Brief history of a family

REIMS POLAR 2025 – BRIEF HISTORY OF A FAMILY de Jianjie Lin

Posté le 5 avril 2025 par

Brief History of a Family de Jianjie Lin est un passionnant drame chinois sélectionné au festival Reims Polar, offrant une sorte de variation du Théorème de Pasolini dans la Chine moderne. Découverte avant sa sortie en salles en août prochain.

Wei est le fils unique d’une famille aisée, dans la Chine moderne et urbaine. Alors qu’il se rapproche de Shuo, un camarade d’école plutôt mystérieux, celui-ci commence à s’immiscer dans leur quotidien. Peu à peu, sa présence semble perturber l’équilibre familial.

Ce premier long-métrage du réalisateur chinois Jianjie Lin offre un passionnant mélange de drame familial et de satire sociale, cet entre-deux l’emmenant par son atmosphère sur les rives du thriller. L’histoire est tout d’abord celle d’une amitié entre deux adolescents de milieux et caractères très différents, Wei (Muran Lin) et Shuo (Xilun Sun). Wei est fle ils unique, gâté et extraverti d’une famille aisée tandis que Shuo, issu d’un milieu modeste, est plus introverti et taiseux.

Dès l’introduction, le réalisateur place le rapport entre les deux garçons dans une notion d’intrusion de l’un dans l’espace de l’autre. Un plan en plongée introduit ainsi Wei à l’image quand il vient s’enquérir de Shuo blessé par le ballon de basket d’une partie voisine. Toujours dans ce début de film, c’est ensuite Shuo qui s’insère dans l’espace de Wei, un travelling avant suivant ce dernier révèlant en bout de course Shuo qui l’attend près de son vélo. Une première ambiguïté sur leur relation naît de là puisque ce rapprochement de Shuo intervient après son rejet initial de Wei, et ce après l’avoir observé auprès de ses parents apparaissant manifestement comme des gens aisés.

Shuo s’immisce ainsi auprès de la famille de Wei qui apprécie sa modestie, discrétion et nature studieuse aux antipodes du dilettantisme de leur propre fils. Wei voit au départ d’un bon œil l’attention créée par cet ami lui permettant d’échapper à l’exigence de ses parents, et de son père (Zu Feng) en particulier. Jianjie Lin met progressivement en place un dispositif habile pour faire ressentir l’immersion de Shuo, puis la substitution qu’il instaure avec Wei auprès de ses parents. Le travail sur les cadres et compositions de plans lors des nombreuses scènes de repas place le discret Shuo en étranger, en dehors de l’image. Plus le récit avance, plus cette place devient visible et centrale au détriment de Wei, intrus dans sa propre famille. Le réalisateur travaille une confusion volontaire lors des conversations et interactions parents/enfants dont le sujet devrait forcément s’adresser à Wei hors-champs (notamment sur les études), mais le contrechamp de la silhouette en amorce révèle alors de plus en plus souvent Shuo désormais intégré à l’égal de son ami – et encore plus après un certain rebondissement.

Brief history of a family

Le tempérament extraverti de Wei en fait au départ un adolescent capricieux et superficiel, mais c’est une manière de marquer son indépendance face aux exigences de son père lui imaginant un avenir tout tracé. Il s’en échappe par sa passion personnelle pour l’escrime, mais laisse alors par là l’espace à un Shuo tout disposé à correspondre à ce modèle et lui prendre sa place. La mise en scène millimétrée et froide est vraiment l’élément qui distille une tonalité de thriller dans cette bascule, laissant attendre un rebondissement plus tragique qui n’arrive jamais vraiment, ou du moins pas sous la forme attendue. La caractérisation des personnages permet d’échapper à une approche trop schématique qui ferait uniquement du film une sorte de pendant chinois du Théorème de Pier Paolo Pasolini. Tout comme dans ce dernier, l’arrivée d’un étranger sert de révélateur aux maux cachés de la famille. Mais au lieu d’exposer des névroses, cela humanise plutôt la mère (Ke-Yu Guo) et le père, liant à la fois l’attachement à Shuo et les attentes démesurées reposant sur Wei à un passif social de la Chine, tout comme à l’histoire personnelle de cette famille.

Jianjie Lin parvient à un captivant équilibre dans la désormais rivalité opposant les deux adolescents. D’un côté, la critique sociale fait de la cellule familiale un cadre concurrentiel comme un autre, où un meilleur « candidat » au poste peut supplanter le fils lié par le sang, dans un jusque-boutisme cinglant de la société chinoise contemporaine des élites. De l’autre, on pourra voir un drame familial dans lequel correspondre à l’image attendue et/ou rentrer dans le rang est la manière la plus simple pour trouver (Shuo) ou regagner (Wei) l’affection des parents pour des adolescents en questionnement. C’est un mur auquel se heurtent, chacun à leur manière, les deux personnages dans la scène finale faisant office de rejet et de renoncement. Un premier film ambitieux, profond et original.

Justin Kwedi

Brief History of a Family de Jianjie Lin . 2024. Chine. Projeté festival Reims Polar et en salles le 13/08/2025.