KINOTAYO 2025 – Diamonds in the Sand de Janus Victoria

Posté le 9 décembre 2025 par

Diamonds in the Sand est le premier long-métrage de la réalisatrice philippine Janus Victoria et s’il s’agit bien d’une coproduction japonaise, son film reste un regard philippin sans concession sur l’archipel nippone.

Après la découverte du corps en décomposition de son voisin puis le décès de sa mère, Yoji part à Manille retrouver l’auxiliaire de vie de cette dernière. Ce voyage devient une expérience intime qui bouleverse son rapport aux autres.

Le grand problème de Diamonds in the Sand réside dans son exécution lui donnant l’allure d’un film monstre où les parties font office de patchwork. Deux grandes parties dans le film semblent se répondre. Dans sa première partie, Janus Victoria met au point un fonctionnement édifiant pour ce genre de films traitant de sujets sociétaux. Souvent, lorsque l’on traite de la situation japonaise (social, économique et politique), cette discussion prend la forme de l’anecdote et du folklore : on désigne par un mot un phénomène, et on fait de ce dernier un élément exotique. La conséquence de cette manière de traiter les choses est de donner à voir un pays lointain très bizarre où tout phénomène est un mot, donc une codification, et où le folklore se révèle être aussi bien – et au même niveau – la cérémonie du thé que la mort par épuisement au travail (karoshi). En prenant ce thème de la solitude et plus précisément du kodokushi (les personnes mourant dans une solitude totale et dont le cadavre n’est découvert que plusieurs semaines, si ce n’est des mois ou des années, après le décès), il y avait donc un risque pour la cinéaste de tomber dans cette folklorisation qui, non content de faire de ces problèmes une sorte de tourisme mental, efface derrière un terme valise une réalité profonde et complexe.

Et c’est justement ce que la cinéaste s’évertue de ne pas faire tout au long de ce premier segment. Plutôt que de recourir à la folklorisation, la cinéaste décide de fonctionner à rebours et de remettre des images concrètes ainsi qu’un individu derrière ce « phénomène », ce mot effaçant dans sa finalité toute la réalité de la situation. Yoji, interprété par un phénoménal Lily Francky, est un jour réveillé par des gouttes provenant du plafond et tombant sur son visage : il s’agit du cadavre en décomposition de son voisin du dessus. Il prévient la police et demande à assister au nettoyage du corps et de l’appartement. La cinéaste suspend alors presque totalement sa fiction pour passer sur un régime quasi documentaire en montrant longuement ce nettoyage. Ce qu’elle montre aussi, c’est comment deux nettoyeurs (sur demande de la police) tentant d’effacer toute trace de ce voisin mort et laissé à l’abandon. Non seulement elle ne folklorise pas la situation, mais elle fait se jouer à l’écran les conséquences d’un tel traitement des sujets : un effacement pur et simple du problème et de ses victimes. Toute cette première partie est très fine et joue constamment sur cette tension. La cinéaste choisira toujours la distance, une image et une mise en scène très sobre, et une position de simple observatrice, pour ne rien faire d’autre que de capter les solitudes de ses personnages. Puis le film mute totalement lorsque Yoji décide, en réponse à cette solitude qui devient étouffante, d’aller aux Philippines avec Minerva, l’aide-soignante de sa mère récemment défunte et qui se trouve être originaire de Manille.

Dans son périple aux Philippines, Diamonds in the Sand prend la forme d’une comédie de mœurs. Cette fois-ci, Yoji se défait de sa solitude et se confronte à l’Autre le plus radical, tandis que le tempo est maintenant comique et insiste sur les différences entre les Philippines et le Japon. Dans la forme aussi, la cinéaste change d’approche : le Tokyo sombre, froid, d’un silence assourdissant et étouffant laisse place à un Manille coloré, chaleureux et musical (les bruits de climatisation et de trafics routier laissant la place au bruit des cigales et des gens chantant dans la rue). Une inversion du mode de fonctionnement du film s’opère : alors qu’on était à rebours du folklore, maintenant le film rejoue allégrement les clichés et stéréotypes de chaque pays pour proposer une comédie bon enfant, efficace, mais qui ne va jamais interroger ce qu’il est en train de faire. À ce moment-là, le film sur la solitude devient même un peu décevant car, si l’aspect comique est réussi, le changement de tonalité surprend et semble se décharger totalement de cette visée première, tout en abandonnant son processus de dévoilement qui faisait tout le sel de ce premier segment. Le plus troublant vient aussi du fait que, dans cette partie comique très exotisante, des éléments pointent parfois le bout de leur nez pour émettre le début d’un contre-champ à ce Manille idéalisé : Yoji regarde les informations à la télévision et voit le résultat tant de la criminalité que de la politique meurtrière de Duterte ; la fille de Minerva, qui est une métisse philippino-japonaise, va crier en Tagalog à Yoji, dans une scène aussi marrante que touchante, tout ce qu’elle a subit comme exclusion au Japon et pourquoi elle renie totalement son identité japonaise… Mais la comédie banale reste solide sur ses appuis et ne dévie jamais de son carcan. Ce n’est qu’à la toute fin du film que le masque tombe, malheureusement trop tardivement, dans une scène où Toto, personnage archétypal de l’homme endetté et jetant son argent par la fenêtre, va demander à Yoji de l’aider pour éponger ses dettes. Yoji refuse dans une séquence géniale où tout, jusque dans l’iconographie convoquée par la mise en scène, transpire l’impérialisme japonais : le sage Yoji vient expliquer au barbare Toto pourquoi il ne bénéficiera pas de ses bonnes grâces. Il est en plus assis, jambes croisées, au centre du plan tandis que Toto, Minerva et les autres sont en périphérie du cadre. D’un coup explose la critique que la cinéaste laissait en veille, et celle-ci explose très bien, mais un peu trop tard au point de ne presque pas avoir sa place à cet instant.

Si dans son épilogue, la cinéaste assume encore plus sa visée critique (Yoji revient voir Minerva après l’enterrement de Toto et cette dernière lui demande s’il n’a pas juste besoin d’une aide-soignante, pic ironique à laquelle il ne répond pas), cela ne fonctionne pas à l’écran. Sur le papier, c’est assez clair : la solitude de Yoji le pousse vers l’exotisme et le fantasme, mais baigné dans des affects impérialistes il ne voit pas le mal dans sa position de voyageur-rêveur s’échappant aux Philippines. Non seulement, il n’a pas cessé de voir Minerva comme une aide-soignante, cette fois-ci la sienne, mais en plus il voit les Philippines comme une clinique (ou plutôt, comme le monde imaginaire coloré dans laquelle sa mère se réfugiait pour fuir son réel si triste). Dans les faits et dans le film, l’enchaînement est trop peu fluide, on a l’impression de passer d’abord par le film réaliste et poignant sur la solitude, puis le film comique léger, rigolo, avec quelques passages engagés, pour terminer sur un cataclysme critique, noir et sombre qui renie la douce comédie. Tous les segments sont très réussis à leur manière, mais chacun joue pour lui-même et, lorsqu’il est question de faire sens ensemble, car c’est clairement ce que sous-entend la structure même du métrage, ça ne fonctionne pas. Tout semble trop soudain, l’aspect comique semble même jouer pour le camp adverse. Diamonds in the Sand est donc un film très étrange, à la fois très réussi (et aux qualités indéniables), mais aussi très frustrant dans ce qu’il échoue à mettre en place.

Thibaut Das Neves.

Diamonds in the Sand de Janus Victoria. Japon, Philippines. 2024. Projeté à Kinotayo 2025.