DVD – Les Ailes d’Honnéamise de Hiroyuki Yamaga (1987)

Posté le 30 mai 2015 par

Les Ailes d’Honnéamise de Hiroyuki Yamaga ressort dans une sublime édition vidéo. L’occasion de se pencher sur ce jalon essentiel de l’animation japonaise.

Imaginez un monde prêt à se lancer dans la conquête de l’espace… Imaginez que vous êtes Shiro, un jeune pilote sans avenir qui se retrouve engagé dans la Royal Space Force. Une rencontre fortuite avec Riquinni, une jeune femme dévote, lance Shiro sur sa destinée : devenir le premier homme dans l’espace. Mais l’armée qui finance le projet veut utiliser le programme pour lancer une nouvelle guerre mondiale. S’engage alors entre Shiro et les militaires une course contre la montre afin de réussir à tout prix le premier lancement.

Les ailes d’Honnéamise constitue une date dans l’histoire de l’animation japonaise. C’est la première production du Studio Gainax, véritable institution à laquelle on devra des classiques comme la série Nadia et le secret de l’eau bleue, Neon Genesis Evangelion, Otaku no video ou Gunbuster pour citer les plus fameux. Le film innove notamment par sa méthode de production révolutionnaire dans le paysage de la japanimation. Gainax est en effet constitué à l’époque d’artistes inconnus et novices, des étudiants initialement venus de Daicon Film, une structure destinée à produire des films amateurs. Leur premier fait d’armes sera un court-métrage en 8 mm présenté à la convention Daicon 3 en 1981 et ils ouvrent par la suite la boutique General Products spécialisée dans la science-fiction. Le but est de créer une passerelle entre les produits dérivés et la production de films. Une démarche courante désormais mais relativement inédite à l’époque, leur permettant d’attirer l’attention du fabricant de jouet Bandai qui financera en grande partie Les ailes d’Honnéamise. Autour du réalisateur Hiroyuki Yamada va ainsi se constituer une équipe de grands noms en devenir, le plus connu étant bien sûr Hideaki Anno (futur créateur d’Evangelion), ici directeur de l’animation. La production atypique se conjuguera donc à une révolution esthétique découlant elle-même d’un scénario ambitieux. Le film découle d’une tendance plus adulte se développant de l’animation japonaise et plus particulièrement la science-fiction avec des œuvres comme Space Battleship Yamato, Gundam ou bien sûr Macross. Mais alors que ces séries conciliaient leurs audaces avec une dimension plus grand public (les chansons pop et les romances à l’eau de rose de Macross par exemple), Les Ailes d’Honnéamise s’avère assez radical dans sa volonté de délivrer un spectacle adulte.

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Dans le royaume fictif d’Honnéamise, la section de l’armée consacrée à l’exploration spatiale végète depuis de longues années. Les échecs et la mort tragique des différents pilotes d’essai a donc ralenti son activité, ses membres sombrant dans l’oisiveté et la nonchalance. C’est le cas de notre héros Shiro qui a vu se briser ses rêves d’enfance de conquête de l’espace. Ce détachement se signale dès sa première apparition où il arrive sans uniforme à une cérémonie funèbre, sa silhouette détonnant avec ses camarades et exprimant le regard désabusé qu’il porte sur son corps. Le début du film prend le temps d’exprimer le spleen de ce personnages pas à sa place au sein de l’armée où il s’ennuie, mais aussi dans un monde qui n’a rien à lui offrir. Sa rencontre avec la jeune Riquinni va pourtant le galvaniser. Malgré une existence difficile, celle-ci est habitée et s’accroche à sa foi en rêvant à un monde meilleur.

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Ce sera un déclic pour Shiro qui se porte volontaire pour la prochaine grande mission spatiale de la Royal Space Force – sa candidature offrant un pendant inverse du début puisque là il est le seul en uniforme et concerné alors que ses camarades se défilent. Le film constitue ainsi une sorte d’Etoffe des héros en animation, l’ensemble du récit constituant les préparatifs de ce qui doit être le plus grand des exploits, le premier homme en orbite autour de la Terre. On aura ainsi des descriptions riches en détails de toute la logistique de ce monde de l’aéronautique pour mener à bien le projet, que ce soit l’entraînement rigoureux de Shiro ou les longues séquences en entrepôt illustrant les différents stades de l’entreprise. Cela ne sera jamais ennuyeux car se plaçant toujours à hauteur humaine. D’abord par l’humour avec la joyeuse troupe de la Royal Force, complice et gaffeuse (la bagarre avec le corps de l’armée traditionnelle qui les méprise) mais surtout à travers les moments introspectifs où notre héros fait face à ses doutes. Doutes sur lui-même et sa réelle capacité à accomplir l’impossible mais aussi sur la raison d’être du projet.

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Le scénario ose une surprenante réflexion quant à la facette politique de ces conquêtes spatiales. Le pays imaginaire d’Honnéamise constitue ainsi un mélange entre le Japon industriel et totalitaire des années 30/40 (à travers son culte du chef notamment) et l’URSS de la Guerre Froide, le prestige de l’exploit autorisant des ressources financières colossales alors que le pays vit dans la misère. Shiro, artificiellement érigé en demi-dieu de la nation par les médias, voit ainsi en Riquinni ou les sans-abris les démunis que sa mission empêche de mieux vivre. Ce sera d’autant plus vrai quand le projet s’avérera une manœuvre fourbe visant à provoquer une guerre avec l’état voisin. La géopolitique, l’espionnage et la paranoïa vont ainsi souiller le doux rêve de Shiro qui aura bien du mal à s’y accrocher jusqu’au bout. Grandiose et intimiste à la fois, Les Ailes d’Honnéamise constitue en quelque sorte une métaphore de la propre situation du studio Gainax naissant. Un groupe de gens inexpérimentés tente de tutoyer les étoiles envers et contre tout, leur rêve devant surmonter tous les obstacles. L’ensemble des personnages fonctionnent ainsi, Riquinni, toujours vaillante, comptant sur Dieu pour voir sa condition s’améliorer et bien sûr Shiro et ses compagnons, pour qui cette mission devient l’accomplissement d’une vie. Une même foi animait les membres de Gainax (l’expérience ayant été fondatrice et inoubliable pour tous les membres de l’équipe qui célèbrent le film tous les dix ans depuis sa sortie).

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L’univers entier créé, la méticulosité du décor et l’innovation des nombreuses machines qui parsèment le récit impressionnent, tout comme la fluidité de l’animation qui relève du jamais vu pour un film de 1987. La musique de Ryuichi Sakamoto amène une grâce, une tonalité rêveuse et onirique à des images où la poésie s’invite à travers nombres de visions fabuleuses. On pense au final où les combats s’arrêtent, les belligérants cessant leurs attaques pour lever les yeux au ciel et assister à l’incroyable, un fusée s’élevant pour quitter l’atmosphère terrestre. L’épiphanie de Shiro contemplant la planète depuis l’espace est aussi un moment extraordinaire où tous les prodiges de l’Homme renaissent dans cet instant. Trop novateur, ambitieux et inclassable, le film (malgré des critiques élogieuses dans le monde entier) connaîtra un succès mitigé qui scellera presque la carrière d’Hiroyuki Yamada, mais pas celle du Studio Gaina qui s’offre là une sacrée carte de visite.

Une réédition superbe qui permet de voir le film dans sa version intégrale, la restauration est somptueuse et un livret bien documenté et informatif accompagne l’ensemble. Disponible depuis le 15 avril.

Justin Kwedi.