VIDEO – Pushing Hands d’Ang Lee

Posté le 21 juin 2025 par

Dix ans après avoir édité Garçon d’honneur et Sucré Salé, Carlotta s’est attelé à une édition haute définition de la première partie de la trilogie des débuts d’Ang Lee surnommée « Father knows best » avec la sortie en Blu-ray de Pushing Hands.

Premier film du réalisateur, il raconte l’histoire d’un professeur de tai-chi vieillissant parti aux États-Unis rejoindre son fils. Cela ne se fera pas sans mal, entre les problèmes liés aux décalages culturels, à la langue et à l’hostilité de la compagne américaine de son fils. Comme Ang Lee lui-même, le film est pris entre deux mondes ; c’est à la fois un film américain sur les complexités du modèle familial et un film d’immigré, qui se libère vraiment lorsqu’il retrouve sa langue natale.

Le film date de 1991 et cela est manifeste à son esthétique, qu’il s’agisse de la technologie, des coiffures ou du type d’images produit, mais aussi dans son imaginaire, avec une opposition entre un Orient traditionnel (le rapport des enfants aux parents, le tai-chi, le rôle de la communauté, la médecine traditionnelle, l’opéra chinois) encore hantée par l’histoire de la Chine du XXe siècle et une Amérique moderne (l’ordinateur de la mère, le rapport à l’école) en perte de repères. Le melting-pot du rêve américain ne prend pas ; ceux qui ont quitté la Chine ne sont plus vraiment chinois mais pas non plus pleinement américains, comme leurs gendres et brus le leur rappellent. La famille américaine présentée ici, c’est un peu « un papa, une maman, un enfant », sans place pour l’aïeul venu de Pékin.

Le film est souvent drôle, le « Vieux Chu » étant un personnage assez excentrique, parfois vieillard bourdon, parfois héros épique dans des situations qui ne s’y prêtent pas, comme le siège de l’évier d’une cuisine, mais le personnage révèle aussi ses failles, lorsqu’il évoque l’absence de la mère et les gardes rouges. Le film joue régulièrement sur la figure du tai-chi comme échappatoire, comme moyen d’esquiver la douleur de la vie en détournant ses coups. Plus sombre, Alex, le fils américanisé, se retrouve pris en étau entre son aspiration à la piété filiale et la réalité du fonctionnement de la famille américaine. C’est à la fois un personnage en quête d’apaisement et le responsable de la plus grande scène de violence du film, confronté à l’échec de la cohabitation de ses deux mondes.

Le personnage de la belle-fille est finalement le moins développé. Bien que toujours présente, elle est tenue à distance par la barrière de la langue et son désir de faire de la maison un lieu de création et non un abri multigénérationnel (elle semble se sentir devenir étrangère dans sa propre maison, seule à ne pas parler mandarin). On peut d’ailleurs remarquer une étrangeté dans la diction des dialogues anglais, comme si tout était légèrement trop appuyé, prononcé trop parfaitement pour être une langue quotidienne, ce qui renforce l’impression de distance. A l’inverse, l’autre personnage féminin, Mme Chen, professeur de cuisine deux fois veuve, rencontrée dans le cadre des activités de l’école communautaire, est un personnage finalement bien plus développé. Une scène répétée de médecine traditionnelle sur la main montre d’ailleurs spectaculairement la différence de traitement des deux femmes, l’Américaine réagissant aussi mal que Mme Chen réagit bien. Le film joue également avec l’idée qu’une variation du même film pourrait être tournée avec l’histoire miroir de cette autre immigrée, dont l’histoire, sans être identique, présente des effets de miroir avec la trame principale.

Tout l’enjeu du film est de permettre aux personnages déracinés de se trouver une place, de se construire une nouvelle identité. Il n’est sans doute pas anodin que dans plusieurs scènes ce soit le petit-fils qui se retrouve à traduire ce que dit le grand-père à la mère. Le chemin inattendu que prend le film pour créer un nouvel équilibre est gentiment touchant, avec une vraie tendresse pour ses personnages. On ne peut que saluer la performance de Lung Sihung, alors au début de sa fructueuse collaboration avec Ang Lee, qui sait rendre son personnage complexe et attachant, aussi crédible en vieux monsieur un peu lunaire qu’en maître d’art martiaux, ou en un homme qui réapprend les relations sentimentales.

Si le film n’est pas encore celui d’un maître expérimenté, on discerne déjà le goût du réalisateur pour l’attention portée à la subtilité des comportements humains et son travail pour créer des images qui s’adaptent à des contextes très différents (ce qu’il poussera de plus en plus loin au fur et à mesure de ses allers-retours entre Taïwan et les États-Unis, s’aventurant même dans l’excentricité de son Hulk tentant de transposer des codes de bande dessinée à l’écran). Pour un premier film, il s’agit d’une œuvre tout à fait louable, à la fois produit de son époque et porteuse de thématiques plus universelles.

Édition vidéo :

La copie proposée par Carlotta est très propre et restitue bien l’éclairage du début des années 90 sans trahir la photographie un peu datée du film, accompagnée par une piste mono restituée sur deux canaux tout à fait méritoire.

Le seul bonus proposé est une très courte bande annonce.

Florent Dichy

Pushing Hands d’Ang Lee. Taïwan/Etats-Unis. 1991. Disponible en Blu-ray le 17/06/2025 chez Carlotta Films