SI LOIN, SI PROCHE 2025 – Satu, Year of the Rabbit de Joshua Trigg : l’appareil photo, le voyage et le lapin

Posté le 17 février 2025 par

Le public de Si loin, Si proche avait pu apercevoir l’année dernière Joshua Trigg, venu soutenir le réalisateur laotien Lee Phongsavanh, qui présentait notamment son long métrage The Signal. Cette année, c’est à son tour de présenter son premier long métrage de fiction, Satu, Year of the Rabbit, tourné au Laos pendant la pandémie du COVID. Road movie initiatique racontant la pérégrination de deux jeunes gens (et d’un lapin) en quête d’identité à travers le Laos, cette œuvre soignée porte un regard tendre sur les aventures de ses protagonistes, avec une beauté douce amère.

Bo est une jeune fille qui fuit le domicile parental pour vivre son rêve de photojournalisme. Satu est un enfant abandonné à la naissance devant un temple bouddhiste. Il voudrait retrouver sa mère, elle cherchait un sujet à son reportage, ensemble ils vont traverser le Laos en compagnie d’un lapin recueilli par Satu, en espérant rencontrer la mère qui connaitrait les non dits de l’histoire.

A partir de cette trame simple, le réalisateur imagine une odyssée miniature, d’abord à moto, comme il se doit dans l’imaginaire cinématographique asiatique, mais aussi à pied et en bateau, dans une course perpétuelle vers l’origine, qui finira bien sûr par un retour au point de départ. Il y a une certaine frontalité dans la volonté de raconter un périple aventureux à hauteur d’enfant, avec une variété de registres, tantôt comique, tantôt désespéré mais aussi parfois à la limite du thriller, en gardant toujours un regard tendre sur les personnages. Quand le récit rencontre ses conséquences réalistes et que le voyage se fait course poursuite, on n’est pas si loin de la Nuit du chasseur ; pour un enfant, les hommes brutaux sont des ogres.

La première force du film est sa photographie. La pellicule 16 mm est ici utilisée à plein pour son caractère organique. Les défauts inhérents sont acceptés, et même pleinement assimilés comme une partie de l’esthétique. Le grain, les rayures, les couleurs qui ne se contentent pas de singer la réalité, et donnent une impression d’ensemble chaleureuse, presque anachronique à la manière d’une photo argentique sur une pellicule usée. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’héroïne se rêve photojournaliste et continue à photographier en argentique, comme dans une mise en abyme des partis pris esthétiques de l’œuvre.

Les deux acteurs sont très convaincants : Itthiphone Sonepho est remarquable pour son jeune âge, capable de jouer un personnage à la fois pleinement enfant et d’une étrange maturité. Avec un jeu très subtil, il est véritablement le cœur émotionnel du film et sait rester crédible d’un bout à l’autre du récit. Vanthiva Saysana, l’interprète de Bo, est elle aussi ce que demandait le rôle, incarnant une jeune fille décidée tout en restant du côté de l’enfance. Sa présence est ce qui donne son mouvement à l’œuvre. En un sens, le troisième personnage le plus important est le décor, tant le film est un cri d’amour aux paysages du Laos, cadrés et mis en valeur avec passion. Un soin particulier est accordé aux figures de pères, avec la brutalité et l’autoritarisme du père de Bo auxquels répond la bienveillance du prêtre qui s’occupe paternellement de Satu. Quant à l’absence des figures maternelles, c’est justement l’un des sujets du récit, qui pousse les personnages à réinventer une utopie fraternelle face à l’adversité du monde.

L’esthétique peut donner l’impression d’un film hors du temps, mais le contexte réapparaît par moment, avec l’apparition d’un téléphone, la découverte de la nature de la menace qui plane sur le temple ou l’intrigue du réfugié en cavale. De même, s’il est plus facile à Bo de se faire offrir la pellicule que d’en trouver en magasin, c’est car la technologie a progressé et que l’argentique, comme partout dans le monde, est traitée même si elle était déjà obsolète. C’est que le moment du film est le moment de ce voyage, le temps privilégié de ce duo singulier, et que les autres personnages sont avant tout des rencontres destinées à infléchir leur itinéraires, à indirectement les guider à travers la magnificence des paysages du Laos.

Les deux protagonistes ont grandi trop vite et se comportent de façon bien trop adulte pour leur âge, l’enjeu est de leur accorder un moment de grâce, un émerveillement enfantin devant la beauté du monde. C’est à la fois un film profondément ancré dans son lieu de tournage, reposant sur son histoire et sa culture, et un récit universel d’aventures et de découverte de soi. Le film essaye d’éviter l’écueil de la carte postale touristique, par sa profonde empathie pour ses personnages et sa mélancolie. C’est un film profondément gentil, sans jamais devenir gentillet : on en sort avec une impression douce amère, tant il est autant une découverte de soi qu’un apprentissage du deuil, toujours souriant mais cerné par le poids de la réalité. En ce sens, le titre montre bien le mélange des deux fils, avec d’un côté le destin de Satu (dont la révélation du sens de son nom invite à une relecture du film) et de l’autre celui du lapin, son fidèle compagnon.

Ce premier long métrage, tourné dans des conditions très compliquées, dessine un premier portrait de son réalisateur comme un créateur avec des choix artistiques marqués et un vrai talent pour incorporer la narration au monde qu’il décrit. On ne peut qu’être curieux de son prochain projet japonais dans le cadre du projet NARAtive, puisque le cahier des charges du projet de Kawase Naomi est de faire des films qui mettent en valeur la région de Nara tout en étant des œuvres à part entière. Ce genre de projet semble être taillé sur mesure sur ce que Joshua Trigg a montré pour l’instant de son univers cinématographique.

Florent Dichy

Satu, Year of the Rabbit. 2024. Laos/Royaume Uni. Projeté au festival Si loin, Si proche 2025