VIDEO – Angel Guts : Classe Rouge de Sone Chûsei

Posté le 12 juillet 2025 par

Le Chat qui Fume met à l’honneur le Roman Porno de la Nikkatsu avec une édition inédite d’un opus de l’une des sagas les plus cultes du genre réalisé par Sone Chûsei, Angel Guts : Classe Rouge, sorti au Japon en 1979.

Le film, adapté d’un volet d’une série de manga d’Ishii Takashi lorsqu’il n’était pas encore lui-même réalisateur, s’inscrit dans la lignée thématique de la saga des Angel Guts à savoir les conséquences de la perte d’innocence forcée sur une jeune femme nommée Nami. Ici, ce personnage nous est introduit par le regard de Teruo, un éditeur de magazine de photos de charme, qui visionne un (supposément) porno amateur dans lequel Nami vêtue d’un uniforme d’écolière subit un viol collectif dans un lycée. Teruo tombe sous le charme et s’efforce de la retrouver pour la faire poser pour lui.

Angel Guts : Classe Rouge succède à Angel Guts : High-School Co-Ed du même réalisateur, film déjà très sombre et pessimiste sur l’avenir d’une jeunesse à la dérive ne sachant plus comment exorciser ses angoisses autrement que dans la violence tournée envers les autres. Ici, Ishii et Sone conservent cette énergie du refoulement et du nihilisme en la transposant au monde des adultes et en s’intéressant aux conséquences que les obsessions et le passé des protagonistes peut avoir sur leur présent et leur futur. Teruo a beau ne pas avoir subi d’évènement traumatique, comme on comprend vite que c’est le cas pour Nami, il est déjà lui-même un personnage contraint et insatisfait. Il ne tire aucune satisfaction de son activité professionnelle ou des perspectives de mariage et de vie commune avec son amante et ne cherche du plaisir que dans le fantasme. Le ton est donné dès l’une des premières séquences où l’on observe un Teruo projetant les photographies érotiques de son magazine sur le corps désespéré de Keiko, son amante, qui cherche à attirer son attention romantique. Qu’il s’agisse de l’idée qu’il se fait initialement de Nami au travers de la vidéo amateur (dont on comprend vite qu’elle n’était pas simulée) ou de la forme qu’il essaie de faire prendre à leur relation par la suite, tout ce qui obsède Teruo n’existe que dans sa tête.

Ces questions de regard et de projection, à fortiori sur un corps féminin, ne sont pas déjà nouvelles dans la fin des années 70. Que l’on pense au cinéma international et aux analyses (notamment par des critiques et théoriciennes féministes) qu’il a suscitées ou au cas spécifique du cinéma japonais érotique, le sujet de l’homme qui ne trouve une satisfaction que dans le voyeurisme et le fantasme a déjà été bien exploité par le passé. Néanmoins, Angel Guts : Classe Rouge donne tant d’importance à Nami et à la confrontation de son récit avec celui que Teruo voudrait lui imposer qu’il en trouve une voix singulière. Nami est aussi désillusionnée mais ne nourrit aucun espoir d’amélioration de son sort. A la différence de Teruo, depuis la fin de son adolescence, l’espace de libération que pourrait constituer le fantasme la ramène quasi-systématiquement à des rapports de pouvoir réels qui lui sont défavorables. Sone réussit à créer une dichotomie chez ses personnages qui ne les réduit pas pour autant à de simples fonctions antagonistes. Ce dédoublement induit par la vraie Nami VS la Nami fantasmée (par Teruo mais également les hommes au sens large) prend même le dessus dans les scènes de sexe. Nous assistons bien davantage aux tourments intérieurs de Nami dans chacune de ces séquences que nous n’en pouvons tirer du plaisir érotique. La scène centrale dans laquelle, abandonnée par Teruo, elle décide de se venger sur un amant qu’elle draine physiquement de toute son énergie à la façon d’une femme-insecte, tandis que son reflet se déforme progressivement dans le miroir, en est une illustration. A ce reflet déformé dans lequel la jeune fille cède à l’expression dévorante de ses sentiments et de ses besoins d’échappatoire répond celui de la toute fin dans une flaque d’eau au sol que Nami fait disparaître de son pied. Dans cette posture active de refoulement et de renoncement, elle devient un personnage bien plus complexe et fascinant que Teruo, qui, en adoptant le regard de la jeune femme, est alors comparable à tous les autres. Il est d’ailleurs à ce titre, révélateur de la part de Sone d’avoir présenté la vie de couple de Teruo et son amante Keiko en montrant Teruo maltraiter la jeune femme à son bon vouloir, y compris sexuellement.

En plus de cette réflexivité vis-à-vis des thématiques du film et de son appartenance au genre du Roman Porno, Angel Guts : Classe Rouge bénéficie d’un travail visuel très riche et intéressant, à l’image des autres grandes productions Nikkatsu de l’époque, tant au niveau de la couleur et des lumières que de celui du montage parfois expérimental qui contribue à l’expression de la tension entre fantasme et réalité. Sone joue également avec le caractère insaisissable de Nami telle qu’elle n’existe que dans la tête de Teruo en confrontant souvent son regard à celui du spectateur, comme lorsqu’il retrouve Nami à un poste de réceptionniste et la reconnait en passant sa tête à travers une ouverture qui empêche au public de voir l’intégralité de son visage, ne le révélant que lorsqu’il a quitté les lieux. La mise en scène subtile du film élève ses thématiques et le rend d’autant plus troublant et efficace. Pour les amateurs de films érotiques japonais de la grande époque des studios, Angel Guts : Classe Rouge est définitivement un incontournable du genre.

BONUS

En plus d’un livret de photos de la Nikkatsu d’excellente qualité et une série de bandes-annonces de leur collection Roman Porno, nous retrouvons dans l’édition du Chat qui Fume un supplément vidéo de présentation des Débuts de Chusei Sone par Clément Rauger. Dans ce document, Clément Rauger revient sur les premières œuvres de Sone lorsqu’il était assistant-réalisateur, notamment pour Suzuki Seijun et l’impact de cette collaboration sur sa propre carrière, puis sur les spécificités de son cinéma au sein de la Nikkatsu avant de se livrer à une petite analyse de ses réalisations dans la saga Angel Guts, en particulier Angel Guts : Classe Rouge. Rauger évoque également le parcours de l’autre figure centrale de cette adaptation, le mangaka-réalisateur Ishii Takashi et sa place à l’écriture et surtout les apports de Sone au projet.

Elie Gardel.

Angel Guts : Classe Rouge par Sone Chusei. Japon. 1979. Disponible chez Le Chat qui Fume en juin 2025.