FICA 2014 : Regard sur le cinéma philippin – Critique de Thy Womb de Brillante Ma. Mendoza

Posté le 4 février 2014 par

« Le Regard sur le cinéma philippin » : sous se titre, se cache une selection variée de 20 films de 1975 à aujourd’hui. Des découvertes suprenantes aux classiques de Lino Brocka, le Festival de Vesoul dresse un panorama passionant d’une cinématographie trop méconnue. La selection fait bien sûr la part belle à l’oeuvre de Brillante Ma. Mendoza, invité d’honneur et président du jury. L’occasion de voir ou (et) revoir sa dernière réussite : Thy Womb.

Brillante Ma. Mendoza s’est imposé en très peu de temps comme le cinéaste le plus important des Philippines. Sa filmographie, démarrée il n’y pourtant pas si longtemps que cela, est déjà très impressionnante. Quand on l’avait quitté dernièrement après Captive, sa carrière semblait en être à un tournant. Plus de moyens, une tête d’affiche internationale, on se demandait vers où cela allait le mener. Nous avons eu notre réponse avec son magnifique et intimiste Thy Womb.

image[3]

Situé aux îles de Tawi-Tawi, une région du Sud des Philippines jusqu’alors jamais vue au cinéma, Thy Womb surprend et enchante d’office par son univers extrêmement lumineux et coloré, aux antipodes de la pénombre de la salle de cinéma de Serbis, la nuit de Kinatay ou encore la jungle touffue de Captive. Mais sous la quiétude d’un paradis terrestre apparent, Mendoza inflige très vite à ses spectateurs et ses personnages une piqûre de rappel des réalités sociales de son pays, avec une surprenante et rapide irruption de violence. Notre couple de héros, qui pêchaient tranquillement, se fait agresser par une bande de pirates surgissant de nulle part, et s’en sortent in extremis, une balle dans le ventre comme souvenir pour le mari.

Mais là n’est pas le sujet de Thy Womb, l’incident est oublié dès la scène suivante. L’unique préoccupation de ce couple de pauvres pêcheurs qu’on imagine quadragénaire est l’infertilité de la femme. Pour y remédier, une seule solution : trouver une nouvelle épouse au mari, qui portera ses enfants. Ainsi, Thy Womb est un film à taille humaine, où l’aspect politique ne dépasse pas la toile de fond. Pourtant, ces irruptions instantanées n’en resteront pas là. L’armée rode, et peut survenir à tout moment, quand on ne s’y attend plus. Comme lors d’un mariage, grande scène de mise en scène et grand moment de bonheur affiché soudainement gâché par des sirènes d’autant plus inquiétantes que les personnages, que la caméra suit au plus près, ne voient pas d’où elles proviennent. L’armée se contente ici de ne faire que des vagues, mais comme le montre de manière magnifiquement simple une de leurs dernières interventions, cela peut suffire à les faire chuter à tout moment.

thy-womb

Qu’importe. Nos deux personnages font tout pour ne pas se soucier de ces intempéries intempestives. Comme quasiment tous les films de Brillante Ma. Mendoza, il est pourtant bien question de survivre. Mais la survie, malgré une réalité sociale bien encrée à l’image, est cette fois plus métaphysique. Il faut absolument perpétuer l’espèce. La survie dans Thy Womb se résume à l’arrivée d’une nouvelle vie. Pour cela, notre héroïne est prête à tout. Mendoza passe tout son film à suivre ses démarches pour trouver une nouvelle femme à son mari, sans jamais la quitter d’une semelle. Un combat d’autant plus émouvant qu’il l’amène irrémédiablement à un ultime sacrifice. Tout cela est filmé sans jugement. Le point de vue du film est d’autant plus fort qu’il n’omet pas celui du mari, personnage tout aussi touchant, perdu par les conséquences qu’auront ses actes. Ce couple s’aime, ils fonctionnent à merveille ensemble, et c’est de là que Mendoza puise la sincère émotion que traverse Thy Womb.thy-womb-foto-film

Très vite, il apparaît évident que ce film est à rapprocher de Lola. C’en est plus exactement un négatif ; le but n’est plus d’enterrer mais de faire naître De plus, outre ce personnage prêt au sacrifice du substitut, comme la grand-mère Lola qui voulait être arrêtée à la place de son fils, il y a bien sûr la place centrale de l’eau. Lors de son hommage à Wong Kar-wai au festival du film asiatique de Deauville, le président du jury 2013 Jérôme Clément rappelait l’omniprésence de l’eau dans le cinéma du réalisateur hongkongais, grand symbole d’une mélancolie diluée. On peut difficilement trouver styles plus différents qu’entre ceux de Wong Kar-wai et Brillante Ma. Mendoza. Pourtant, cette remarque s’applique totalement au film du Philippin. Ses personnages avancent, sachant très bien que quelque chose d’essentiel s’est brisé à la suite de leur quête, mais ils prennent sur eux, le retour en arrière étant impossible.

thy-womb-nora

L’eau, c’est aussi des vagues. Comme celles provoquées par l’armée, citées plus haut. Parler des « vagues de la vie » peut paraître désuet, mais c’est bel et bien tout le propos de Mendoza, qu’il illustre tout en continu et douceur. On parlait en introduction de l’apport ou non de meilleurs moyens techniques. Dans Thy Womb, fini les travellings tremblants à la Serbis. Quand mouvement il y a, comme la scène centrale du mariage, il est discret, dansant. Comme des vagues.

De nouveau, à l’image de Lola, si sur le fond il est sans cesse question d’argent, et sur la forme d’un lieu magnifique sublimé, le tout devient un film d’une humanité débordante et absolument bouleversante.

Frédéric Rosset.

Thy Womb de Brillante Ma. Mendoza est présenté au FICA de Vesoul du 11 au 18 février.

Pour plus d’informations sur le festival.

Pour plus d’informations sur le film (et ses scéances).

LE FICA de Vesoul 2014 sur East Asia :

Édito preview : d’un festival à l’autre

Édito bilan : Quick Change ?

Podcast : spécial FICA

News : la programmation

Entretien : Martine Thérouanne, directrice du festival

Entretien : Brillante Mendoza pour Sapi

Cinéma philippin : rencontre avec Eugene Domingo (actrice) et Joji Alonson (productrice)

Critique : Qissa d’Anup Singh (Visages des Cinémas d’Asie Contemporains)

Entretien : Anup Singh, réalisateur de Quissa

Critique : Leçons d’harmonie d’Emir Baigazin (Avoir 20 ans)

FICA 2014 : Le palmarès

Entretien : Atiq Rahimi réalisateur de Syngué Sabour (Carte Blanche de nos 20 ans)

Entretien : Phan Dang Di et Ngyuen Ha Phong, réalisateurs de Bi, n’aie pas peur (Francophonies d’Asie, le Vietnam)

Critique : Vertiges de Bùi Thac Chuyên (Francophonies d’Asie, le Vietnam)

Critique : L’Hirondelle d’or de King Hu (La Carte blanche de nos 20 ans)

Critique : Thy Womb de Brillante Ma. Mendoza (Regard sur le cinéma philippin)

Critique : Like Someone In Love d’Abbas Kiarostami (La carte blanche de nos 20 ans)

Critique : Les Enfants de Belle Ville d’Asghar Farhadi (Avoir 20 ans)

Critique : Poetry de Lee Chang-Dong (La carte blanche de nos 20 ans)

Critique : Chungking Express de Wong Kar-Wai (La carte blanche de nos 20 ans)