C’est au cours de la matinée que nous avons rencontré Brillante Mendoza qui nous a parlé de Sapi, de son image et de la scène indépendante philippine.
Pourquoi avoir choisi de faire un film d’horreur ?
Concrètement, l’idée de faire un film de genre est venu de mon producteur Wilson Tieng de Solar Films, qui voulait faire un film surnaturel. Mais il m’a laissé choisir le sujet que je voulais, il a juste insisté pour que ce soit un film d’horreur. L’idée d’une personne possédée était une idée que j’avais depuis pas mal de temps maintenant. Je voulais à la base faire un film sur une femme ou des enfants qui étaient supposément possédés mais pas dans le cadre d’un film d’horreur.
Est-ce que vous avez visionné d’autre films d’horreur pour préparer Sapi ?
Pas vraiment. Je voulais que ça ressemble à un documentaire plus qu’à un film d’horreur. Pendant la promotion, on doit se prêter au jeu et dire que c’est un pur film d’horreur mais je m’interesse plus à cette histoire de journaliste qui cherchent à faire une histoire sur un cas de possession qu’à l’épouvant en elle-même.
On peut dire que certains de vos précédents films, comme Kinatay par exemple sont déjà des films d’horreur non ?
(Il rit) Oui, c’est vrai. Kinatay, c’est l’horreur du quotidien. Sapi est complètement surnaturel. Je voulais coller au plus près de la réalité. Il n’y a pas beaucoup d’effets spéciaux. Dans la dernière partie du film, quand on voit le serpent sortir du vagin de la femme, je voulais que ce soit quelque chose de très naturel.
Vous êtes donc plus intéressé par l’aspect social que par l’horreur.
Oui. Tous mes films sont fait avec cela en tête. Mes films traitent avant tout des problèmes de la société. Pour moi, ça rend un film plus intéressant. La plupart de mes films sont basés sur la vie des gens, sur des problèmes qu’ils rencontrent au quotidien. Je fais des recherches intensives pour préparer mes films. Même pour Sapi, j’ai fait pas mal de recherches sur des cas de possession. Surtout sur des gens qui venaient de la campagne. En ce moment même aux Philippines, il y a des gens qui sont supposément possédés, des étudiants surtout. Apparemment, ils SONT possédés. Ils font des choses super bizarres, ils crient, etc. Cela s’est passé dans plusieurs écoles, dans les milieux pauvres. Tout ça m’intéresse. Le point de vue européen sur la question est assez passionnant également. On associe surtout ces cas à des maladies mentales. J’ai parlé à pas mal d’européen, même des Français d’ailleurs, qui ont fait des documentaires sur ce sujet. Ils m’ont dit « si tu crois à ces choses-là, on va dire que tu es malade ! »
Donc les reportages télé sur des cas de possessions existent bel et bien sur les grandes chaines philippines ?
Oui, et c’est traité comme un vrai problème. Toutes les chaines s’arrachent les sujets. Même pour nous, ce sont des sujets impressionnants et passionnants.
Vous faites une description assez méchante du monde de la télévision. Vous décrivez ce petit monde comme une bande d’arrivistes sans pitié. Vous parlez par expérience ou c’est juste un constat que vous vouliez faire ?
C’est juste un constat. J’ai parlé à des journalistes dans un festival du film fantastique en Espagne et c’était la même chose. Aux Philippines comme ailleurs, le monde de la télé peut être vraiment horrible. Les gens peuvent être très cruels, ambitieux et égoïstes. C’est une simple observation. J’ai travaillé à la télévision en début de carrière. Je n’ai pas réalisé de reportage, mais plus des documentaires.
Vous vouliez créer un parallèle entre ce petit microcosme et votre pays en général.
Oui, bien sûr. Au début du film, on y voit un typhon qui se prépare. Les catastrophes de ces derniers mois n’étaient même pas encore arrivées. Il y a eu une polémique aux Philippines, à cause du nombre de morts et du fait que le pays n’était pas préparé à une catastrophe de cette ampleur.
Comment les critiques et le public ont réagi à votre film ?
Pour beaucoup de Philippins, il était facile de comprendre la situation. Il y a bien deux grandes chaînes qui sont en concurrence dans notre pays. Ils se battent vraiment pour obtenir la meilleure audience. Certains admirent ce que je dénonce, d’autre sont gênés. Mais ça ne me dérange pas, je suis habitué à ce genre de polémiques.
Et le long métrage en tant que film d’horreur a-t-il eu du succès ?
Non, pas du tout. Quand on parle de film d’horreur, on s’adresse tout de suite à un public de niche, ils attendent certaines choses, comme des passages obligés. Pleins d’effets visuels, et être effrayé d’une certaine manière. Moi, je voulais les effrayer avec les réalités de la vie. Les gens ne sont plus effrayés par toutes les horreurs qu’ils ont devant les yeux. Pour eux, c’est normal.
