères. Dans le film, il y a toujours ce contraste entre « séance de cardio » et « séance de muscu » !
Dans Veteran, les personnages féminins de Joo-yeon, la femme du policier, disparaît en cours de métrage, de même que celui de Da-hye, l’amante de Tae-oh dont l’intrigue est peu traitée dans l’histoire. Leurs personnages ont-ils été raccourcis en raison de la durée du film ou, selon vous, n’apportaient-ils rien de plus à l’intrigue ?
Je n’ai pas donné beaucoup de poids à ces rôles féminins mais ils ont une certaine importance quand même. Ce qui est important, ce n’est pas le nombre de scène où elles apparaissent mais comment elles apparaissent. Le seul personnage féminin qui a été un peu modifié au montage est Da-hye, l’amante de Tae-oh. Par exemple, il y a une scène où elle appelle Tae-oh pour lui dire qu’elle est enceinte. Au départ, dans cette scène, elle informe Tae-oh de sa grossesse et lui demande quelque chose. Elle s’allie à son manager et menace Tae-oh. On apprend ensuite que le personnage ne peut pas avoir d’enfant. Je voulais au départ montrer que les deux jouaient à une sorte de jeu du chat et de la souris. Mais, une fois le film fini, je trouvais que cela ne collait pas au rythme donc j’ai enlevé ces scènes. Ce retrait a été bénéfique puisqu’à un moment, Tae-oh frappe Da-hye qui, donc, est une femme vraiment enceinte. Cela le rend encore plus mauvais.
On peut dire que vous n’y allez pas de main morte dans votre charge politique. Vous décrivez la Corée comme une dictature capitaliste et le personnage du policier Seo Do-cheol va même jusqu’à dire que c’est un pays de merde. Y avait-il à l’origine du projet une volonté de dénoncer les exactions et l’omnipotence de ces conglomérats ?
Ce n’est pas vraiment une critique. C’est simplement une réaction normale par rapport au stress que je ressentais à ce moment-là. Partout où je vais, je serai toujours en train de râler. Pourquoi, en France, après avoir tiré la chasse d’eau, ce n’est pas aussi propre qu’en Corée ? Pourquoi tout est cher à Londres ? Pourquoi les États-Unis sont aussi gigantesques ? Je suis né comme ça !
On dit que pour tout bon film d’action il faut un bon méchant. Comment avez-vous développé le personnage Jo Tae-oh ?
J’ai créé le personnage de Jo Tae-oh à partir de plusieurs faits divers à propos des membres des conglomérats qui se sont déroulées en Corée. Cela concerne surtout les enfants et successeurs des conglomérats qui font souvent n’importe quoi. Si on peut citer une différence par rapport aux autres films d’action, c’est que ce méchant n’est même pas conscient qu’il commet des crimes. Normalement, quand un méchant commet un crime, il le prépare et c’est intentionnel. C’est encore plus le cas dans les gangs ou mafias. La structure à laquelle appartient Jo Tae-oh n’est pas une vraie structure de malfrats et pourtant, ils commettent des crimes. Pour les policiers, cela aurait été plus simple s’ils s’étaient retrouvés en face d’un gang parce qu’ils connaissent ce genre de structure. Là, ils doivent lutter contre des amateurs qui ont des réactions inattendues. Je ne voulais pas faire ressembler Tae-oh à Al Capone. Je voulais insister sur le côté inconscient de ce personnage.
Qu’est-ce qui vous a séduit chez l’acteur Yoo Ah-in qui interprète Jo Tae-oh ?
Son sourire ! J’ai trouvé ça génial qu’il puisse interpréter ce rôle alors qu’il a un très beau visage et un sourire tellement radieux. Je me suis dit que le contraste était parfait. Le moment que j’ai préféré dans le jeu de Yoo Ah-in, c’est celui où il apprend que son amante est enceinte. Il s’énerve au téléphone et juste après, il prend l’ascenseur et il arbore un mega sourire pour accueillir les gens qui veulent monter dans l’ascenseur. Je trouve ce changement soudain grandiose. Il y a aussi cette scène quand il prend l’enfant dans les bras, avec un grand sourire, alors que le père de l’enfant va se battre.
Vos scènes d’action rappellent les grands moments du cinéma hongkongais des années 90. Quels sont les cinéastes qui vous ont influencés ?
Ce serait vraiment début des années 1990. Ce sont vraiment les films de Jackie Chan, Sammo Hung, etc. qui m’ont inspiré. Les scènes d’action étaient vraiment à leur apogée dans les années 1980.
Justement, comment s’est déroulé le tournage de ces scènes d’action ?
Je suis une procédure très particulière. Le plus important reste la sécurité et une bonne gestion budgétaire. Quand j’écris mon scénario, je note aussi les idées que j’ai sur les scènes d’action et je donne tout ça à l’équipe qui gère ces scènes. Elle prépare les scènes, de façon à ce qu’elles collent bien au scénario. Ils tournent des essais et je valide ou je corrige jusqu’à ce que ça me plaise. L’équipe de production et celle de la direction artistique cherchent, en parallèle, les lieux de tournage. Une fois que le lieu a été trouvé, on s’y rend et on travaille les scènes. Une fois que je sens qu’on est bien préparé, je m’occupe des acteurs. Ils ont 3 semaines environ pour répéter les scènes et les mouvements. Et ensuite, on retravaille les mouvements suivant les rôles tenus par chaque acteur. Il faut que les mouvements reflètent le caractère des personnages. Une fois que ce travail a été effectué, j’envoie la production, l’équipe de tournage et la direction artistique sur le lieu avec les acteurs. On répète les scènes dans un gymnase et on fabrique un faux set, on fait des essais de cadrage, on travaille sur la durée de la scène. Comme ça, on sait quels éléments on doit ajouter ou supprimer. De leur côté, la production et la direction artistique travaillent sur le budget à allouer à ces scènes. Et une fois que tout est prêt, je commence à tout casser et vu que je modifie tout et tout le temps, je me fais caillasser par tout le monde !
Propos recueillis le 18/10/2015 à Paris par Martin Debat et retranscris par Elvire Rémand.
Photos : Martin Debat.
Traduction : Ah-Ram Kim.
Merci à Marion Delmas et à toute l’équipe du FFCP.
Les films The Agent et The Unjust sont disponibles à la vente en DVD et Blu Ray. Le premier est édité chez Wild Side et le suivant chez Elephant.