VIDEO – A Short Love Affair de Jang Sun-woo

Posté le 7 juillet 2025 par

Troisième film de Jang Sun-woo, A Short Love Affair sort en ce mois de juillet chez Carlotta. Même si l’éditeur a choisi de le sortir en même temps que le plus célèbre Fantasmes, nous sommes ici 10 ans auparavant, en 1990, dans une autre période de la vie du réalisateur. Jand Sun-woo s’attaque au mélodrame en adaptant un roman de Park Yeong-han.

Après avoir échoué à faire carrière à Séoul, Bae Il-do revient dans sa ville de banlieue. Jeune père, malheureux auprès de sa femme violente, ouvrier dans une filature, il s’éprend de sa collègue Ming Gong-nye, elle même malheureuse en mariage et mère d’un petit garçon. Ils vont progressivement décider de donner une chance à leur liaison, en dépit des conséquences sociales.

Sur le papier, A short Love Affair s’inscrit dans la tradition du mélodrame coréen, et précisément sa variante érotique, mais le réalisateur choisit une approche légèrement décalée. Assez vite, on se rend compte que le film est tellement du point de vue du personnage masculin que l’on entend souvent son monologue interne mais il joue aussi à trahir ce contrat en abandonnant par moment le personnage pour les deux femmes qui l’entourent. L’héroïne s’exprime peu directement, mais le soin apporté à sa caractérisation permet de voir au-delà de ses silences, notamment lors d’une longue scène de salle de bain, qui escamote la séquence de sexe attendue au moment de la première visite du love hotel. La femme de Bae Il-do a elle aussi droit à des scènes qui l’humanise, alors que le début du film semble vouloir la limiter dans un rôle comique avec une violence hyperbolique presque grotesque (elle domine systématiquement son compagnon pourtant nettement plus grand, par des prises de catch s’il le faut). Le temps de deux flashbacks, le film bascule vers le film d’hôtesse avec la scène de la rencontre avec le protagoniste et un retour muet qui suffit à dépeindre les débuts d’une existence tragique, et rend plus complexe la question du couple qui semblait jusqu’ici avoir été imposée.

Le film brille par son sens du détail, avec une incroyable scène où les futurs amants se défient à une course sur les machines à coudre dans laquelle le réalisateur joue à rendre dynamiques les gestes du quotidien, ou les jeux de contraste entre la construction de la ville moderne et les lieux de vie de la classe prolétaire… Les deux familles dont les destins se rencontrent sont dysfonctionnelles, produites par des constructions sociales où personne ne peut s’épanouir pleinement. La question des regards est sans cesse mise en avant, puisque les voisins entendent tout à travers les cloisons trop fines, que les collègues s’observent les uns les autre, et que le premier réflexe de ceux qui découvrent un adultère est de se demander à qui le raconter. Avant de choisir ce projet, Jang Sun-woo rêvait de faire un film politique, et il en est resté quelque chose.

« Mon amour pour toi est comme une momie« . Si en apparence le film présente un moment de liberté pour les deux personnages, la relation n’est jamais montrée comme réellement égale ni véritablement saine. Le personnage masculin agit toujours plus librement, il sait ce qu’il veut et se préoccupe peu des conséquences pour la mère de son enfant qui est présentée comme un obstacle plus qu’autre chose. A l’inverse, Mong Gong-nye est mal à l’aise, ne connaît pas les codes des love hotels, commence par refuser avant de se laisser rattraper par la passion. Son couple à elle est d’abord présenté par l’apparition du fils, joyeux, épanoui, avant que la part plus sombre ne se révèle. Si pour le héros il s’agit avant tout d’une histoire (a short love affair) comme on apprendra qu’il en a eu d’autres, pour l’héroïne il s’agit d’une décision sérieuse, d’un véritable engagement. Cela donne un véritable poids aux scènes érotiques, qui évitent le voyeurisme en construisant leur portée dramatique.

C’est un film à la fois sensible et doux amer. Comme le titre international le souligne, ce que vivent nos protagonistes est sans issue, leur romance ne sera qu’une parenthèse dans leur vie. Mais il s’agit aussi d’un vrai film social avec un point de vue et des personnages plus complexes que ce dont ils ont l’air de prime abord. On ne peut qu’espérer que Carlotta ne s’arrêtera pas à ces deux films, présentant deux aspects bien différents du cinéaste, mais qu’ils nous donneront aussi la chance de découvrir d’autres de ses films comme le très politique A Petal.

Édition Blu-ray:

Le film nous est présenté dans un très beau transfert effectué depuis un master 4k qui rend bien la qualité de grain de la pellicule, ce qui est appréciable pour un film qui joue sur le réalisme et le caractère sensoriel. La piste son mono est très propre et permet d’apprécier le travail sur les ambiances du film.

Le bonus est un entretien de 15min avec Antoine Coppola qui fait un point sur le début de carrière de Jang Sun-woo, et donne des repères sur le contexte tant politique que cinématographique, notamment en revenant sur les genres du mélodrame et des films d’hôtesse, avant de donner une rapide grille de lecture possible du film. Ce bonus a le grand mérite de nous donner envie de voir plus de films et de découvrir le reste de la carrière de ce réalisateur singulier.

Florent Dichy

A Short Love Affair de Jang Sun-woo. Corée. 1990. Disponible en Blu-ray le 01/07/2025 chez Carlotta Films