Nous avons vu The Woman In The Septic Tank hier, de quel œil voyez-vous cette satire des « poverty Porn » ?
Ce sont des choses qui arrivent vraiment. En fait, c’est une parodie de mon film John-John, je ne sais pas si vous l’avez vu ?
Oui, bien sûr.
C’est une parodie pas terrible de mon film (Fucked Parody en anglais). Je connais le réalisateur ainsi que Eugene (ndlr : Eugene Domingo actrice philippines) qui sont des bons amis. C’est un film drôle par moment. Ça arrive à certains réalisateurs qui au fond n’ont rien à dire, qui veulent juste faire le tour des festivals du monde avec leurs films. Mais… comment pourrais-je dire ça, ce n’est pas à 100% vrai. Ce sont des amis à moi, ils connaissent mon opinion à ce sujet. J’étais invité à la première à Manille avec le réalisateur, le scénariste et les acteurs. Qu’on parodie mon film ne me dérange pas du tout, c’est quand même une sorte d’hommage quand quelqu’un parodie ton travail. Je suis plus inquiet quant au fond du film et au message que ces cinéastes voudront transmettre dans le futur. Quand on parodie quelque chose, on doit avoir une vision, être critique des problèmes qu’on moque. C’est mon avis sur la question. Mais si vous n’êtes pas sincère sur ce que vous dîtes et faites, je me demande bien pourquoi vous faites ce genre de film. Pourquoi vous avez fait ce film ? Peut-être que vous êtes aussi coupable de ce que vous essayez de critiquez dans votre film. Si votre avis sur la question est juste de montrer des réalisateurs qui veulent devenir des stars en filmant les bidonvilles, pourquoi montrez-vous ces même pauvres gens dévaliser la voiture de ces cinéastes ? Vous voyez ? Ça c’est du « Poverty Porn », vous critiquez les pauvres gens, pas les réalisateurs. Dans le film, ils essaient de critiquer les jeunes réalisateurs, mais à la fin le point de vue change et ce sont les pauvres qui essaient de voler. Ce sont eux qui passent pour les mauvaises personnes. Voilà mon avis sur la question.
Qu’est-ce que vous pensez de cette nouvelle vague de cinéastes aux Philippines ?
C’est bien que la technologie ait évolué. Je peux m’exprimer plus facilement. Maintenant, le cinéma s’est démocratisé aux Philippines. Presque tout le monde peut faire du cinéma. Mais à la fin, ce n’est pas tant faire des films qui est important, mais pourquoi on les fait. Est-ce que ce sont des raisons plus personnelles ou essayer de faire partie de la nouvelle vague ? Ça peut être quelque part assez dangereux. Je suis quand même content, les jeunes réalisateurs philippins sont plein de ressources. Ils peuvent mettre en scène de grandes histoires avec un budget vraiment petit. Mais je pense qu’avec le statut de réalisateur vient tout un tas de responsabilités. Ce n’est pas juste enchaîner film sur film juste pour les faire.
Vous pensez que les jeunes réalisateurs ne sont pas encore assez matures ?
Oui, certains n’ont pas encore la maturité nécessaire. Par exemple, ils viennent parfois me demander conseil. En premier, je ne leur demande qu’une chose : pourquoi voulez-vous faire des films ? Si ils ne sont pas capables de répondre à ça… Il faut qu’ils fassent un ou deux films d’abord avant de trouver leur voie. Ils sont trop enthousiastes. Parfois ils ont trop d’énergie, veulent faire quinze choses en même temps. C’est bien, mais il faut que quelqu’un les calme, leur dise de se relaxer, de prendre leur temps. Je leur dis souvent : prenez votre temps, vous avez tout le temps du monde pour créer. Je pense que c’est la chance que j’ai eue. Je ne peux pas les blâmer pour leur comportement je faisais la même chose à leur âge. Je voulais faire plein de truc, bla bla bla, mais finalement ça ne s’est pas passé. Je suis reconnaissant car j’aurais été différent si j’avais tout de suite pu faire des films, une tout autre différente personne. J’ai commencé à 45 ans et j’étais plus mature pour voir les choses sous un autre angle et ça m’a beaucoup aidé. Je pouvais être plus responsable sur pas mal de problèmes.
Et vous pensez être une influence pour ces jeunes réalisateurs ?
Je n’ai pas vraiment envie de penser ça. Je fais juste mes trucs. J’ai beaucoup de chance et je suis reconnaissant pour ça. Mais ce n’est pas une histoire d’accomplissement pour moi. Plus je fais des films et plus je me dis qu’il y a encore tant d’histoires à raconter. Il s’agit des problèmes du pays.
Comment voyez-vous le futur de la scène indépendante philippine ?
