VIDEO – La Légende de l’aigle chasseur de héros de Jeffrey Lau

Posté le 4 septembre 2025 par

En cette fin d’été, Carlotta Films nous propose de retrouver l’étrange film jumeau des Cendres du temps, La Légende de l’aigle chasseur de héros de Jeffrey Lau, l’un des plus célèbres exemples de mo lei tau, la comédie absurde cantonaise. Tourné en 1993, en parallèle du tournage du film de Wong Kar-wai et avec la même distribution, le film est une parodie du roman de chevalerie cher à Chang Cheh, La Légende des héros chasseurs d’aigles de Louis Cha. Pour simplifier beaucoup un scénario volontairement prétexte et confus, on pourrait dire qu’une princesse de Perse pourchassée par un maître d’arts martiaux  diabolique qui en veut à son trône recrute plus ou moins volontairement des héros pour l’aider.

Autant savoir tout de suite ce qu’on s’apprête à regarder : c’est un film de Nouvel an chinois, qui vise avant tout le divertissement familial, mais aussi un film à l’humour très hongkongais (Jeffey Lau est entre autres l’auteur des A Chinese Odyssee avec Stephen Chow), basé sur l’un des romans les plus adaptés du patrimoine sinophone (The Brave Archer de Chang Cheh, Les Cendres du temps de Wong Kar-wai, The Legend of the Condor Heroes: The Gallants de Tsui Hark pour n’en citer que trois). Le public de Hong Kong sait ce qu’il attend et connaît les personnages ; le film peut donc se permettre de bombarder le public de gags et de compter sur sa familiarité avec les personnages pour suivre ce qu’il se passe.

La légende veut que ce soit les retards et dépassements de budget qui ont poussé Wong Kar-wai à accepter de produire le film, pour permettre un rentrée financière profitant de la notoriété des acteurs bloqués sur son tournage. En effet, le casting est impressionnant : Brigitte Lin joue la princesse (et curieusement, elle est l’un des rares personnages dont l’identité de genre n’est jamais remise en question, contrairement à la coutume), Leslie Chang et Joey Wong campent le jeune Huang Yaoshi et sa fiancée (dans une version bien moins romantisée que dans Histoires de fantômes chinois), Tony Leung joue le fourbe Ouyang Feng, le venin de l’ouest, traité ici comme une sorte d’Iznogoud Kung-Fu dont tous les plans se retournent contre lui (son fameux style du crapaud est ici traité avec une littéralité assez étonnante, et il paye vraiment de sa personne), Jackie Cheung conserve son rôle de roi des mendiants du film de Wong Kar-wai, Carina Lau joue un rôle masculin, une version homosexuelle de Zhou Botong, Tony Leung Ka-fai dans un rôle qu’il vaut mieux découvrir par soi-même, Maggie Cheung incarne un personnage pourvoyeur de gadgets maladroits, pour ne citer qu’eux. Le film a été tourné en quelques semaines, mais il n’en est pas moins très professionnel. Avant de devenir réalisateur et scénariste, Jeffrey Lau était producteur (il a commencé avec le très beau Nomad de Patrick Tam, mais est aussi producteur des Cendres du temps), et il est épaulé par Sammo Hung pour les combats dont les chorégraphies sont bien plus mises en valeur que dans les effets de Wong Kar-wai. Il en résulte un film très dynamique, où les acteurs alternent à toute vitesse grimaces, jeux de mots, combats, grands sentiments placés aux mauvais moments et autres excentricités.

Il s’agit véritablement d’un film carnavalesque, où tout peut arriver, où le travestissement est la règle, où les genres et les identités sexuelles deviennent flous, à un point que seule la comédie peut embrasser dans la société hongkongaise. Les anachronismes sont la règles et l’empereur du Sud peut bien parler anglais et chercher à atteindre le Nirvana par l’amour, personne n’y trouvera à redire. Les costumes des monstres sont très ostensiblement faux mais ce n’est pas grave puisqu’eux-mêmes sont plus des peluches comiques que des antagonistes. Les couples se font et se défont, les rivalités mortelles aussi, les techniques célèbres des personnages sont aussi ridicules que puissantes, le tout en jouant sur l’orientalisme (l’occidentalisme en l’occurrence ?) de la représentation en carton-pâte de la Perse. Les acteurs échangent avec délectation leurs personnages du film sérieux, ce qui ajoute encore une couche méta aux jeux de transformation. La musique est au diapason, mélangeant les compositions entêtantes de James Wong et Mark Lui avec une utilisation très ludique des citations de musique classique. Comme dans Les Cendres du temps, le film profite de son prétendu statut de prequel pour tordre les personnages du roman, en ne profitant que de leurs noms et techniques, dans des situations de plus en plus absurdes.

Pour qui aime l’humour absurde de Mel Brooks ou de Stephen Chaw, le film est bien entendu recommandé. Il ne raconte pas grand chose, il est d’une facture assez classique mais ses interprètes et leur utilisation suffisent amplement à en faire le complément familial idéal au film de Wong Kar-wai.


Edition Vidéo :

La copie est la même que celle qui a été exploitée en salles, fidèle à la photographie du film, nette mais conservant les marques du tournage argentique. Les pistes sons 2.0 et 5.1 sont toutes deux parfaitement efficaces.

Les bonus sont la bande annonce de la version restaurée et une passionnante interview du critique Clarence Tsui sur le film et la carrière de Jeffrey Lau, personnage encore trop méconnu en France.

Florent Dichy

La Légende de l’aigle chasseur de héros de Jeffrey Lau. Hong Kong. 1993. Disponible en Blu-ray le 19/08/2025