Réalisé il y a deux ans, Genpin de Kawase Naomi sort enfin sur nos écrans. Un beau film documentaire, qui pâtit de son relatif manque d’ambition. Par Antoine Benderitter
Une forêt au cœur du Japon. Le soleil joue dans les feuillages. Des jeunes femmes vont et viennent. Lumière, sérénité, joie de vivre. Nous nous trouvons dans une maternité où exerce un obstétricien un peu particulier, le docteur Yoshimura. Depuis des décennies, ce médecin pratique un accompagnement à l’accouchement naturel. La cinéaste Kawase Naomi, plus connue en France pour ses fictions sensorielles et poétiques – telles que Hanezu, l’esprit des montagnes, 2011 – que pour son œuvre documentaire, est venue à la rencontre de ce praticien. Elle filme la préparation physique et psychologique des jeunes mères, rapporte leurs témoignages et enregistre sans fards certains accouchements. L’humilité de la réalisatrice est d’autant plus sensible que son choix s’est porté sur une caméra numérique à la résolution inégale, dont l’image devient granuleuse dès que l’éclairage faiblit. Avantage : il en résulte une sensation de captation sur le vif, d’authenticité. L’attention du spectateur n’est pas détournée par une quelconque stylisation et se concentre sur le docteur Yoshimura et ses méthodes.
Quel est donc le propos de ce praticien peu conventionnel ? D’abord que la modernité, avec son cortège de nouvelles techniques, a fait plus de mal que de bien à l’humanité. La façon dont les naissances sont gérées de nos jours en serait un symptôme. La majorité des femmes accouchent dans des conditions artificielles leur épargnant la douleur ; selon le médecin, nier celle-ci revient aussi à nier la vie. Un accouchement naturel restitue certes à cet acte son âpreté physique, mais également sa plénitude, sa beauté. Les mères qui ont fait cette expérience témoignent de leur bonheur. La douleur n’est pas niée (la caméra capte avec insistance les hurlements) mais s’accompagne d’une joie dont le spectateur finit par se demander dans quelle mesure elle relève d’une impulsion spontanée, ou bien d’une autosuggestion catalysée par le discours du professeur : jamais le film ne tranche explicitement, il se contente d’exprimer une sensibilité mystique, nimbée d’une gratitude diffuse et universelle (le mot le plus souvent prononcé dans le film est sans aucun doute « arigatô », c’est à dire « merci »). Le propos du film, par conséquent, s’avère philosophique, voire confusément religieux, bien plus que pragmatique, et souffre parfois de n’offrir aucun contre-pied à certaines digressions fumeuses du docteur.
Dès lors, on suppose que Genpin ne prend toute sa valeur qu’une fois envisagé dans l’ensemble de l’œuvre de Kawase Naomi. Cela dit, entre deux témoignages, le film parvient à distiller une atmosphère envoûtante en s’attardant sur la nature au sein de laquelle la clinique à été bâtie. Les branches, les racines, les fleurs s’enchevêtrent et s’épanouissent sous le grand angle de la caméra ; les plans fixes donnent l’impression d’irradier, de frôler le déséquilibre tout en restant miraculeusement stables dans la lumière qui rayonne de partout et les frondaisons qui frémissent au vent. Ces moments sans paroles sont les plus beaux du film. Ils font écho, mieux que tout témoignage, à son titre poétique : Lao-Tseu disait que « l’esprit de la vallée ne meurt jamais » et que cet esprit s’appelle « Genpin », la femme mystérieuse. C’est ainsi vers un hors-champ mystique que nous happe ce film mineur mais inspirant, qui donne envie de se plonger dans le reste de l’œuvre de Kawase.
Antoine Benderitter
Genpin de Kawase Naomi en salles depuis le 7 novembre 2012