LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE – Woman Demon Human de Huang Shuquin

Posté le 9 juin 2025 par

Pour ouvrir son cycle « le cinéma chinois au féminin », La Cinémathèque française a choisi comme film d’ouverture Woman Demon Human de Huang Shuqin, présenté comme premier film féministe de l’histoire du cinéma chinois. A la fois portrait impressionniste d’une femme dans un milieu machiste à travers différents moments du XXe siècle et déclaration d’amour à l’opéra chinois, c’est indéniablement un film à part.

Le film se présente comme le récit fragmentaire de la vie de Quiyun, jeune femme devenue vedette de l’opéra chinois, inspirée de la légendaire actrice Pei Lanying, entrecoupé d’extraits de l’opéra L’histoire de Zhong Kui, interprété justement par Pei Lanying dont c’était le rôle fétiche.

Le film est découpé en trois parties : l’enfance, l’adolescence et la vie d’adulte de l’héroïne, séparées par des extraits du spectacle où l’héroïne, à la fin de son parcours, joue Zhong Kui, qui rythme les ellipses (la première séquence présente l’héroïne adulte se préparant pour la représentation, passant de son statut de jeune femme au monstre mythologique). Le film est particulièrement elliptique, les personnages disparaissent d’un moment à l’autre, la grande Histoire n’est qu’une toile de fond lointaine, entièrement tourné vers son héroïne et son double. Le film mélange les éléments venus de la biographie de Pei Lanying et la création d’un personnage de fiction, avec des grandes étapes : le traumatisme initial, la confrontation du rêve à la réalité, la place de la femme dans la société chinoise… La figure de Quinyun est paradoxale, à la fois continuellement rappelée à sa condition féminine, dans de diverses modalités, de la violence de l’enfance aux attentes sociales face à la femme mariée, mais aussi figure androgyne, qui suscite le trouble sur son passage. Il n’est pas anodin que le personnage du double soit Zhong Kui, le fantôme hideux, fonctionnaire infernal, premier à l’examen mais rejeté par ses pairs. Le personnage est sans cesse confronté à son inadéquation avec les attentes du monde qui l’entoure, et le film rappelle plusieurs fois qu’elle ne pourra jamais revenir chez elle, une fois lancée vers son destin. Le rapport à la paternité et à la maternité est aussi interrogé douloureusement au cours du film, avec ce qu’il advient de la figure des parents puis le destin matrimonial de l’héroïne et la façon singulière dont son mariage est mis en scène.

Le film joue sur un dimension parfois presque documentaire, comme si on volait des images aux coulisses du spectacle, sur l’âpreté cruelle de la société décrite, mais il y oppose la magnificence des scènes dansées de l’opéra et des jeux de lumières parfois étonnants. Si le titre international propose une tripartition Femme/Démon/Humain, le titre original rassemble Humain/Démon/Passion, le titre jouant lui aussi sur la tripartition, comme le fait d’ailleurs aussi le plan initial avec la présentations des trois bols de pigments pour le maquillage. Le théâtre codifié permet à l’héroïne de dépasser les transgressions impossibles de sa vie, les scandales sont oubliés derrière le maquillage du démon, même si les gros plans permettent de voir toute l’humanité du regard derrière le masque (et ainsi le regard du personnage réel au travers son double de fiction). La fin du film est littéralement une déclaration d’amour au théâtre, seule relation toujours gratifiante de l’héroïne, qui ne la quitte jamais. A ce moment, la dimension théâtrale triomphe véritablement de tous les regards blessants, l’héroïne abandonnée par ses parents, par son amant, par son mari, transcende sa condition par son échange avec le fantôme, figure effrayante mais aussi marieur.

Si le film n’est pas toujours facile d’accès, entre ses ellipses et les références à l’opéra chinois qui peuvent manquer au spectateur, il n’en reste pas moins un tour de force de sa réalisatrice, aussi beau plastiquement qu’il est intéressant dans sa construction de son personnage, dont les actrices avatars aux différents âges sont toutes très convaincantes. C’est un film singulier, loin de la facilité d’accès d’un Painted Faces, mais également un film important, avec un point de vue rare.

Florent Dichy

Woman Demon Human de Huang Shuquin. Chine. 1987. Projeté à La Cinémathèque française