BLACK MOVIE 2025 – The Tenants de Yoon Eun-kyoung

Posté le 28 janvier 2025 par

Le Black Movie 2025 a diffusé le film d’anticipation horrifique The Tenants, nouveau long-métrage de la réalisatrice sud-coréenne Yoon Eun-kyoung.

The Tenants nous raconte l’histoire de Shin-dong, jeune employé d’un job de bureau dans un Séoul futuriste, auquel il se dévoue jusqu’à frôler le burn-out et dans l’espoir d’obtenir une mutation dans un meilleur secteur, ce qui ne l’empêche pas pour autant de se faire menacer d’expulsion par son propriétaire. Pour tenter de repousser l’échéance, Shin-dong fait appel à un programme qui garantit aux locataires leur logement s’ils en sous-louent une partie et deviennent donc à leur tour une sorte de propriétaire. Il trouve des intéressés en un rien de temps : un homme excentrique toujours vêtu d’un chapeau à plumes et sa minuscule femme quasi-mutique qui affiche un sourire exagéré constant sous sa large frange. Les deux individus insistent pour louer la salle de bain de Shin-dong plutôt que sa salle à manger et dès lors qu’ils emménagent, celui-ci commence à subir des évènements étranges dont il les tient responsables.

Yoon Eun-kyoung propose une SF extrêmement minimaliste et épurée puisque les ancrages dans le futur se jouent à quelques détails esthétiques telles que les conversations téléphoniques qui convoquent dans la pièce un hologramme extrêmement réaliste de l’interlocuteur. Le décalage avec notre réalité ne se joue presque en effet que par deux-trois concepts créés pour l’occasion, à l’instar du programme de suspension d’expulsion par la sous-location, et il apparaît très vite que la réalisatrice établit un parallèle clair avec son présent réel. On retrouve en effet dans le film un florilège des conséquences actuelles du néo-libéralisme, depuis les cadences et les conditions de travail exténuantes auxquelles se plie Shin-dong jusqu’à la crise du logement et du secteur immobilier en passant par les promesses d’élévation sociale méritocratique camouflant un abandon conscient d’une partie de la population à son sort. Shin-dong a beau tenter de jouer le jeu, les règles de celui-ci opèrent contre lui de sorte que son calvaire ne cesse d’empirer au fur et à mesure qu’il tente de colmater les brèches. Le simple fait de se plier aux règles joue contre lui puisque la ferveur qu’il met dans le travail l’épuise et empire son état grandissant d’angoisse et de fébrilité, ce qui n’arrange rien au reste de ses problèmes.

Yoon Eun-kyoung nous maintient dans le point de vue de son protagoniste et adapte son dispositif de mise en scène à la perception de celui-ci, ce qui rend l’économie de moyens plutôt convaincante. En plus du noir et blanc contrasté, Shin-dong évolue de huis-clos minimalistes en huis-clos minimalistes, même les séquences en extérieur sont vidées de leur substance en étant plongées dans l’obscurité ou reléguant le décor en flou à l’arrière-plan et toujours constamment dépeuplées. Séoul est anonymisée, et l’intrigue pourrait se dérouler virtuellement partout et nulle part, de la même façon que la perception de la temporalité du film déroute. La plupart des scènes ont lieu de nuit (puisque Shin-dong passe ses journées à se tuer à la tâche au travail) et il est souvent compliqué de savoir le temps exact qui a lieu durant les ellipses narratives entre chaque séquence. Cette incertitude appuie le côté aliénant de l’expérience quotidienne de Shin-dong et rend plus fluide la bascule dans les hallucinations et la possibilité d’une explication surnaturelle.

Néanmoins, si l’ensemble est convaincant et cohérent, il ne surprend pas autant qu’il pourrait tant certaines de ses influences probables sont difficilement dépassées, qu’il s’agisse de Kafka ou bien du Lynch d’Eraserhead ou de la saison 3 de Twin Peaks pour ne citer qu’eux. Le film est peut-être trop rodé en l’état et soucieux de son cadre pour que l’émotion parvienne aisément jusqu’au spectateur. Les séquences d’hallucination, bien que plaisantes, auraient bénéficié à être au choix plus terrifiantes ou plus créatives pour aboutir à un réel dérangement. De même, le personnage du « sous-locataire » incarne certes décemment la politesse et l’amabilité qui dissimulent quelque chose de plus calculateur et sournois mais, là encore, peu d’iconisation plus élaborée. Il y a de l’idée et de l’ambition dans The Tenants mais il manque un brin de personnalité propre pour que le tout fonctionne aussi bien qu’il le pourrait et transcende son statut de petit film sympathique lorgnant sur l’expérimental.

Elie Gardel.

The Tenants de Yoon Eun-kyoung. Corée du Sud. 2023. Projeté au Festival Black Movie 2025.