Nouvelle édition du programme de courts-métrages de jeunes auteurs sinophones Coming of Age. Entre rêveries sentimentales, impressions documentaires et déclinaisons féministes, il semblerait que les équipes du Festival Allers-Retours aient chapoté une cuvée 2025 de premier choix !
The Sacrifice de Tan Xiacen
Produit par Vivian Qu (avec qui Tan Xiacen a déjà collaboré en tant que directeur artistique), ce court-métrage énigmatique inaugure la dernière séance du Coming of Age 2025. Il se déroule dans un lieu rare et peu représenté, la frontière entre la Chine et le Myanmar, jusqu’où Yan Sai conduit des gens sur sa moto en échange de quelques billets. Alors qu’il emmène un jour un mystérieux passager, Yan Sai est pris d’un mauvais pressentiment. La composition travaillée des images fait passer cette forêt jonchée de ruines pour un décor de film d’horreur. Encore moins rassurant, le mystérieux passager se met à lui parler de disparition et de la fascination qu’ont certaines personnes pour les lieux abandonnés. L’histoire racontée est sans doute encore immature et manque de consistance à la fin mais Tan Xiacen réussit à instaurer un suspense atmosphérique latent.
Our Invisible Scars d’Estelle Li
Dans un style et une démarche de reconstruction mémorielle semblables au cinéma de Zheng Lu Xinyuan, le documentaire Our Invisible Scars met en scène la réalisatrice Estelle Li interrogeant son père sur sa demi-sœur que ce dernier a abandonnée après s’être remarié. Archives et photos de famille défilent sur les impressions bouleversantes de la narratrice. Les souvenirs, les regrets, le temps perdu, la solitude et l’appréhension sont autant de raisons qui empêchent les blessures de cicatriser. La tristesse évoquée est presque abstraite car elle prend en compte l’incompréhension d’une petite fille ayant été séparée de sa sœur. Quand viennent les retrouvailles avec le père, un simple écran noir suffit à raviver le manque, mais la ligne de texte apparaissant à l’image comme sous-titre, contribue, au moins un peu, à le conjurer.
My Wonderful Life de Calleen Koh
Nouveau film originaire de Singapour dans cette sélection. Grace Lee, une mère de famille épuisée, s’effondre et connaît pour la première fois depuis longtemps le repos une fois à l’hôpital. Le concept-clé du court-métrage : elle va tout faire pour ne pas avoir à en sortir. En adoptant un style d’animation résolument enfantin, Calleen Koh marque un contraste déstabilisant entre le ton comique léger et le drame de la situation. Une mère qui en vient à se mutiler et à sauter par la fenêtre de sa chambre pour continuer d’être chouchoutée par le personnel hospitalier, plutôt que de rentrer pour redevenir elle-même le personnel de ménage et de cuisine de son propre foyer. Une façon amusante de dénoncer l’abnégation des mère devant la paresse incommensurable du reste des membres de la famille.
Extracurricular Activity de Dean Wei et Xu Yidan
Nous avions découvert Dean Wei l’année dernière avec la projection de son superbe premier court, Where Do Ants Sleep At Night au Coming of Age 2024. Il revient cette année, en collaboration avec Xu Yidan, pour la réalisation d’un court sur un lycéen et une lycéenne qui ont un malencontreux accident lors d’une rencontre nocturne secrète. Film intense, en l’espace d’une seule nuit, dans lequel le conflit intérieur est parfaitement exprimé par les temps de silence et la composition intelligente des images. Tout ou presque, est filmé dans un miroir ou un reflet comme pour figurer le désaveu de la mère qui, derrière son comportement exemplaire et impassible, se questionne sur sa part de responsabilité directe dans ce malheureux évènement.
A Taste of Beer de Xie Li
Probablement l’OVNI du Coming of Age 2025. Un scénario qui tient sur un post-it, des décors minimalistes et un père et un fils sous forme de serpents (?). Un jour, l’enfant rentre chez lui et annonce à son père que son équipe a remporté un match de foot. Ce qui suit est… curieux ? Les deux personnages (surtout le père) s’imaginent raconter cette victoire à tout le monde, dans un malaise communicatif et typique des parents chinois quand leur enfant réussit à quelque chose. Devant des images aussi invraisemblables on ne peut que rire nerveusement, puis se taire et regarder son voisin de séance à l’issue de la dernière scène… déconcertante ?
No One Knows I Disappeared de Bo Hanxiong
Pour conclure comme il se doit le Coming of Age 2025, les équipes ont projeté le troisième et dernier court-métrage de Bo Hanxiong, qui, après les remarqués Haircut et Drifting, revient avec un nouveau slow burn opaque et nocturne. Dans la tradition du cinéma chinois contemporain, le réalisateur explore les maux sociétés en faisant coexister film noir et réalisme social dans une relation de pouvoir inversé : le personnage principal, qui s’occupait à l’origine d’une vieille dame ayant disparu, a besoin d’aide à son tour. Mais personne n’est là pour l’aider. Le film parle de la solitude, bien sûr, mais aussi du besoin irrépressible de disparaître dans la nature, pour en finir ou au contraire pour tout recommencer à zéro.
Richard Guerry.
Quatrième séance du Coming of Age 2025.