La Maison de la Culture du Japon à Paris (MCJP) consacre une rétrospective intégrale de l’œuvre de Somai Shinji. Retour sur The Catch, beau récit à l’approche documentaire nous plongeant au cœur d’un village de pêcheurs.
Un jeune homme veut gagner l’estime du père de sa copine, un pêcheur solitaire. Celui-ci l’initie aux secrets de la pêche au thon, affrontant l’âpreté de la mer et les risques du métier.
Après trois premiers films placés sous le signe de l’adolescence (The Terrible Couple (1980), Sailor Suit and Machine Gun (1981) et P.P. Rider (1983)), Somai Somai effectue un virage surprenant avec The Catch (adapté d’un roman de Yoshimura Akira dont Imamura Shohei transposera plus tard L’Anguille (1997), fascinant objet entre documentaire et chronique familiale. On y plonge dans le milieu des pêcheurs de thon où le jeune Shunichi (Sato Koichi) souhaite apprendre le métier auprès de Kohama (Ogata Ken), le père de sa fiancée Tokiko (Natsume Masako). Seulement Kohama est un vieil ours solitaire dont toute l’attention est obnubilée par la pêche, ce qui lui a valu d’être quitté par sa femme et d’être un père absent malgré qu’il vive avec sa fille. Le rapprochement entre Shunichi et Kohama est laborieux et la première sortie en mer se fait après moult supplications sans que le père ne se montre un mentor très coopératif. Somai Shinji fait de la mer un espace semé d’embûches et qui, lorsqu’on décide de l’investir par le seul égoïsme et la fuite des autres, sera un lieu de séparation.
Le drame ne s’invite que progressivement dans la description méticuleuse de la pêche au thon. Somai procède à son art du long plan-séquence pour dépeindre chaque étape du processus et c’est précisément cette longue continuité filmique qui confère cette dimension documentaire au film. Rien que le départ du bateau de Kohama du port impressionne en capturant à la fois l’ensemble du mouvement de l’appareil mais aussi toutes les manœuvres du pêcheur à son bord, le tout en longue focale qui appuie ce côté sur le vif. Il en va de même en mer mais la mise en scène inscrit ce réalisme dans la caractérisation des personnages, le découpage isolant Shunichi, les compositions le plaçant en arrière ou avant-plan et l’exploration de la topographie du bateau en fait toujours un étranger, un encombrant sur le chemin de Kohama. Ce dernier n’accepte pas réellement Shunichi sur son bateau et par extension dans sa famille. Ce ne sera pas par méfiance ou peur pour sa fille, Shunichi est simplement un importun qui le dévie de sa seule et unique obsession, le prochain thon qu’il pêchera et pourra revendre à terre. C’est une forme de déshumanisation qui le mènera au point de non-retour quand il tardera à sauver Shunichi grièvement blessé pour finir d’extraire l’énorme thon accroché à sa ligne.
La mer donne ou retire pour ceux qui ne savent pas la partager. Le passé de mari indigne de Kohama ressurgit quand il recroisera sa femme Aya (Toake Yukiyo) et que parallèlement le thon se refusera désormais à lui en se libérant systématiquement de sa ligne. Les retrouvailles des époux sont amorcées par une séquence impressionnante scène pluvieuse, à travers un mouvement de grue où l’on passe des hauteurs du village à ses ruelles, accompagnant le regard d’Aya et Kohama qui se reconnaissent et vont longuement se poursuivre. Aya aura préféré une vie frivole plutôt que cet époux taciturne et éteint hors de son bateau, et le rapprochement furtif leur rappellera aussi pourquoi ils se sont quittés autrefois.
C’est dans l’étirement de séquence que Somai laisse deviner l’issue de cette rencontre, les plans rapprochés exprimant l’éphémère rapprochement possible durant la scène d’amour tandis que les plongées, le filmage à distance en longue focale en fait des pantins qui rejouent leur séparation passée. L’art du plan fixe et de la composition de plan de Somai peut cependant conférer une vraie poésie et révéler des sentiments profonds quand il filmera les quais (sous le même angle où l’on a vu précédemment une bagarre) où revient Aya, puis théâtre de feux d’artifice. Les lieux sont ce que l’on en fait, ce qui se rapproche du rôle de la mer au sein du film et que traduit la photo de Naganuma Mutsuo entre contemplatif et rugosité.
Au début de l’histoire, Tokiko reproche à Shunichi de toujours lui dire qu’il l’aime, « elle et la mer » sans jamais pouvoir les détacher dans l’expression de son amour. Alors qu’il n’est pas encore un pêcheur accompli, Shunichi partage finalement déjà la même obsession que son beau-père Kohama. Il finit par reproduire les comportements passés méprisables de celui-ci à force de revenir bredouille au port, et se met à se montrer violent envers Tokiko. Dompter la mer, y affirmer sa virilité en revenant avec une pêche conséquente ravive donc cette notion de séparation, d’espace égoïste de la mer et précisément la facette amenant le malheur. Somai montre cet envers néfaste mais de nouveau la facette lumineuse avec la réconciliation père/fille quand Tokiko demandera à Kohama d’aller chercher Shunichi non revenu de sa dernière pêche.
La magnifique conclusion laisse ainsi dans un sentiment contrasté où la mer a donné l’instant de complicité tant espéré entre Shunichi et Kohama lors d’une périlleuse pêche d’un thon aux proportions énormes, mais cette communion sera fatalement la seule pour eux. L’interprétation est pour beaucoup dans la force du film, Ogata Ken est plus vrai que nature en pêcheur expérimenté (la mise en scène épurée de Somai révèle bien qu’il effectue lui-même toutes les tâches) et passe de manière impressionnante de l’adolescente délurée à l’épouse meurtrie, notamment la très belle scène finale. Hormis de petites longueurs par moment (les scènes sur terre surtout, celles en mer ayant un pouvoir de fascination constant), une œuvre captivante et singulière.
Justin Kwedi
The Catch de Somai Shinji. Japon. 1983. Projeté à la Maison de la Culture du Japon à Paris.