Ça marche plutôt bien. Les réalisateurs philippins sont de plus en plus reconnus à travers le monde. Je suis très content. Après Lino Brocka, on a un peu plus regardé les films philippins. C’est une très bonne chose. Il devrait cependant y avoir une étape supplémentaire. Nous ne sommes pas encore arrivés. Après cette marche en avant, il faudra aussi savoir revenir en arrière, regarder les Philippines et ce peuple. Continuer à parler de ces gens. On doit pouvoir continuer d’essayer de changer les choses, même si un film ne fera rien, il faut continuer et il faut que la nouvelle génération saisisse ce concept.
Nous avons rencontré Arnel Mardoquio au Black Movie le mois dernier, vous avez sélectionné son film pour qu’il figure dans la sélection. Pourquoi ce choix ?
Arnel m’impressionne vraiment. Il a tellement de chose à dire, un message à délivrer. La plupart de ses films sont concentrés sur le sud du pays et comme on le sait c’est une zone en conflit depuis tellement d’années. Je l’admire vraiment, j’admire son courage. Il a un talent pour créer des images puissantes, il a une vraie vision. Il a tout mon soutien.
Vous soutenez beaucoup de réalisateur dit régionaux ?
Oui. Je viens d’ailleurs de produire un film qu’on a présenté à Berlin dans la section Panorama et qui fait grand bruit. Ça s’appelle Unfriend réalisé par Joselito Altarejos. J’ai produit également un film réalisé dans ma ville natale, sur des sculpteurs de bois. J’essaie de les soutenir au maximum.
Nous demandons à chaque artiste que nous rencontrons une scène, un film qui les a inspiré ou marqué. Quel serait votre moment de cinéma ?
J’en ai beaucoup en fait ! Ça change à chaque fois. C’est ce qui est bien avec le cinéma. Selon l’instant et le film que l’on regarde, il y a des choses auxquelles nous sommes plus sensibles. Ça donne de l’énergie, c’est ça la vie non ? J’ai le souvenir d’une scène dans Amour de Michael Haneke quand le mari tente de tuer sa femme, c’était très fort. Il y a aussi 4 mois, 3 semaines et 2 jours de Cristian Mungiu qui est incroyable, remplit de scènes puissantes. J’ai beaucoup aimé. Ce sont deux films qui m’ont marqué récemment. J’ai également le souvenir d’une scène dans Entre les murs de Laurent Cantet, au milieu de la classe les élèves parlent du fait que leur professeur soit gay. C’est une scène simple, mais puissante. C’est carrément « in your face ». On le voit tous les jours, ça arrive tous les jours. On se dit : mon Dieu ! Ça arrive dans absolument TOUS les pays du monde ! Spécialement dans les pays développés.
Est-ce que vous avez un dernier mot pour nos lecteurs ?
Hum… un dernier mot… c’est difficile ! Je suis vraiment content d’être invité ici une nouvelle fois. L’atmosphère est relaxante, tout le monde veut voir des films et moi aussi je peux. C’est un festival très différent des autres. Je m’y plais. Mais je suis super déçu, j’attendais de la neige ! J’avais prévu mon manteau, je ne peux jamais l’utiliser. Tout le monde est content qu’il n’y ait pas de neige alors je suis content quand même.
Entretien réalisé au FICA 2014 le 14/02/2014
Propos recueillis et retranscription par Jérémy Coifman.
Un grand merci à Wafa Ghermani à toute l’équipe du FICA et à Brillante Mendoza pour sa gentillesse.
LE FICA de Vesoul 2014 sur East Asia :
Édito preview : d’un festival à l’autre
Entretien : Martine Thérouanne, directrice du festival
Entretien : Brillante Mendoza pour Sapi
Cinéma philippin : rencontre avec Eugene Domingo (actrice) et Joji Alonson (productrice)
Critique : Qissa d’Anup Singh (Visages des Cinémas d’Asie Contemporains)
Entretien : Anup Singh, réalisateur de Quissa
Critique : Leçons d’harmonie d’Emir Baigazin (Avoir 20 ans)
Entretien : Atiq Rahimi réalisateur de Syngué Sabour (Carte Blanche de nos 20 ans)
Critique : Vertiges de Bùi Thac Chuyên (Francophonies d’Asie, le Vietnam)
Critique : L’Hirondelle d’or de King Hu (La Carte blanche de nos 20 ans)
Critique : Thy Womb de Brillante Ma. Mendoza (Regard sur le cinéma philippin)
Critique : Like Someone In Love d’Abbas Kiarostami (La carte blanche de nos 20 ans)
Critique : Les Enfants de Belle Ville d’Asghar Farhadi (Avoir 20 ans)
Critique : Poetry de Lee Chang-Dong (La carte blanche de nos 20 ans)
Critique : Chungking Express de Wong Kar-Wai (La carte blanche de nos 20 ans)