Les films parlant de l’histoire ou de la légende d’Ip Man se suivent et ne se ressemblent pas, la fascination des cinéastes chinois pour cet homme étant bien compréhensible. Le dernier en date à se frotter à la figure de ce héros est Wong Kar-wai avec The Grandmaster. Wild Side nous permet aujourd’hui de découvrir le film en DVD et Blu-ray.
Voir Wong Kar Wai s’atteler à un film d’arts-martiaux, retraçant la vie d’Ip Man, ne peut que séduire. En effet, entre l’esthétique du réalisateur, Yuen Wo Ping aux chorégraphies, et un casting alléchant regroupant, entre-autre, Tony Leung dans le rôle titre, et Zhang Ziyi, difficile de ne pas être fébrile en découvrant l’oeuvre.
Et The Grandmaster est, par bien des côté, un film d’une fulgurance rare. Dès le premier combat en introduction, il est visible que Wong Kar Wai et Yuen Wo Ping ne cherchent pas le réalisme dans les combats, mais ceux-ci sont visuellement impressionnants. Les hommes volent en tous sens, les coups pleuvent, précis, magnifiques, et la réalisation, utilisant de nombreux ralentis, magnifie chaque geste. De même, que ce soit la météo ou les lieux où se déroulent l’action, tout est choisi, millimétré, pour rendre la séquence superbe, Wong Kar Wai, esthète perfectionniste, recherchant toujours la beauté. Le premier combat, se déroulant ainsi sous la pluie, les gouttes tombant au ralenti, est d’une beauté rare. Hélas, Wong Kar Wai positionne tous ses combats extérieurs sous la pluie et, bien que le charisme des personnages reste présent, une lassitude s’installe ainsi au fil des séquences.
Car oui, il pleut beaucoup, dans The Grandmasters. Dès qu’un personnage quitte un lieu et risque d’entrer en combat, des trombes d’eau s’abattent sur le décor. Il est évident que Wong Kar Wai n’a pas fait ce choix pour montrer la météo déplorable de la Chine, mais plutôt par un soucis d’esthétisme. En effet, les combats sous la pluie, les gouttes tombant au ralentis, sont beaux, et permettent quelques moments d’esthétismes superbes, comme ces moments où les gouttes de sang, elles-même chutant doucement, se mélangent à l’eau. Les coups, portés lentement, détruisent les gouttelettes en des séquences à la beauté sauvage, mais Wong Kar Wai cherche sans doute à faire passer un message plus profond. Peut-être est-ce pour lui un moyen d’exprimer sa tristesse face au destin de ce pays, et de ses tragiques héros, des larmes divines s’abattant sur le film tout autant que sur ses personnages, mais le message manque quelque peu de subtilité et, par son côté sur-appuyé, agace un peu.
Heureusement, les combats en intérieur sont plus variés, entre une gare (magnifique, avec quelques flocons de neige se faufilant entre les combattants), le pavillon d’or et d’autres. Wong Kar Wai a un soucis de l’esthétique qui, bien que devenant un peu lassant et maniéré au fil du film, rendent ses scènes superbes.
De même, l’histoire, mêlant « petite histoire », c’est à dire celle d’Ip Man, et grande histoire, celle de la guerre, est superbement écrite. A base d’ellipses, la voix off de Tony Leung nous expliquant ce qui manque, ou de courts textes apparaissant à l’écran pour que le spectateur relie les périodes, le scénario est sublime, passionnant, mais n’évite pas – ne peut éviter, au vu de l’histoire qu’il désire raconter – quelques longueurs. Et pourtant, bien que le film ne s’étende trop en durée, le spectateur a l’impression qu’il manque des choses. Le personnage de Lame, par exemple, bien que génial, n’apporte pas grand chose. Sa rencontre avec Gong Er est certes intéressante, mais, par la suite, il ne réapparaît qu’une ou deux fois, sans que son histoire ne soit vraiment rattachée à celle d’Ip Man. L’impression de quelques coupes sauvages exercées par le cinéaste est ainsi présente. Ce sentiment est un peu dommage, car les personnages sont superbement construits, traversant de nombreux revers, et les acteurs les campant sont prodigieux. Ainsi, Chang Chen, incarnant Lame, parvient à retranscrire parfaitement le charisme froid et dur de ce gangster violent mais empli d’honneur, et toutes les séquences où il apparaît, sa présence et son charisme envahissent l’écran. Zhang Ziyi, de son côté, incarne une Gong Er fascinante. Sa beauté est rayonnante, lumineuse, mais en même temps, les émotions du personnages ressortent de manière brillante. Entre la force de caractère qu’elle déploie, l’amour tragique et impossible qu’elle ressent, et la déchéance qui finit par la saisir, le spectateur ne peut que ressentir une empathie troublante pour ce personnage, grâce au talent de l’actrice qui l’incarne.
Ainsi, si The Grandmaster n’est pas parfait (trop maniéré, trop long, trop dense pour éviter les coupes nombreuses), il n’en reste pas moins un film magnifique, à voir et à découvrir, un grand moment de cinéma doté de quelques scènes inoubliables, et d’un souci esthétique assez hallucinant.
Wild Side promettait une édition passionnante en termes de bonus, et une œuvre pareille le méritait complètement. Hélas, si l’édition combo DVD/Blu-ray est un peu plus fournie que l’édition DVD, on est loin de ce que le cinéphile aurait pu espérer. Pas de commentaires audios, ni de scènes coupées (qui doivent pourtant être nombreuses) qui auraient pu éclairer le cinéphile sur les choix du film, mais un making-of d’une demi-heure (ce qui reste peu) et un documentaire sur les recherches effectuées par Wong Kar-wai.
Dans la version de base, le making-of ne dure qu’une dizaine de minutes, et est coupé en trois parties. La première se concentre sur Tony Leung, son entraînement, ses blessures et sa manière de rentrer dans son rôle. Intéressant mais hélas beaucoup trop court. La deuxième partie s’intéresse à Yuen Woo-ping et aux combats, et prête à sourire par son côté franchement promotionnel. Entendre parler de réalisme face à ces combats, certes esthétiques mais jamais crédibles, est un peu exagéré. La troisième partie explique à quel point le réalisateur fait un portrait fidèle de la culture chinoise et de la représentation des arts martiaux. Courte et totalement inutile, cette featurette conclut ce making-of qui n’apporte rien et n’en est finalement même pas un, mais juste quelques scénettes promotionnelles et publicitaires pour donner envie aux gens de voir le film, et donc totalement inutiles en bonus d’un DVD, puisque les spectateurs ont déjà vu le métrage. Le clip sur les effets spéciaux n’apporte rien, montrant les avant et après sur de la musique, mais il aurait fallu – surtout avec un tel travail esthétique – un vrai documentaire, avec interview des concepteurs et du réalisateur, au lieu de cette featurette inutile. Et pour finir, nous avons droit à une présentation de l’art martial mis en avant dans The Grandmaster et, si voir ces spécialistes faire cette démonstration n’est pas déplaisant, cela reste anecdotique.
Yannik Vanesse.
The Grandmaster de Wong Kar-wai. Disponible en DVD, Blu-ray et VOD chez Wild side depuis le 04/09/2013.