VIDEO – Lire Lolita à Téhéran d’Eran Riklis : résistance de pages blanches

Posté le 13 septembre 2025 par

Adapté du best-seller autobiographique de la professeure Azar Nafisi, exilée aux Etats-Unis depuis 1997, Lire Lolita à Téhéran est un film plein de bonne volonté, dont le sujet, la condition des femmes en Iran, est indéniablement important. Il souffre toutefois d’un scénario convenu et d’une mise en scène brouillon qui échoue à saisir toutes les subtilités de la société iranienne. Le long-métrage est disponible en DVD et Blu-ray, édité par Metropolitan FilmExport

Lire Lolita à Téhéran narre la vie de son autrice, Azar Nafisi (interprétée par Golshifteh Farahani), de son retour plein d’espoir en Iran après la révolution en 1979, à son départ douloureux en 1997. Professeure de littérature anglophone, la jeune femme enthousiaste est rapidement confrontée aux dérives islamiques du régime et à sa violence. Refusant de porter le voile, imposé en quelques mois à toutes les femmes dès l’âge de 9 ans, elle perd son poste. Quelques années plus tard, elle reprend l’enseignement et décide de résister à sa façon en organisant des séminaires secrets chez elle avec plusieurs de ses élèves (et anciennes élèves) afin d’étudier les livres interdits par le régime. 

Sur le papier, le film avait tout pour plaire. Et il n’est pas inintéressant, loin de là. Il a cependant un problème fondamental : il n’est pas réalisé par une personne iranienne. Ce n’est pas la nationalité israélienne – plutôt cocasse au vu de l’histoire compliquée entre les deux pays – qui gêne ici. Eran Riklis fait tout ce qu’il peut avec qu’il a. Mais ce qu’il n’a pas, c’est une expérience de terrain, une compréhension au corps de ce qu’est l’Iran, sa société, son évolution et ses complexités. Il lui manque, en fait, une certaine forme d’âme. La bonne volonté et l’énergie qu’il a déployé pour réaliser ce film reste louable et impressionne : reconstruction de Téhéran dans des studios à Rome, attention minutieuse aux détails, casting d’exilées en or (Mina Kavani vue chez Panahi, Zar Amir Ebrahimi vue chez Abbasi et co-réalisatrice de Tatami). Il réussit même à faire jouer Golshifteh Farahani, qui avait pourtant refusé pendant plus de 15 ans tous les rôles impliquant qu’elle parle farsi. Ce groupe de femmes, dont la réalité de l’exil trouve écho et compagnonnage au sein du récit et de son tournage, est d’ailleurs la plus belle chose qui ressort du long-métrage. 

Il n’en reste pas moins que le récit reste à la surface des choses et peine à sortir d’un didactisme écrasant. Tout ou presque dans la mise en scène se veut une explication, une sorte de case à cocher avant de passer à l’autre. Il en ressort un enchaînement de scènes brouillon qui fatigue le spectateur. Si le film reprend le chapitrage littéraire utilisé par Azar Nafisi dans son livre (“Gatsby”, “Lolita”) en modifiant légèrement certains titres, son découpage s’éloigne de la trame chronologique de l’ouvrage sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. L’évocation de ces livres ressort souvent du reste comme un artifice narratif, un instrument n’étant que prétexte à dérouler des dialogues convenus sur la situation et les discours communs en Iran. Seul le personnage de Lolita, créé par Nabokov, devient un miroir habilement tendu aux femmes victimes du régime, au travers d’une audacieuse métaphore que n’aurait pas renié l’auteur russe. 

Il y a, tout de même, des moments de grâce, comme lorsque la professeure fait danser ses élèves, insouciantes et gauches, dans son salon en leur demandant d’imaginer qu’elles sont dans un roman de Jane Austen. Ou bien quand les cafés et les librairies fermés des rues grises de Téhéran reprennent soudain vie à l’aune d’une réflexion sensible sur le pouvoir du souvenir d’un autre monde, dont seront bientôt privées les nouvelles générations. Ces discussions récurrentes entre Nafisi et son vieux mentor (incarné par Shahbaz Noshir) sont la grande réussite narrative d’un scénario trop formaté. 

Malgré toutes ses faiblesses, Lire Lolita à Téhéran touche par la sincérité de son réalisateur et de ses interprètes, et par ces quelques échappées bien pensées. Il donne en tout cas envie de lire le roman qu’il adapte, et c’est déjà, il faut bien l’avouer, une petite victoire. 

BONUS

Making-off (19min) : Eran Riklis revient sur la création du film, de la création des décors aux castings des actrices. Il se félicite notamment d’avoir convaincu Golshifteh Farahani de tourner avec lui une seconde fois, pour un sujet qu’elle a longtemps évité au cinéma. Cette dernière, particulièrement émue, explique les raisons qui l’ont poussée à accepter, et insiste sur le lien très fort qui s’est créé entre elle et les autres exilées pendant le tournage.

Entretien avec le réalisateur (33min) : avec transparence et honnêteté, Eran Riklis justifie les choix qu’il a fait pour son long-métrage, et sur lesquels il pouvait s’attendre à des critiques. Profondément humaniste, il insiste surtout sur la nécessité de raconter les histoires quelles qu’elles soient, sans laisser les frontières ou la langue faire obstacle. Conscient de la situation complexe de son pays, le réalisateur israélien s’interroge également à de multiples reprises, et plutôt subtilement, sur le devoir de résistance des peuples face aux actes des Etats.

Audrey Dugast

Lire Lolita à Téhéran d’Eran Riklis. Israël-Italie. 2024. Disponible en DVD et Blu-ray le 09/08/2025 chez Metropolitan FilmExport.