CANNES 2025 – Homebound de Neeraj Ghaywan

Posté le 27 mai 2025 par

Dix ans après avoir été primé à Cannes pour Masaan, le réalisateur Neeraj Ghaywan est de retour sur la Croisette pour un nouveau coup d’éclat avec le magnifique mélodrame Homebound, présenté dans la catégorie Un certain regard.

Dans un village du nord de l’Inde, deux amis d’enfance tentent de passer le concours de police nationale, un métier qui pourrait leur offrir la dignité qu’ils n’osent espérer. Alors qu’ils touchent du doigt leur rêve, le lien précieux qui les unit est menacé par leurs désillusions…

Dix ans après le célébré Masaan, Neeraj Ghaywan revient avec Homebund sur des thématiques voisines autour de la jeunesse entravée par les clivages de castes au sein de la société indienne. A travers le destin des deux amis d’enfance Shoali (Ishaan Khatter) et Chandan (Vishal Jethwa), le réalisateur opère par strates subtiles pour nous faire comprendre la façon tour à tour sournoise ou douloureusement frontale dont s’opère leur discrimination et leur déclassement en raison de leur religion musulmane. Une des premières scènes voit Chandan se présenter en omettant son nom de famille qui trahirait sa classe. S’il concède à donner son patronyme durant ce moment car rassuré par la bienveillance de Sudha (Janhvi Kapoor), d’autres situations le confrontent à un rejet bien plus humiliant. La moindre interaction, démarche administrative (le document d’inscription à la fac où il doit cocher « autre catégorie » concernant sa caste), est là pour lui rappeler d’où il vient, la ligne qu’il ne doit surtout pas envisager de franchir.

Chandan et Shoali voient dans le concours de fonctionnaire de police, et l’autorité que représente l’uniforme, une manière de s’élever socialement et d’enfin gagner ce respect refusé pour leurs origines. Neeraj Ghaywan, par les tempéraments différents de ses deux protagonistes, montre une même impasse se dessiner, lorsqu’un an après leurs examens il doivent décider de leur avenir alors qu’ils n’en ont toujours pas reçu les résultats – signe de la désorganisation et de l’engorgement administratif du pays. Shoali, jeune homme fort et volontaire, choisit la voie professionnelle temporaire mais se voit tour à tour stoppé dans ses initiatives, puis rabaissé dans l’entreprise de vente de porte à porte au sein de laquelle il est embauché. Chandan retarde cette échéance professionnelle avec le soutien de ses parents (et au détriment de sa sœur aînée, la tradition patriarcale laissant sa chance avant tout au garçon) pour tenter des études universitaires, mais vivre également son lot de désillusions.

L’abnégation de l’un tout comme « l’oisiveté » de l’autre sont les surfaces d’une même pièce quand le monde qui les entoure les rejette impitoyablement. Invectives verbales, blagues humiliantes, violences policières, climat médiatique hostile (le journal télévisé laissant entendre que le covid est une émanation des musulmans), les personnages subissent à la fois le ralentissement, l’enlisement dans lequel les enfonce le système, mais aussi l’urgence d’une condition économique et familiale qu’ils ne peuvent surmonter par la voie d’une méritocratie qui leur est interdite.

Neeraj Ghaywan éveille l’indignation dans un contexte tristement ordinaire, avant d’exacerber les maux dépeints dans la si particulière période du covid et des confinements. Il est connu que ce moment fut particulièrement meurtrier en Inde, non pas du fait du virus mais plutôt de ce système de castes et de ses inégalités. La dernière partie, longue errance particulièrement éprouvante, va le démontrer avec force. Ghaywan tisse le lien profond unissant ses héros avec l’emphase des plus beaux mélodrames. Les retrouvailles entre Shoali et Chandan après leur longue brouille et le lâcher-prise du supposé plus solide (Shoali) dans les bras du faussement plus faible (Chandan) inverse leur trajectoire après leurs déconvenues respectives dans cette scène bouleversante. Les ravages du virus et l’abandon des populations (ou plus particulièrement d’une population sociale et ethnique du pays) par le pouvoir déploient donc par une catastrophe collective ce qui était ressenti au quotidien de manière individuelle par les individus.

Alors que les désagréments en tout genre sont subis dans les environnement restreints et civilisés (monde de l’entreprise, fac), Ghaywan exprime les liens forts unissant ses héros par la majesté ample et la poésie de paysages somptueux. La photo de Pratik Chah rend l’horizon (au propre comme au figuré) optimiste par le seul éclat de ses couleurs vives, et le beau score de Naren Chandavarkar est chargé d’espoir et de mélancolie. Un grand et beau mélodrame.

Justin Kwedi.

Homebound de Neeraj Ghaywan .Inde. 2025. Projeté au Festival de Cannes 2025.