BLACK MOVIE 2025 – Suzzanna: The Queen of Black Magic de David Gregory

Posté le 24 janvier 2025 par

En double-programme avec Sundelbolong, le Black Movie 2025 met à l’honneur l’actrice iconique du cinéma d’horreur indonésien Suzzanna, disparue en 2008, avec un documentaire, intitulé Suzzanna: The Queen of Black Magic, produit par l’éditeur vidéo américain Severin Films et réalisé par David Gregory.

À travers le mythe de Suzzanna, c’est presque toute l’histoire contemporaine de l’Indonésie qui est nous est contée, comme en fait état ce film documentaire. Présente dès les débuts fructueux du cinéma indonésien, notamment dans Three Maidens/Tiga Dara (1956) d’Ursmar Ismail, le père du cinéma indonésien (After the Curfew), Suzzanna apparaît « classiquement » sur les écrans de l’archipel pendant 20 ans, avant de connaître un second souffle, celui d’icône du cinéma d’horreur grâce aux propositions de la société de films d’exploitation Rapi Films, sorte de Shaw Brothers ou Golden Harvest indonésienne qui fit frémir toute la population, au moins autant qu’elle l’a divertie et permise de s’évader d’un quotidien de dictature. Née d’un père hollandais tombé contre les Japonais alors qu’elle était encore dans le ventre de sa mère, élevée par une grand-mère qui lui fit connaître les contes folkloriques de sa culture, mariée à un jeune producteur qui la trompera, dévastée par la mort d’un fils… Sa vie est déjà mouvementée avant de se réinventer dans sa période dorée des années 80, durant laquelle on dira qu’elle ne fait qu’un avec le personnage mythique et mystique de ses films. Son second mari, Clift Sangra, un jeune acteur, figure parmi les intervenants interviewés, et il devient aussi sordide que curieux de découvrir au fur et à mesure du documentaire que cet homme a été accusé d’avoir tenté de l’éliminer d’une part, et d’y être parvenu d’autre part.

Mais le film raconte quelque chose d’autre, au-delà de l’histoire propre de Suzzanna. Il revient longuement sur la cinéphilie indonésienne, son histoire politique et offre de nombreuses informations extrêmement savantes. On peut y apprendre, par exemple, que l’Indonésie a son propre modèle de cinéma itinérant, où un tissu d’écran est levé en extérieur et où le public va et vient, mange, rit, frissonne devant les films de Suzzanna. Cela peut expliquer pourquoi,dans le film de magie noire Santet, une scène de danse façon Bollywood peut paraître si longue et peu rythmée dans l’intérieur du film ; elle se vit probablement en vrai dans ce contexte. On assiste à une histoire du cinéma populaire donc, qui sait parler à un public qui pourrait être marginalisé facilement. Sur ce point, les interventions de Joko Anwar, chef de file du cinéma d’horreur indonésien contemporain, se révèlent indispensables pour saisir comment le cinéma d’hier est arrivé à celui d’aujourd’hui.

Des affres historiques du XXème siècle à la laideur de l’ambiance sérielle et people du début du XXIème, en passant par le bouillonnement et l’exaltation populaire qu’a connu le film de genre dans le pays, l’histoire de Suzzanna vaut le coup d’être racontée, découverte ou redécouverte et le documentaire de David Gregory la déploie de façon classique, progressive et efficace. Loin d’être un documentaire révolutionnaire dans sa forme, il se montre autant passionné par son sujet que rigoureux dans sa restitution, et donnera, à coup sûr, l’envie de voir l’intégralité de la filmographie de Suzzanna et de réalisateurs de genre tels que Sisworo Gautama Putra.

Maxime Bauer.

Suzzanna: The Queen of Black Magic de David Gregory. Etats-Unis, Indonésie. 2024. Projeté au Black Movie 2025.