ALLERS-RETOURS 2025 – Carp Leaping Over the Dragon’s Gate de Yan Xiaolin

Posté le 11 février 2025 par

Comme chaque année, les équipes du Festival Allers-Retours sont parvenues à dégoter un film chinois contemporain en noir et blanc, jusqu’ici tous très différents les uns des autres. Ce long-métrage de Yan Xiaolin, joliment intitulé Carp Leaping Over the Dragon’s Gate ne fait pas exception et suggère avec sensibilité la relation conflictuelle entre une mère et sa fille aux portes de l’examen d’entrée à l’université.

En Chine, l’examen d’entrée à l’université, le gaokao, est souvent l’unique espoir pour les familles modestes d’améliorer leur condition. Dans ce contexte de compétition acharnée, une mère, Jing Wei, décide de tout risquer pour offrir une meilleure vie à sa fille, Jin Miao, en la faisant migrer vers une autre province. Mais de cette décision, s’ensuit une série d’imprévus.

Dans la mythologie chinoise, la Porte du Dragon se hisse au sommet d’une cascade dont le cours torrentiel est valeureusement remonté à contre-courant par des carpes qui portent en elles l’espoir de se transformer en dragon si elles y parviennent. Cette légende incontournable ayant jusqu’à former celle de Magicarpe et Léviator, est aussi à l’origine d’un célèbre idiome commun aux quatre coins de la Chine. On dit à ce propos, qu’un étudiant préparant ses examens est comme une carpe remontant la cascade de la Porte du Dragon. Formule pleine de sens qui donne le ton du film de Yan Xiaolin.

Pour beaucoup de familles vivant principalement dans les milieux ruraux de la Chine, l’examen d’entrée à l’université, le gaokao, est synonyme d’un possible transfuge de classe et d’un espoir de quitter sa condition sociale précaire. Proche du test d’aptitude scolaire sud-coréen, le classement du concours chinois définit presque irrémédiablement quelles universités sont accessibles, ou non, au candidat en fonction de ses résultats. Autant dire qu’un système aussi punitif et cultivant aussi impassiblement la performance chez de jeunes adolescents, est aussi à l’origine de nombreuses fractures familiales que Carp Leaping Over the Dragon’s Gate met à nue. Chez la mère de notre histoire, il est inenvisageable que sa fille n’entre pas dans l’une des universités les plus prestigieuses du pays. Elle sera prête à tous les sacrifices pour y parvenir. Malgré sa tyrannie et ses actions qui détruisent progressivement ses liens avec sa fille, c’est son point de vue que Yan Xiaolin décide de traiter.

Dans une forme de réalisme social très brut où l’heure n’est définitivement pas au romantisme ou à la poésie, le film met en scène les efforts d’une mère qui peu à peu, devient aussi violente et injuste que le système éducatif chinois ne l’est sur ses plus jeunes éléments. Une colère perpétuelle l’habite et s’extériorise dans les cris et les reproches sur une jeune fille privée de l’insouciance de son âge. On se prend pourtant d’empathie pour cette mère en connaissance des sacrifices dont elle épargne sa fille. Yan Xiaolin malmène ses personnages et propose une vision de l’amour malsaine dans un monde qui révèle de manière saillante les inégalités sociales. La honte est relayée au second plan et tricher devient alors le seul moyen de s’en sortir. Dans la seconde partie du film, Jing Wei parvient à inscrire sa fille sur les listes des concours de la province insulaire de Hainan, chose formellement interdite mais encouragée par ce système performatif défaillant. Toutes deux devront encore davantage étouffer leurs émotions et faire profil bas dans ce nouvel environnement hostile. Après avoir essoré, torturé, brisé ses personnages pendant deux heures, Yan Xiaolin leur offre une lueur qui vaut tout l’or du monde, et au film un aperçu de couleurs. Un élan d’espoir fébrile, à demi-assumé, mais un espoir quand même.

Richard Guerry.

Carp Leaping Over the Dragon’s Gate de Yan Xiaolin. Chine. 2023. Projeté au Festival Allers-Retours 2025.